Pouvoirs et politisation : Hédé et son canton
( 1785 — An II)


II- LE POUVOIR LOCAL, ENTRE ADHÉSION ET MÉFIANCE (1789 — An II)

D- La garde nationale en action : les patriotes et la loi

    Nous avions déjà évoqué à quelques reprises sa présence mais cette dernière partie va tenter d’esquisser la réalité de l’engagement de ces hommes, borné jusqu’à maintenant au rôle de simple police et de parade.


    1. Le temps des incursions

    En mai 1791, nous entrons dans une ère d’arbitraire, où le sort de chacun dépend des autorités locales ou plutôt des patriotes qui les inspirent : " les gardes nationaux agissent de leur propre chef, essentiellement dans les paroisses rurales où les clubs n’existent pas et où le jacobinisme militant s’incarne dans les initiatives et agissements de ces milices turbulentes [qui] ont une propension à l’initiative, à l’autonomie de décision qui déborde les autorités locales ". En effet, l’été 1791 sera " chaud " dans le canton de Hédé et dans les communes voisines, car suite à la loi de Tolérance, les insermentés jouissent d’une certaine liberté que le chef-lieu et sa garde nationale ne peuvent tolérer bien longtemps. L’objectif consiste donc à trouver des preuves matérielles de " fanatisme " pour les discréditer, et qui d’autre que Costard pourrait subir les foudres des bleus de Hédé.

    L’affaire débute de façon fortuite car l’après-midi du 2 juin, 2 gardes de Hédé sont surpris par une de ces subites averses printanières, et court s’abriter sous le toit le plus proche : le presbytère de Saint-Symphorien, où ils remarquent " sur une petite table de la cuisine, un ouvrage incendiaire du sieur Bareau, cidevant évêque de Rennes, ouvrage condamné par jugement du tribunal du district de Rennes à être lacéré et brûlé par le bourreau avec injonction à ceux qui en avaient des exemplaires de les remettre au greffe du tribunal ".

    Le colonel Morel Desvallons n’est pas surpris de leur déposition car il soupçonnait depuis longtemps des conciliabules, mais la " municipalité de Hédé qui, ne jugeant pas avoir le droit de requérir des perquisitions hors de son territoire, leur dit qu’ils pouvaient s’adresser à la municipalité de Saint-Symphorien ". Il ordonne en conséquence à sa garde nationale et à 2 gendarmes de se plier à la loi, mais sur le billet d’ordre, il se permet même une petite réflexion : " nota : Les municipalités de campagnes font-elles, suivant leurs serments, leurs devoirs. Ont-elles empêchés ses assemblées et autres choses […] sous le prétexte de religion (que de parjure) ". La confiance fait donc désormais place à la méfiance vis-à-vis des " frères " des campagnes, dont on accuse la coupable concupiscence et la criminelle infidélité envers le serment civique. D’ailleurs, les officiers municipaux de Hédé rédigent un procès verbal relatant cette visite domiciliaire, où ils précisent que " la municipalité de Saint-Symphorien entièrement composée de gens simples, est conduite par le sieur Costard […] qui en est le secrétaire greffier et le seul à en diriger les opérations ".

    En effet, 2 versions s’affrontent sur le déroulement de cette perquisition car les officiers municipaux de Saint-Symphorien insistent sur une violence illégale, et vont même jusqu’à réclamer des " dommages et intérêts pour leurs bleds dévastés par les garde nationales de Hédé qui les traversoient et s’y cachoient ", ce que récuse évidemment Hédé : le détachement était accompagné d’un capitaine de la garde de Saint-Symphorien dont le " patriotisme reconnue ne lui laissa apercevoir que le bien public qui pouvait résulter de cette démarche ".

    Les gardes nationaux " se rendirent chez le maire de Saint-Symphorien qui leur donna volontairement, et sans qu’ils lui eussent fait aucunes violences ni menaces, un réquisitoire par écrit datté et signé de lui […], qu’il craignait de se mettre mal avec son recteur et les autres membres de la municipalité ". Nous pouvons bien sûr gloser sur un détachement armé, qui inflige immanquablement une pression sur le maire, mis devant le fait accompli. Les autres officiers municipaux ont refusé de donner un tel consentement, ce qui permet alors aux plaignants d’affirmer que ce billet d’ordre fut " extorqué par violence du maire ". Si l’attitude décrite semble bien exagérée, il est fort probable que le maire fut sommé de coopérer. La perquisition devient fructueuse grâce aux papiers suspects, " tels que ceux qui se trouvèrent cachés parmi la filasse ", mais la garde nationale refuse la proposition de Costard d’en faire l’inventaire sur place par " crainte d’effrayer ses paroissiens en restant plus longtems au bourg et le deffaut de pouvoir ". Elle l’invite donc " à se rendre à Hédé dont la municipalité ne ferait aucune difficulté de se réunir ", et chemin faisant, " quelques enfans se trouvèrent à la suite de la garde nationale, ils jetèrent quelques cris que le curé pris pour des hués ". Une fois sur place, Costard reconnaît être propriétaire des papiers saisis, mais vu l’heure tardive, il est décidé que l’inventaire sera effectué le lendemain et en présence du curé, les papiers étant alors immédiatement cachetés sous son seing. Costard ne se présentera pas à la réquisition car lui et les officiers municipaux auraient préféré sonner le tocsin afin de se réunir et délibérer à ce sujet. Hédé est loin de partager cette version et accuse le réfractaire d’avoir fait sonner le tocsin de toutes les paroisses environnantes pour exciter une insurrection, grâce à des émissaires envoyés " chés tous les habitants et même jusque dans la ville de Hédé oû quelques uns travailloient en qualité de journaliers, on les pressait de se rassembler sur le champ. Le tocsin dont on ne fait usage que dans les dangers les plus imminents, répandit l’allarme dans tout le pays […] mais les frayeurs furent bientôt dissipées ", et Costard " ne put mettre dans son parti que sa municipalité qui n’osa pas lui refuser son apui ". Face à cette tentative de soulèvement, dont les mécanismes ne sont pas sans rappeler ceux de la Grande Peur, la garde nationale a donc parfaitement l’impression d’agir dans la plus stricte légalité, sous couvert de sa municipalité de tutelle : son action n’apporte-t-elle pas d’arguments en faveur de Hédé pour l’arrondissement paroissial ? Si les méthodes employées ont sûrement été parfois musclées, la garde nationale n’a-t-elle pas été tentée de régler de vieux comptes en exerçant quelques vexations ? Costard n’a pas été installé à l’envers sur un âne, comme cela se fait ailleurs à l’occasion, mais les gardes n’ont pas réagi aux propos des enfants en tentant par exemple de les faire taire…

    Mais qu’importe, tous ont bonne conscience car persuadés d’être fidèles au serment de protéger par tous les moyens la nation : pourquoi les autorités chercheraient-elles à les critiquer ? Ils n’ont qu’à suppléer la négligence suspecte de la garde nationale de Saint-Symphorien, et Hédé déclare même péremptoirement que " les procès verbaux rapportés sous le nom de la municipalité de Saint-Symphorien sont sans fondemens et que l’on ne doit y avoir aucun égard ". Mais pour les paysans, les bleus de Hédé ne risquent-ils pas de devenir " l’incarnation armée et détestable des exigences tyranniques de la Nation " ?

    La nouvelle de la fuite du roi est connue à Rennes et à Saint-Malo le 23 juin, et provoque une accélération de la suspicion contre toutes les paroisses réputées aristocratiques des environs, que l’on s’imagine en phase d’armement pour fomenter un odieux coup de force. La réplique préventive ne se fait pas attendre car le 5 juillet 1791, les officiers de la garde nationale de Hédé réclament auprès de leur municipalité 90 cartouches pour une expédition " engagée par son zèle patriotique ", mais cette fois-ci, par prudence, ils demandent l’autorisation de la municipalité de Québriac qui la leur accorde volontiers, " persuadée que la garde nationale de Hédé se comportera avec la prudence et la fermeté dont elle a toujours donné les marques les plus certaines ". L’initiative est donc clairement celle de la garde mais contrairement à ce qu’affirme R.Dupuy, son ardeur s’exerce seulement après la légalisation complice des municipalités patriotes. Forte de 2 mandats, l’expédition part récupérer 2 canons considérés comme menaçants, puis elle a " cru devoir continuer sa mission " : si la garde est de sortie, pourquoi ne pas en profiter pour faire un petit détour !

    Le 9 juillet, la garde nationale se rend dans le canton de Gévezé pour un raid nocturne : il doit être 1 heure 30 du matin lorsqu’elle débarque au presbytère du réfractaire Louis Feudé, mais ce dernier parvient à s’échapper de justesse : les gardes venaient-ils l’arrêter ? Non, juste la recherche de papiers suspects, même si le décret départemental du 16 juin ordonne l’éloignement des insermentés. C’est sans doute l’origine des déclarations d’un " particulier de Hédé, qui s’étoit venté plusieurs fois dans le bourg de Gévezé, et notamment il y a 3 semaines, qu’il viendroit sous peu avec ses camarades, qu’ils mettroient le feu au presbiterre et pendroit le recteur ". Les officiers municipaux de Gévezé se plaignent non seulement du " bruit et le tapage qu’ils faisoient donnant lieu de craindre que ce ne fut des brigands ", mais aussi de leur violence car ils ont saccagé une partie du presbytère. Le procureur en vient à ne pas croire les déclarations des gardes nationaux, " que cet attroupement fut authorisé par la municipalité de Hédé ", ce serait lui faire injure de croire qu’elle ait pu donner l’ordre d’un tel désastre car elle " scait bien qu’elle n’a aucunne inspection ni juridiction ni droit de police sur notre territoire ". D’ailleurs, le maire Huchet avait réclamé leur ordre de mission écrit, que les officiers refusent de lui présenter. Cette excursion ne s’arrête pourtant pas là car le détachement d’une quarantaine d’hommes arrive vers 3 heures du matin chez la demoiselle Perron, dévote dont le soutien aux réfractaires est plus qu’ostentatoire. En remontant tout le canton, couvert d’injures de quelques habitants locaux, le périple du détachement s’achève au presbytère de la Mézière vers 6 heures, où l’insermenté Maignan tente vainement de s’enfuir, puisque les gardes avaient cette fois-ci pris leurs précautions. Comme toutes les autres, la municipalité de la Mézière rédige une plainte le 10 juillet adressée au district, mais la virulence du propos est sans commune mesure : " Un attentat contre l’ordre publique et la sureté individuelle vient de se commettre […] cette horde de furieux, dont la plupart étoit dans l’ivresse, se rendit au bourg. Les habitants furent accablés d’insultes et de menaces et 2 encore furent couchées en joue. Enfin, ces Messieurs entrèrent dans un cabaret et après avoir bien bu et tenu les propos les plus séditieux, le grand nombre délogea sans payer […], que de tels excès alloient occasionner très certainement une boucherie sans la prudence d’un vertueux citoyen de notre bourg, qui empêcha de sonner le tocsin […]. L’amour propre de nos concitoyens a été blessé, ils sont furieux ", ce qui semble annoncer " des projets sinistres ". Cette stratégie d’intimidation et de démonstration de force à l’inconvénient d’ériger ce groupe de communes à la dignité de bastion du refus, sur lesquelles les autres communes risquent un jour de calquer leur comportement. Or, la dernière phrase du mémoire n’explique-elle pas clairement que les opposants à la Révolution ne font plus partie de la nation ? La plainte de la Mézière attaque aussi Hédé dans la mesure où elle a outrepassé sa juridiction, avant de s’achever par une touche d’ironie grinçante : " si par hazard les coprs administratifs, auxquels nous sommes subordonnées, lui avaient transféré ce pouvoir que donne la Constitution, nous les prierons aussitôt de lui transférer celui d’asseoir les contributions dans notre paroisse : on ne pourroit nous rendre un plus grand service " !

    Cette fois, le district est exaspéré par l’activisme militant de ces gardes nationaux qui sèment la panique dans des paroisses déjà peu fidèles à la Révolution. Le directoire écrit le 11 juillet à la municipalité de Hédé pour lui réclamer quelques explications, et ose espérer que cette expédition " n’a point été ordonné par vous. Nous doutons même qu’elle ait été autorisée par les officiers supérieurs de la garde nationale ", mais il leur est conseillé de s’expliquer le plus promptement possible car " il faudra des motifs très importants pour justifier une expédition nocturne ". Le ton menaçant ne cache ici qu’une seule chose, celle de l’inexistence de recours pour faire obéir une municipalité que l’on croit insouciante, et sa garde nationale maximaliste. Mais il ne s’agit rien de moins qu’une accusation d’autonomie de la part des simples fusiliers, alors que le directoire rappelle à la municipalité que sa garde ne doit agir que sur ses réquisitions légales et sur son propre territoire : il n’envisage pas même la possibilité que les officiers municipaux aient pu donner leur autorisation. Il est évident que l’on reproche à cette garde nationale rurale un comportement trop libre : ne serait-ce pas la taxer de tentation anarchiste ? Restons prudents mais l’opposition avec celle des villes est claire : la garde urbaine est éclairée, obéit à ses chefs, respecte les propriétés,…

    Les officiers de la garde ne se démontent pas et répondent avec désinvolture que tout s’était bien passé, et que leur action est justifiée face à un fanatisme qui s’affiche désormais comme un royalisme. Comment pourraient-ils tolérer plus longtemps des individus susceptibles de pousser à la rébellion ? La réponse serait donc à la mesure du péril, préventive. Le dernier paragraphe est en soit très éloquent car il justifie cette réponse : la mise en danger de la nation proclamerait de fait une loi d’exception que seule la garde nationale de Hédé serait susceptible d’appliquer grâce à son zèle patriotique : il ne s’agit rien de moins que d’affirmer l’autonomie politique du pouvoir local en se défiant du jeu institutionnel ! Implicitement, ils reprocheraient même au directoire sa tolérance qui mettrait tout le district en danger, et ce faisant, la garde nationale de Hédé se proclame légitimement révolutionnaire, et son engagement patriotique devrait être salué, selon elle, par les autorités !



    Il est évident que de telles incursions de ces sans-culottes du bocage accentuent les antagonismes entre les paroisses bleues et celles réputées aristocratiques. Mais les nobles ont également du souci à se faire.

    2. La lutte contre les nobles

    La nouvelle de la fuite du roi et son arrestation à Varennes fait grand bruit à travers le royaume, et constitue l’étape ultime de la déchéance du roi paternel : il aurait trahit. On croit , non sans vraisemblance, que l’invasion militaire est imminente et l’armement massif des gardes nationales répercute ce mouvement de panique comme une onde de choc dans toute la France. Pour nombre de gentilshommes, c’est le signal attendu pour fuir un pays en ébullition révolutionnaire, et rejoindre les armées des émigrés, dont la principale composante se trouve à Coblence, en Rhénanie, autour des comtes d’Artois et de Provence.

    Mr de Couesbouc ne s’y trompe pas et tente sa chance, avec son fils et un domestique, pour rejoindre Saint-Servan et embarquer vers Londres, Bruxelles… Il faut échapper à ce climat de menaces et d’injures que le ci-devant seigneur connaît si bien ! " On demande des passeports pour aller prendre les eaux en Allemagne, ou pour s’occuper de ses affaires en Angleterre et l’on s’en va quelques temps, histoire de laisser passer l’orage ". R.Dupuy signale qu’en Ille-et-Vilaine, seulement 180 individus ont effectivement émigré, sur les 720 en âge de le faire, mais surtout, la fuite serait plus le fait des nobles riches : Mme de Langle ou Mr de Bréal sont toujours présents, alors faut-il croire qu’ils ne subissent aucune menace ou atteinte à leurs propriétés ?

    La garde nationale de Hédé n’est pas dupe sur leur " désertion " assez rocambolesque, car leur comportement les désignait déjà précocement comme candidats à l’exil, avec une certaine complicité du maire de Saint-Gondran. Cette relation de dépendance clientéliste ne doit pourtant pas faire considérer cette commune comme totalement aristocratique, car il s’agit bien de l’un de ses habitants, Pierre Rouyer, qui dénonce le gentilhomme auprès des gardes nationaux : " il avait chez lui beaucoup d’armes et munitions et qu’il était dangereux de laisser aux mains de ce ci-devant privilégié qui de tous les temps s’est montré contraire à la Révolution […] ledit Rouyer les a accompagné sur le refus de Jean Riche maire de Saint-Gondran, fils du fermier du sieur de Couesbouc ". Le suspect et sa femme déclarent ne posséder qu’un fusil mais n’ayant aucune confiance dans leur déclaration, la fouille s’opère et met à jour 3 fusils, 2 épées, un sabre et 2 couteaux de chasse dont l’un est constitué d’une poignée " de corne de cerf garnie en cuivre jaune avec sa gaine de cuir ". Sont également saisies 38 £ de poudre et 2 " baris [sic] à poudre qui paroissent avoir été vuidés depuis peu et qui pouvaient contenir ensemble de 22 à 24 £ de poudre ". On lui laisse un fusil, une poudrière et un petit sac de plomb " pour sa défence ".

    Le sieur le Bouteiller parvient quant à lui à échapper à la surveillance des gardes car les officiers municipaux de Vignoc signalent qu’il est parvenu à s’enfuir le premier juillet 1791 et " qu’on ne puis pas comprendre la route qu’il a pris ni son absentement. Il se trouve de luy et ses frères et sœurs n’étatns [sic] point émansipés, le château de la Rochette occupé par ses domestiques ". Toutes ses possessions deviennent alors des biens nationaux. Par exemple, l’adjudicataire de la métairie de la Rochette (sûrement Jean Besnard, un gros laboureur à Vignoc) manifeste rapidement les difficultés à gérer son acquisition : il souhaite résilier son bail car il a " du bétail à conduire, il ne pourrois pas le loger avec " son propre bétail, " et comme les étables sont éloignées de la demeure principale, il craint qu’il leur arrive quelque accident " ou de se les faire dérober. Le receveur des domaines nationaux Pontaillé accepte et, à ce titre, les effets mobiliers qui " garnissent les embas de la retenue de la Rochette " sont mis sous scellés en attendant leur mise aux enchères. Les bestiaux de la métairie de la Rochette seront vendus sur les marchés de Hédé et Tinténiac, en même temps que les biens des Ursulines. Cela va poser évidemment quelques difficultés car le 26 octobre 1792, les 6 domestiques de l’émigré viennent se présenter à Hédé pour réclamer leurs gages : " indépendamment du séquestre mis sur ces biens, ils y ont continué l’administration et travaillé au profit de la Nation en bons et fidèles domestiques, que les terres étant affermées et les bestiaux vendus, ils s’attendent à être congédiées de jour à autre ".

    Mr de Couesbouc n’avait pas de son côté cessé de faire parler de lui, notamment à cause des troubles agraires que nous avons préalablement étudiés. Se lamentant une fois encore des brigandages perpétués par les " abittans des campagnes ", il se permet une réflexion amère, adressée aux officiers municipaux de Hédé : " il n’y a plus que ceux qui ont la tâche originelle qui seront privé des droits qu’on avait acquis par la naissance de porter les armes ". Il ne s’agit rien de moins ici que d’agiter les cendres de la vieille noblesse d’épée dont il se réclame ouvertement, et cet ultime mépris à l’égard des roturiers autoriserait selon lui, de pouvoir réclamer toutes ses armes car " aucun honeste sitoiaen ne poura abitter ces possessions qu’à main armée ". Sa requête est entendue également par le district, qui écrit à la municipalité de Hédé : la propriété est encore une fois en danger, " l’inquiétude étoit extrême mais l’effet des mesures que l’on prit alors ne peut être perpétuel ", et on lui demande de déposer les armes saisies " à la municipalité de Saint-Gondran qui les remettra à Mr de Couesbouc si elle n’y voit point de danger ". C’en est trop ! Hédé avait déjà fustigé implicitement l’attitude du district à l’égard des religieux, mais remettre les armes à la " foible municipalité " de Saint-Gondran et à ce noble serait criminel " dans les circonstances actuelles où notre pays est tous les jours en but à de nouvelles séditions " à cause de ces " nobles coalisés " et aux prêtres insermentés. En effet, les patriotes peuvent compter sur l’armée et les gardes nationaux, alors que les nobles s’appuient désormais sur les réfractaires mais tous s’affrontent plus que jamais pour s’assurer le contrôle de la paysannerie. Hédé manifeste déjà son pessimisme sur l’issue de cette bataille qui ne dit pas encore son nom : malgré les soins de ses gardes nationaux, " les périls et les dangers ne les effrayent point lorsqu’il s’agit de secourir des frères ", mais ils sont exposés aux " injures de la plupart des gens des campagnes qui croyent encore être dans leurs dépendances [celle des nobles] et dans celles des prêtres ". Là encore, Hédé exprime son incompréhension face à cette aberration rousseauiste qui érige un peuple des paysans bons par nature mais qui ne sont pas spontanément patriotes : " c’est donc qu’ils sont abrutis et aveuglés par le fanatisme qui les empêche d’avoir une claire conscience de leurs intérêts véritables ". Par exemple, dans la proche paroisse de la Baussaine, " on dit qu’il est arrivé depuis peu de jours 23 de ces prêtres. Il y fut excité depuis peu une émotion populaire dans laquelle le juge de paix et le curé constitutionnel coururent risque d’être égorgés ". A ce moment précis du mémoire, Hédé a l’audace de donner une leçon au district ! " Il est un moyen très aisé d’éviter ces dangers. Il n’est question que de prendre le même parti qu’a pris le directoire du département des Côtes du Nord ", lorsqu’un noble réclame ses armes. Il lui répond " prêtez le serment civique et vos armes seront rendues. Jusqu’à ce que vous n’ayez rempli cette condition, vous ne devez pas jouir des droits des citoyens actifs, le port d’arme est du nombre de ces droits. Et de quoi le sieur de Couesbouc a-t-il à se plaindre ? On lui a laissé un bon fusil avec lequel il se permet, non seulement de chasser, mais même de courir sus aux malheureux riverains de ses possessions, qu’il menace de tirer à coups de fusils, lorsqu’ils ont le malheur de laisser passer leurs bestiaux dans ses paturages […]. En haine de la Constitution, il vient de faire émigrer jusques en Allemagne ce jeune homme [son fils] âgé d’environ 18 ans : sans doute qu’il se propose de le voir revenir triomphant nous marcher sur le ventre avec l’armée des princes ". Véritable leçon de patriotisme militant, ce camouflet infligé à la hiérarchie administrative trop timorée les incite à prendre exemple sur leurs concitoyens du département voisin. L’autonomie du contre-pouvoir local s’exprime ouvertement puisque Hédé dispose d’une municipalité et d’une force paramilitaire qui entendent lutter contre les manifestations d’un complot aristocratique : sa résurgence apparaît plausible dans la mesure où il est lié " à l’essence militaire de la noblesse. L’émigration ne fait que renforcer cette probabilité qui demeure en permanence à l’horizon politique de la province ". Toute la question tourne autour de l’interprétation des lois, et invoquer celle du serment révolutionnaire comme gage de civisme ne signifie rien d’autre qu’une opposition franche à donner la priorité au principe, fondamental aux yeux des autorités, qu’est la propriété. N’allons pourtant pas jusqu’à affirmer l’existence d’une confrontation entre la municipalité et son district de tutelle, car il semble que les relations viennent à se normaliser : une séance du directoire fait référence à un détachement de 12 gardes nationaux de Hédé qui ont été légalement appelés par la municipalité de Québriac. La visite domiciliaire mériterait même " des éloges par la prudence, la modération et la discipline ". Ils seront même rémunérés plus de 13 £ au total, car il " seroit injuste que les citoyens qui veulent bien sacrifier leur repos personnel au maintien de l’ordre public, ne fussent pas dédommagés ".


    Le libéralisme du gouvernement trouve donc bien ses limites dans la réalité locale, et la garde nationale de Hédé anticipe les mesures répressives par son intransigeance précoce contre les opposants. Mais cet engagement radical est-il partagé par les communes voisines ?

    3. La garde de nuit et les nouvelles solidarités

    Suite à la déclaration de guerre du 20 avril, la France se retrouve rapidement à faire face à l’ensemble de l’Europe monarchique coalisée, ce qui oblige l’Assemblée à promulguer l’arrêté du 11 juillet 1792 qui déclare " la Patrie en danger " : de toutes les provinces partent des bataillons destinés à renforcer les frontières. La Bretagne est aux avant-postes en cas de débarquement anglais tandis que les " ennemis de l’intérieur " peuvent plus que jamais être tentés de rejoindre les armées coalisées, ou fomenter une conspiration. Face à la psychose, la municipalité ordonne donc à " tous les citoyens en état de porter les armes [de] se mettre en activité, [et] sont tenus de faire leurs déclarations devant la municipalité du nombre et de la nature des armes et munitions dont ils sont pourvus ".

    Le conseil général sollicite ensuite la réactivation de la garde de nuit " pour s’assurer des intentions hostilles ou amies des voyageurs " en contrôlant leurs passe-port. On fait remarquer alors que Hédé souffre du handicap que ses " jeunes gens pénétrés de l’amour de la patrie, se sont enrollés dans les volontaires nationaux et dans les troupes pour remplir le déficit de l’armée ", et qu’il ne reste à Hédé que des " laboureurs, artisants et journaliers peu aisés [qui] seraient excessivement grévés s’ils étaient chargés de monter des gardes très fréquentes ". Ce service serait donc d’utilité publique, et à ce titre, doit être l’affaire de tout le canton : on propose au district que chacune des 7 paroisses fournisse des gardes en fonction de sa population. L’avantage serait aussi " d’accoutumer au maniement des armes les habitants de nos campagnes qui, pour la plupart, y sont très peu familiarisés ".

    Autrement dit, Hédé sollicite l’autorisation de faire jouer la solidarité des gardes nationaux réorganisés depuis le début de l’année dans le cadre cantonal. Le commandant Belletier se signale par un certain réalisme sur la situation complexe que risque d’engendrer cette décision. Il prie le district d’envoyer à chacun des capitaines de compagnie un exemplaire de l’arrêté que le directoire prendra à cet égard. En effet, il craint de donner lui-même cet ordre à ses officiers car " ils n’auront nuls égards à ce que je leur écrirais de moi-même. Les campagnes si [sic] aigrissent et ce n’est que par la douceur et un courage, ferme apuie de la loi, qu’on peut venir à bout de nos chers frères égagrés [sic] ".
    Le lendemain, le district donne son accord, " considérant qu’il y a environ 600 citoyens inscrits du nombre des gardes nationaux du canton de Hédé ". La garde de nuit ne serait qu’un " léger sacrifice " car chaque citoyen ne serait appelé qu’environ tous les 2 mois, à charge pour les municipalités de taxer les récalcitrants. Ainsi, les 7 communes reçoivent cet ordre de réquisition : " la position de la ville de Hédé […] sur la route de Gersey a déterminé le conseil du district à prendre les précautions de sûreté […]et nous sommes persuadés que votre garde nationale regardera comme un honneur et un plaisir de concourir avec tous les bons citoyens à assurer notre tranquillité intérieure ".
    L’utopie de l’unanimité civique au sein du canton se heurte à une opposition viscérale de Bazouges et Saint-Symphorien, qui se coalisent afin de rédiger un véritable pamphlet contre les hédéens. La garde de nuit est comparée à une " corvée " lourde de sens. Elles ne se privent pas d’ironiser sur le fait que les gardes nationaux de Hédé étaient venus pourtant nombreux pour fermer leurs églises (même si le nombre de 300 est plus qu’exagéré), mais que désormais, la ville aurait besoin de la solidarité des frères des campagnes pour ce que l’on croit être une surveillance de leurs propriétés menacées par les ennemis publics. Il est évident que la crainte d’attaques de brigands, et même des loups (surtout en Bretagne !) relève plus du fantasme dramatisé que de la réalité : les sensibilités populaires sont largement héritières des peurs multiséculaires, encore très vivaces dans les campagnes. Ils acceptent à la rigueur d’organiser un service de nuit dans leur propre paroisse, mais seulement sous le coup de la nécessité car la défense nationale dans la mentalité villageoise ne peut se faire au-delà des limites paroissiales. La question de se rendre à Hédé ne se pose même pas, car le refus est clairement le fruit des rancoeurs passées. Le vocabulaire employé est sans équivoque : la ville veut " soumettre ", " écraser ", " opprimer ", et en cela, elle pousse à la " dissenssion civile ". D’ailleurs, la municipalité de Saint-Symphorien motive son refus car " nous sommes battu, maltreté des jan de Hédé jusqu’aux fammes qu’on a trainé par les cheveux. San revenan de Hédé a san les atandre dan les gran chemains, une autre fille le jour qu’on fairma l’église de Saint-Symphorien, des jan de Hédé lui my le pistolet proche l’oraille lui disan que cy elle bouget, il a let lui quurer la servelle ". Le propos est sûrement exagéré mais les interventions musclées des gardes nationaux ont largement frappé les esprits.

    C’est sûrement la raison pour laquelle Langouët ne motive pas son refus : n’ayant pas subi d’exactions de la part des bleus, aucun ressentiment n’apparaît dans une lettre adressée à la municipalité de Hédé. Elle a monté une garde de 4 hommes et espérait même que la ville dispose "  aux moins une compagnie de chinquante[sic] ou soixante homme à nous envoyer pour nous secourir ", car ici aussi, on a peur des brigands. Leur faible nombre d’habitants les oblige pourtant à surveiller le passage de Rennes à Dinan, alors " commens voullés vous que nous nous transporterions chest vous pour lesser notre bour à l’abandon ". Mais attention, nous ne partageons pas l’idée d’une opposition ville/campagne, mais plutôt l’application de l’adage du " chacun chez soi " car Langouët parle de la " surté de nos campagnes ", " pour nous garder sur nottre passage que vous dans votre ville ". La lettre s’achève par un " nous sommes avec fraternité, Messieurs, vos frères et amis les officiers municipaux de Langouët ", signe que le dialogue est possible, à moins qu’il ne s’agisse d’un simple conformisme administratif.

    Le district se charge de rappeler à ces 3 communes la loi du 14 octobre 1791 car " sous aucun prétexte, la garde nationale ne pourra s’organiser par commune […], par l’effet du lien de la fraternité qui se resserrait davantage par la réunion des gardes nationaux dans un centre commun. Enfin, nous vous conjurons, MM, au nom de la patrie, de maintenir de tout votre pouvoir l’union, la concorde et l’harmonie ". Peine perdue, le 24 juillet, aucun des gardes nationaux de Bazouges, Saint-Symphorien ou Langouët ne se présente à Hédé pour le service de nuit. Et encore, les capitaines des compagnies de Vignoc et Saint-Gondran signalent qu’ils effectueront leur tour de garde mais " ils ne pouvoient répondre que d’eux […] ils ne pouvoient forcer les soldats de leur compagnie à la monter à Hédé ". Nous sommes donc loin du patriotisme systématique que R.Dupuy voit dans toutes les gardes nationales. Les officiers municipaux ne perdent pourtant pas espoir, et comptent sur un sursaut citoyen lorsque " les autres compagnies, voyant l’amitié et l’harmonie qui règne entre les 3 compagnies de Guipel et celles de Hédé, s’empressent d’elles-mêmes à concourir à leurs fatigues ".
    L’illusion sera de courte durée car un incident met véritablement le feu aux poudres. Les gardes nationales de nuit dans les communes rurales se sont transformées en milices paroissiales permanentes. Il s’agit bien de milices blanches chargées, non pas de protéger un prêtre réfractaire, mais bien de défendre le patrimoine communautaire, et le cidre en fait partie ! Réaction de défense en cas de nouvelles incursions des bleus et des brigands (l’amalgame est rapidement effectué), le refus de reconnaître la légitimité des biens nationaux s’ajoute au fait qu’un bourgeois de Hédé s’en porta acquéreur. Méfions-nous pourtant de la théorie de P.Bois : la concurrence autour des biens nationaux comme source du conflit bourgeois/paysans fausserait la lecture de ce conflit. Voyons y plutôt un conservatisme qui rechigne aux exigences pesantes du pouvoir central, provoquant un réflexe défensif spontané : une résistance passive qui tourne mal, en quelque sorte, car ne professent-ils pas un patriotisme fidèle pour rassurer les autorités ?
    Hédé s’insurge contre cette force militaire parallèle et menaçante, sur laquelle le commandant Belletier n’a plus strictement le moindre contrôle, et accuse ces " traîtres " d’être à la solde du maire de Bazouges Pollet, un espion supposé des émigrés. Or, un rapprochement est rapidement effectué par Belletier puisque le capitaine de la compagnie de Saint-Symphorien n’est autre que de Bréal, " cet ex noble, connus par son incivisme, son apostalie, […] violemment soupçonné d’être la cause de leurs égaremens et en leurs faisant dire la messe à sa chapelle domestique […]. Si je ne m’étois pas porté chez lui, 120 hommes armés sortant de l’exercice voulaient le masacrer et réduire son château en cendre. J’ai seu les contenir ". Un affrontement entre gardes nationaux a donc été évité de justesse car il y a fort à parier que la milice se Saint-Symphorien ne serait pas restée inactive. En effet, la violence s’affirme comme le dernier recours nécessaire à une communauté pour sauvegarder son honneur bafoué, et si par malheur les relais locaux de l’Etat-nation sont déterminés à faire triompher les principes de la raison, alors l’affrontement devient inévitable. De Bréal, en démissionnant de son grade, est une preuve pour Belletier qu’il se désolidarise de la lutte contre les émigrés, et ferait entrer sa compagnie par contre-coup dans une résistance armée et " fanatique " à la Révolution. Ce raisonnement manichéen n’est en fait que l’expression d’un sentiment nouveau pour Hédé, celui d’être assiégée par ses propres " frères " devenus des " traîtres " : elle prend conscience que le temps de rallier politiquement le peuple par une persuasion pacifique est révolu. Il faut résister à la tentation de conclure que ces troubles résultent d’une offensive de la bourgeoisie et des couches populaires hédéennes qui, en patriotes convaincus, essaieraient de ravir le pouvoir local aux gros laboureurs, nobles et petits bourgeois ruraux : l’enjeu reste toujours le même, rallier à sa bannière les petites et moyennes paysanneries du canton. C’est du moins ce que pense C.Lucas dans son observation, à propos des scissions de gardes nationales en 2 gardes rivales dans le Beaujolais. A l’échelle villageoise, il privilégie les luttes de faction, mais les solidarités au sein du canton de Hédé nous paraissent faire jouer également les ressorts du clientélisme intercommunal : souvenons-nous du premier chapitre, et des liens socio-économiques qu’entretiennent Pollet et de Bréal avec leurs paroissiens, ou bien encore entre la bourgeoisie hédéenne et la paysannerie de Guipel (Allix serait-il cet intermédiaire culturel qui a façonné les liens entre les 2 communes ?)

    Cependant, la municipalité de Saint-Symphorien cherche l’apaisement en signalant au district que " nous ne voulons poien des querelles avec personne mais nous suivrons la Constitution autant qu’il nous sera possible et de maintenir et du sensionment [sic] du roi ". N’est-ce pas avouer implicitement qu’ils n’accepteront pas toutes les exigences des autorités ? La situation reste donc bloquée.

    Le lendemain, le district tente de ramener le calme en écrivant aux 3 communes égarées, car si " chaque municipalité s’obstinoit à vouloir diriger à son gré les gardes nationales de son territoire et les employer à ses seuls besoins, la force publique ainsi divisée deviendroit absoluement nulle ", et le directoire a pensé que Hédé était " le passage le plus habituel des émigrés et de leurs correspondances ". Cette garde de nuit n’a pas pour " objet l’utilité particulière de Hédé, de ses habitants et de leurs propriétés ou d’étendre l’autorité de cette ville […] que si chaque municipalité prétendoit s’isoler par un esprit de rivalité malmentendu [sic] contre le chef lieu du canton, cette désunion opèreroit infailliblement le triomphe de nos ennemis ". Cet ultime appel à la raison est un échec complet, le district ne disposant d’aucun moyen pour les forcer à effectuer ce service, la municipalité de Hédé se plaint le 21 août d’être la seule, avec l’aide de Guipel, à acquitter ce " fardeau " car la ville a déjà "  fournit environ 40 hommes pour les frontières " dans l’entre-temps : elle se voit obligée de réduire la garde à 6 hommes, et n’aura lieu que jusqu’à 11 heures du soir.

    Cet épisode nous semble très révélateur de l’ambiance régnante dans le canton. Entre un complot aristocratique et une manipulation par les autorités révolutionnaires, il s’agit bien d’un " costume ", produit par le contexte politique, qui habille un conflit communautaire. Le canton, qui n’est pourtant qu’une circonscription électorale dans cette première période, prend toute sa consistance dans le cadre de la garde nationale. Devenue un enjeu de pouvoir fratricide, elle révèle un réseau de solidarités qui fixe définitivement les 2 camps qui seront amenés à s’opposer durant toute la Révolution. : Hédé et Guipel partageant les idées patriotes face aux mécontents du nouvel ordre des choses. Il est intéressant de noter que Bazouges est la première à braver obstinément les décisions prises, devenant par la suite en quelque sorte un pôle émergeant du refus, auquel s’identifie des " imitateurs " au sein d’une sorte de " ligue intercommunale ".


    Les premières années révolutionnaires marquent indéniablement un engagement fort de Hédé, qui tente de susciter précocément une solidarité patriotique et diffuser les nouveaux principes d’Egalité et de Liberté face aux anciens cadres de la société. La réception dans les campagnes est somme toute modérée et l’engagement prudent : on se félicite du pouvoir communal qui rend leur autonomie aux nouveaux citoyens en devenir, même si les habitudes coutumières ne provoquent pas une participation massive aux diverses élections. Mais l’essentiel est sauf, les élus aux assemblées primaires respectent une représentation du canton partagée entre paysans et " citadins ". Les luttes agraires et antinobiliaires sont cautionnées par Hédé, provoquant de fait une jonction entre les aspirations bourgeoises et paysannes. La question religieuse et la radicalisation des bleus réveillent de vieux antagonismes et heurtent les susceptibilités communautaires, jalouses de leurs identités et prérogatives. Le fossé d’incompréhension qui en résulte ne peut plus que s’aggraver entre Hédé et ses campagnes. Mais elle trouvera en Guipel une alliée précieuse, car il vrai que Pollet sera dans un proche avenir le meneur de l’opposition aux républicains Deslandes, Gersin et Belletier : tous seront " à la tête de ce qu’on hésite encore à appeler les 2 partis, un ou quelques notables, bourgeois et notaires, regroupant leurs troupes […] ce phénomène de clientèle interfère, et parfois brouille en apparence la limpidité des affrontements de classe ". Le printemps 1793 et le gouvernement révolutionnaire n’arrangeront pas la situation car la répression de Mars 1793 signifie clairement désormais que l’on ne cherche plus l’adhésion mais la soumission aux lois de la République.

    Nous serons alors à nous demander s’il peut exister dans le canton de Hédé un jacobinisme rural à la mesure de l’engagement révolutionnaire de Hédé.