Pouvoirs et politisation : Hédé et son canton
( 1785 — An II)


II- LE POUVOIR LOCAL, ENTRE ADHÉSION ET MÉFIANCE (1789 — An II)

C. L’application de la politique religieuse

    La nouvelle législation sur la réorganisation du clergé a en quelque sorte une répercussion immédiate sur l’échelle locale car la population est amenée à découvrir les implications concrètes de la Révolution.

    1. Une circonscription paroissiale problématique

    Par le décret du 2 novembre 1789, les biens du clergé sont mis à la disposition de la nation, dont une partie sera mis en vente. L’acte fondateur reste bien évidemment la Constitution civile du Clergé du 12 juillet 1790 car son objectif est de ramener l’Eglise à sa simplicité primitive et de l’incorporer aux cadres de l’Etat en faisant correspondre l’étendue d’un évêché au département, et la paroisse à la commune. L’article VI du titre I prône la modification de la circonscription des paroisses afin de rationaliser et mettre en adéquation leur superficie, le nombre des fidèles et les desservants ecclésiastiques 1.

    Des ingénieurs et géomètres sont donc envoyés à travers le département et évêché de Rennes pour effectuer la délimitation en tenant compte des paysages, du relief, et de la qualité des chemins pour la commodité de déplacement des fidèles. Hédé comprend rapidement le profit qu’elle peut en retirer car voici l’occasion d’être érigée et reconnue officiellement comme paroisse. Elle s’empresse de faire une demande auprès du district pour que les " biens du prieuré soient distraits de l’adjudication par enchères, pour y loger recteur et curé 2", afin que la ville puisse les acquérir à moindre frais car elle ne dispose pas de presbytère. Or, les bâtiments du prieuré en feraient idéalement les fonctions, surtout qu’ils se situent autour de l’église. Sachant qu’elle est devenue chef-lieu de canton, " on ne peut douter que Hédé devienne une paroisse considérable par sa situation, sa localité, sa solidité et la grandeur de son église ". L’obstacle majeur reste son faible nombre d’habitants, alors qu’à cela ne tienne, pour appuyer ces arguments, on soutient que Hédé est " borné de toutes parts par de petites paroisses voisinnes et qui paraissent naturellement devoir y être réunis " au sein d’une seule et même paroisse dont elle serait le chef-lieu spirituel. L’argumentation est assez simple car la réunion de Saint-Symphorien, Bazouges, Saint-Méloir et Hédé formerait une entité de 2000 âmes selon les officiers municipaux. La municipalité de Saint-Symphorien nourrit assez rapidement certaines inquiétudes à être réunis à sa voisine, ce qui est loin de l’enthousiasmer puisqu’elle réclame la conservation de sa paroisse, " ou au moins sa réunion à quelqu’autre paroisse de campagne 3", donc toute solution est envisageable mais surtout pas celle de Hédé ! En effet, il serait plus pratique de se rendre à l’église de Hédé, plus proche de la plupart d’entre-eux : par exemple, " l’église de Bazouges à une demie lieue de Hédé, est placée à l’extrémité septentrionale de la paroisse, son bourg est l’un des plus isolés et l’un des plus mal sittué du diocèse : les deux tiers des paroissiens au moins n’assistent aux cérémonies pieuses qu’à Hédé 4". Si nous ne disposons d’aucun moyen de vérifier cette affirmation, il va sans dire que de tels propos ont un parfum de rivalité ancestrale suite à des arguments aiguisés par un procès mémorable. L’autre avantage serait bien évidemment l’économie car un " curé et deux vicaires deserviraient dans cette paroisse avec beaucoup plus de facilité que ne le font aujourd’hui 7 prêtres ". Il semble bien que cet élan annexionniste et démesuré s’affirme lorsque la municipalité propose même qu’une partie des paroissiens de Saint-Gondran, Langouët, Guipel, Tinténiac, Saint-Brieuc-les-Iffs et Vignoc fassent l’objet de la réunion au sein de l’arrondissement de Hédé 5, soit environ 5000 âmes ! Un seul presbytère et une seule église seraient dès lors à entretenir au lieu des 6 ou 7 actuels.

    Dans un premier temps, le district paraît alléché par " la solidité de ses motifs " au nom de l’utilité publique, mais concernant le prieuré, plusieurs décrets stipulent clairement qu’une municipalité ne peut être dispensée d’enchérir au même titre que tout autre particulier : les biens du prieuré ne seront donc extrait de la mise aux enchères des biens nationaux, décision que confirme le département quelques jours plus tard 6. La municipalité fait alors appel à deux experts pour estimer le prieuré (11647 £ 10s) et l’hôpital par la même occasion (8857 £ 9s) 7. Or, c’est sur cette base qu’un décret officiel de l’Assemblée Nationale du 19 janvier 1791 déclare vendre ces deux biens nationaux à la municipalité de Hédé 8, qui nomme le 19 juillet suivant deux commissaires pour être présents à leur vente qui va se dérouler à Rennes. Elle les charge une ultime fois de demander aux autorités du département d’extraire de cette vente au moins la maison prieurale pour réduire le coût. Il semble que les directeurs aient accepté cet appel, mais ils nomment tout de même un ingénieur pour effectuer un devis pour les réparations à apporter au futur presbytère et surtout, vérifier si " une partie ne peut être distraite pour être vendue comme les autres biens nationaux ". Visiblement, le directoire accepte à contre-cœur la décision de l’Assemblée car il espérait sans doute tirer davantage d’argent du prieuré.

    Dans l’entre-temps, Hédé n’a pas oublié son projet paroissial car le 5 avril 1791, elle refait la même argumentation qu’en octobre dernier, mais cette fois, ajoute que son église peut contenir 4000 personnes (!), qu’elle est un carrefour de communication entre Rennes, Dol, Saint-Malo,… 9, que tous les villages visés sont " dans la banlieue de la ville de Hédé " qui n’est " en aucun tems gesné par le débordement des eaux. L’air de cette ville est très sain " donc il faut comprendre qu’elle est le parfait contraire de Bazouges, sur un ton quelque peu méprisant !

    Elle obtient finalement gain de cause en devenant une paroisse, mais cette décision a un goût amer pour les hédéens car le curé constitutionnel Olliviéro ne vient toujours pas s’installer dans le presbytère 10 que la ville a acquis exprès pour lui : " il ne reste plus à Hédé qu’un ecclésiastique ex-carme [Boursin] et qu’il ne s’y célébrera qu’une seule messe les dimanches par ce prêtre assermenté, le curé constitutionnel de la paroisse de Hédé qui l’est en même tems de Bazouges-sous-Hédé à près d’une lieue de cette ville " réside toujours dans son presbytère qui " trempe dans un marais insalubre, au coinq d’une forest et d’une lande de 3 à 4000 arpents […] Ces considérations ont déterminé M. Even ingénieur, chargé de la confiance du district de Rennes, en arondissant les paroisses de ce district, à penser que la paroisse de Bazouges-sous-Hédé devoit être supprimée et réunie avec celle de Hédé. Cette réunion est déjà toute opérée puisque depuis plus de 3 siècles le même curé dessert ces 2 paroisses. L’ouvrage de M. Even n’étant pas fini […] mais vous pouvez provisoirement juger que le curé de Hédé et Bazouges résidera à Hédé  11".

    Or, le 20 juin 1792, Even remet effectivement au directoire du district son projet définitif de circonscription, où il a tenu compte d’une distance maximale de _ de lieues entre un paroissien et son lieu de culte. Ce critère pragmatique l’amène donc à proposer, pour le canton de Hédé, la suppression des paroisses de Saint-Symphorien, Saint-Gondran, Saint-Méloir, Langan et que " l’on transfère celle de Bazouges-sous-Hédé dans la ville de Hédé 12". Pour ce qui est de Saint-Symphorien et Saint-Gondran, nous y reviendrons, mais concernant Bazouges, le district avait déjà mis à exécution cette réunion un mois plus tôt en ordonnant que Olliviéro " fixe son domicile au centre de sa paroisse, que la ville de Hédé étant destiné à former le chef-lieu des deux paroisses. En s’y établissant dès à présent, il ne fera qu’accélérer une réunion utile et désirable 13". Or, cette décision implique la fermeture de l’église car " il seroit impossible au curé de Hédé et Bazouges de soutenir les fatigues de sa cure, s’il étoit obligé de se transporter successivement dans les deux églises ". Il faut bien savoir que par cette fermeture, l’intérêt de l’Etat est bien évidemment de faire des économies substantielles : depuis la Constitution civile, tous les ecclésiastiques sont des fonctionnaires rémunérés par les Caisses de l’Extraordinaire. Or, ces dernières se sont rapidement retrouvées vides malgré la vente des biens nationaux. Afin de renflouer le budget de l’Etat, des églises sont fermées pour réduire le nombre de prêtres à rémunérer, et récupérer l’argenterie de ces édifices qui sera fondue à l’Hôtel des Monnaies à Rennes 14. Ainsi, le maire de Hédé, accompagné de ses officiers municipaux et d’un détachement de la garde nationale commandée par le commandant Belletier, se rendent à Bazouges le 5 mai 1792 à 2 heures du matin, pour procéder à la fermeture. " Après avoir adoré le Saint-Sacrement ", les effets et ornements sont chargés sur une charrette, tout comme les " deux battans des cloches de Bazouges, que nous avons été obligés de faire descendre sur les menaces de quelques paroissiens de Bazouges qui annonçaient que demain, ils feraient sonner les dittes cloches pour procurer un rassemblement qui pourait nuire à la chose publique […]. Au surplus, pour nous saisir de l’argenterie 15 […] même de deux bannières, nous avons été faute de représentation des clefs, obligés de faire sauter deux serrures de deux petites armoires de la sacristie […] avons de plus apposé les scellés sur la porte de la sacristie, et sur les trois portes extérieure de la ditte église de Bazouges et fait afficher l’arrêté du département du 3 mai sur la principale porte d’entrée 16". Le fait déjà que cette opération se déroule dans la discrétion de la nuit prouve déjà que les bleus de Hédé ont conscience de leur impopularité, même s’ils partent du principe qu’ils ne font qu’appliquer une décision. L’idée que l’église soit un bien national reste pourtant une notion bien abstraite pour les paroissiens de Bazouges : s’ils souhaitent que ces biens servent à l’entretien du clergé, ce dernier fait partie intégrante de la communauté. Le fait que Gersin acquerra le presbytère et ses dépendances n’arrangera sûrement la donne 17. S’opposer à la fermeture est une chose, mais c’est bien pour défendre leur prêtre censé répondre à leurs besoins spirituels. Le transfert de l’argenterie risque d’être vécu comme une justification légale d’un vol, et qui d’autres que les bleus de Hédé peuvent symboliser, par effet de projection, la Révolution et son geste profanatoire. Il est pourtant difficile de les taxer d’irréligion voire d’anticléricalisme, au vu du signe de respect effectué envers l’hostie sacrée dès leur entrée dans l’église. D’ailleurs, la réquisition de l’argenterie ne fait qu’obéir à la loi du 10 septembre 1792, consistante à ne laisser que le stricte minimum pour assurer le culte. Un état de dépôt du 14 novembre signale que l’Hôtel des monnaies a reçu le 19 octobre l’argenterie de Hédé (environ 15 marcs), Bazouges (25 marcs), Guipel (7 marcs), et Saint-Symphorien (une seule croix, 10 marcs). Mais apparemment, Vignoc, Langouët et Saint-Gondran n’ont toujours rien livré à Rennes 18.

    De plus, toutes les cérémonies religieuses devront être désormais effectuées dans l’église de Hédé, mais il semble bien que les habitants ne l’entendent pas de cette oreille, et boudent la messe de la ville 19. Or, une pétition est adressée au district le 11 juin 1792, rédigée " sous le chapiteau de notre église fermée ", et signée par une centaine d’habitants de Bazouges, tous des hommes, donc autrement dit, il s’agit d’une mobilisation de masse de toute la paroisse, à laquelle se joint celle de Saint-Méloir qui " consent à ce réunir à notre paroisse 20". Le message y est sans ambiguïté car " nous savions, Messieurs, que les habitants de Hédé, succursale de notre paroisse, employeraient dans le nouvel ordre des chose, tout l’artifice possible pour détruire notre église, puisque leurs efforts de 50 années de procédures n’avoient pu nous priver de la résidence d’un recteur […]. Aujourd’hui, leur ambition se porte plus loin […], détruire ce temple que nos ayeux ont fait bâtir, s’approprier nos ornements et vases sacrés dont nous l’avions orné à nos propres dépens, et enfin, nous attacher à leur église que nous ne reconnaîtrons jamais pour la nôtre ". Afin de justifier leur mécontentement, le rédacteur qui n’est autre que Pollet, fait référence au titre premier art.17 de la Constitution civile concernant la circonscription paroissiale qui devra respecter les "  besoins des peuples, la dignité du culte et les différentes localités ". Or, lorsque l’ingénieur Even a procédé à cette opération, il n’a pas " appelé quelques uns de notre municipalité pour lui faire connoître les limites naturelles de notre paroisse, et qu’il se soit rapporté pour cette désignation à ceux même qui méditent depuis 50 ans notre destruction ". Les officiers municipaux auraient donc menti sur de nombreux points car leur église serait au centre de leur paroisse face à une " ville qui jusqu’à présent a été desservie par un seul vicaire et sans éprouver aucune gêne ", et aucun paroissien de Bazouges ne s’est jamais rendu au culte à Hédé, car son église est trop éloignée et pénible d’accès : d’ailleurs, la pétition transforme la colline en " une chaîne de montagnes " ! Encore une fois, " la ville de Hédé est condamnable de vouloir concentrer dans son enceinte l’administration du culte public et d’en priver par là des laboureurs qui n’ont pas montré moins de zèle pour la Constitution, qui la bénissent ".

    Hormis l’esprit de clocher qui oppose d’un côté une ville soucieuse de profiter des conséquences de la politique religieuse, de l’autre, la rancœur d’une paroisse rurale qui voit en Hédé l’arrogance avide de pouvoir, il est évident que cette confrontation ne porte pas sur des options politiques, et encore moins sur une opposition entre la bourgeoisie urbaine et les paysans des campagnes comme le laisse penser P.Bois. Hédé cherche par tous les moyens de récupérer un pouvoir spirituel, symbolisé par un siège paroissial indissociable de son recteur. Les problèmes financiers de l’Etat ne lui permettent pas de financer un ecclésiastique par paroisse, et la fermeture de Bazouges, qui plus est par la garde nationale de Hédé, achève de conforter aux yeux de ces paysans que la ville porte atteinte au patrimoine communautaire, mais ils ne font pas référence à une religion schismatique ou à une mise en danger du salut de leur âme. Le mécontentement se base sur un vide pastoral inconnu jusqu’alors, car l’église fait partie intégrante de leur identité transmise par leurs ancêtres. Il fait suite à un " processus d’identification des individus passant par l’appartenance volontaire ou imposée à des groupes qui ont une prédilection pour certains lieux où s’exprime leur forme particulière de sociabilité. Cela entraîne des investissements affectifs considérables dès la petite enfance 21". Hors de question donc de se rendre à Hédé ! Seulement, le maire de Bazouges se retrouve dans une situation à la fois inconfortable et ambiguë, car le 12 juin, il écrit à la municipalité de Hédé pour leur faire partager ses inquiétudes. Suite à la fermeture, Pollet a " recommandé l’obéissance à la loi ", mais ses concitoyens " ont perdu la tête, ils ne savent à qui s’en prendre, ils m’ont accusé de n’avoir pas empêché cette clôture, ce qui est ridicule ". Lui et ses officiers municipaux se plaignent d’être menacés constamment et " hier, quelques paroissiens m’apportèrent une pétition pour la souscrire. Ayant d’abord refusé, on me fit des menaces, et je signai pour avoir la paix  22". Certes, mais comment explique-t-il alors que la pétition ait-été rédigée de sa main ? Il est même l’un des premiers signataires si l’on suit l’ordre des paraphes.


    Le débat ne porte donc pas encore sur le serment, mais cette question va rapidement aviver des tensions car les opposants à la Révolution vont tout mettre en œuvre pour l’exploiter.

    2. La question fondamentale du serment constitutionnel

    La Constitution civile fait des ecclésiastiques autant de fonctionnaires dont le traitement est assuré par l’Etat désormais. L’ensemble du personnel religieux ne se divisera pas à propos de ce nouveau statut, mais bien sur le serment de fidélité " à la Nation, à la Loi, et au Roi ", exigé de tous les fonctionnaires par le décret du 27 novembre 1790. Vu les revenus d’Ancien Régime de la plupart des prêtres du canton, le traitement qu’offre dorénavant la Constitution civile peut apparaître comme une véritable bénédiction : les pensions des recteurs passent à 1200 £ minimum par an, contre 700 £ pour les vicaires. Ainsi, un tableau de traitement des fonctionnaires ecclésiastiques du district signale qu’en 1791, ces sommes sont effectivement perçues et rien de plus. Par exemple, le recteur Mottay touche 1200 £, et Duclos le vicaire de Vignoc 700 £ 23. Mais cet argument financier peut-il avoir un impact sur la prestation de serment ? En effet, pour nombre d’entre-eux, cela pose un véritable cas de conscience car " pouvait-on jurer d’être fidèle à une organisation de l’Eglise que l’immense majorité des évêques mais aussi beaucoup d’éminents et respectables théologiens et canonistes jugeaient au moins schismatique sinon hérétique 24". Le problème est effectivement assez grave car le serment va scinder le clergé en deux : les assermentés acceptant la fidélité à la Constitution, et les insermentés la refusant catégoriquement. La Bretagne va ainsi faire partie des provinces massivement réfractaires, et par exemple, le département d’Ille-et-Vilaine ne compte que 16,4 % de jureurs 25: comme quoi, le préjudice moral semble avoir eu un rôle bien plus important que les considérations matérielles. La canton de Hédé ne fait pas exception car tous refusent le serment, tous sauf deux : Olliviéro qui jure fidélité le 8 février 1791, un mois après son vicaire Laurent Boursin. Ce dernier ne reste pourtant pas bien longtemps à Hédé car il est élu le 18 septembre suivant comme curé constitutionnel de Montreuil-le-Gast. Cette perte avait été déjà compensée par son oncle Julien Augustin Boursin, ex-carme à Rennes et jureur, qui avait quitté son couvent en avril 1791 pour venir apporter son aide à Olliviéro 26. A notre grand regret, nous ne disposons d’aucune déclaration pour avancer les dates et les raisons précises qui ont motivé les prises de position de tous les prêtres du canton : pour ce qui est des jureurs, elle fait certainement suite à un rappel des autorités du district en janvier 1791, qui précise que tout refus de soumission entraînera un remplacement dans les deux mois, mais Olliviéro avait déjà fait preuve de son patriotisme.

    Mais pour ce qui est des réfractaires du canton, leur choix est-il devenu définitif avant le bref pontifical Quod aliquantum du mars 1791 qui condamne officiellement la Constitution civile du Clergé ? Quel est le rôle des pressions hiérarchiques et celles des paroissiens ? Car en effet, il faut bien avouer qu’ils risquent d’être dépassés par des enjeux théologiques bien abstraits, mais T. Tackett parle quant à lui d’une véritable symbiose avec les fidèles, " les pressions populaires exercées sur les prêtres pour les faire accepter ou refuser le serment ". Il est essentiel alors de conserver la confiance de ses ouailles et suivre son opinion, généralement marquée par le souci du salut des âmes, même s’il ne faut pas non plus négliger les correspondances et les réunions entre prêtres portant sur cette question : le curé isolé dans sa paroisse est bien un cliché car " à peine l’Assemblée Nationale avait-elle décrété les premiers articles de cette Constitution, que de fréquents conciliabules se tenaient chez lui [le recteur Costard], sous prétexte de repas où figuraient le sieur Maignan curé de la Mézière, l’abbé de la Croix ci-devant chanoine de Rennes, le sieur Lepelletier curé de la Chapelle-Chaussée district de Montfort, le sieur Couëlla chapelain des Ursulines de Hédé et autres prêtres trop connus par leur fanatisme. Le résultat de ces assemblées a été que tous ceux qui y assistaient n’ont point prêté le serment décrété par la loi ". A travers du réseau complexe des relations qui unissent le corps, il conviendrait d’évoquer comme le fait M.Vovelle, un équilibre subtil où se mêle autonomie cléricale et reflet du climat général. Révélateur d’une césure profonde qui ira en s’amplifiant, ce test révèle par extension l’adhésion ou le refus populaire à l’ordre révolutionnaire.

    Les difficultés de l’Eglise constitutionnelle ne font alors que commencer car si l’actuel évêque de Rennes, Bareau de Girac, est destitué en février 1791, pour être rapidement remplacé par Claude Le Coz, il n’en va pas de même dans le reste du département. La pénurie d’assermentés est un mal endémique qui va toucher concrètement le canton de Hédé. Le remplacement des insermentés ne peut être effectué entièrement, tandis que pour les paroisses qui peuvent en bénéficier, l’arrivée de l’intrus peut s’y avérer complexe.

    Il en va du nouveau recteur assermenté de Guipel, Jean Joseph Dautry. Né le 9 mars 1760, il est installé à cette cure le 28 juin 1791 mais son accueil est plutôt froid, même si la garde nationale de Hédé l’a accompagné jusqu’à l’intérieur de l’église pour suivre sa messe. La présence de quelques femmes et le conformisme des officiers municipaux ne sauraient masquer la méfiance de la population, d’autant que Bouëssel s’est arrangé pour emporter tous les objets cultuels ! Or, leur premier comportement n’est pas un rejet massif et violent qui exprimerait la peur que ce lieu soit profané par l’intrus. Non, car les gardes nationaux sortent de l’église pour convaincre ce scepticisme ambiant. Bouëssel leur avait sûrement parlé du risque d’écouter la messe d’un curé schismatique qui irait à l’encontre du dogme catholique : sa courte présence d’une année n’a-t-elle pas suffi pour tisser des liens de confiance avec ses fidèles au point que ces derniers ne soient " fanatisés " ? Pourtant, il est évident que les patriotes de Hédé jouissent auprès de Guipel d’un crédit de confiance suffisant pour que ces paroissiens acceptent de mettre Dautry à l’essai : c’est un succès.

    Une décision du district porte sur la réduction des effectifs ecclésiastiques et concerne directement Vignoc et Langouët qui n’auront plus qu’un seul prêtre chacune. La première reçoit le curé constitutionnel nommé Jean Brasseur, ordonné prêtre par Le Coz le 24 septembre 1791 : les conditions de son installation nous sont inconnues mais il est toujours présent dans cette paroisse jusqu’en l’an II, signe que là non plus, il n’a pas été rejeté malgré la présence de l’insermenté et concurrent Vitré. Pour ce qui est de Langouët, la situation est encore plus simple : ce n’est que le premier janvier 1793 que Le Coz accorde " au sieur Jean Baptiste Bohet cy devant curé de la paroisse de Chavagne, le pouvoir d’exercer dans la paroisse de Langouët […] à la place de curé provisoire pour la gloire de Dieu et le salut des âmes ". Or, il s’agit de la seule et unique fois que nous trouvons trace de ce curé, car il n’est pas classé dans les tableaux de recensement ou de traitement du district, preuve que son installation dans cette paroisse n’a pas été faite ou n’a guère duré.

    Si les curés constitutionnels sont effectivement installés pour 3 des 6 paroisses, la législation modérée à l’égard des réfractaires peut s’avérer catastrophique pour les jureurs. Le décret dit de Tolérance du 7 mai 1791 autorise les insermentés à rester dans leur paroisse et prononcer des messes basses dans l’église du moment qu’ils ne fassent pas de prosélytisme contre-révolutionnaire . Or, cette cohabitation peut s’avérer difficile pour les assermentés qui tentent de s’implanter dans le cœur des fidèles, comme le raconte Dautry au district : " Dans la cour du presbytère, il y a une étable, refuge à porc et un poullailler que l’héritière de Mr Reuzé a cédé à Mr Bouëssel. Ce Mr Bouëssel si connu pour son fanatisme outré, peut-il l’occuper ou le faire occuper contre mon gré étant sur un terrein reconnu former la cour du presbytère ". Même si l’insermenté réside à côté des porcs, il n’empêche que les 2 prêtres jouissent d’une proximité réciproque qui nous laisse imaginer une situation tendue !

    La législation tend enfin à se durcir dès la loi du 26 août 1792 qui ordonne la réclusion provisoire des réfractaires avant leur déportation. A ce moment précis, on peut imaginer que les constitutionnels soient satisfaits car ils vont enfin pouvoir exercer pleinement et librement leur culte. Par exemple, Julien Morin, recteur de Langouët, signale pour la dernière fois dans le registre des BMS " résider en ma paroisse ce 20 septembre 1792 […] qui n’a pas jurer ". Si Mottay signe pour la dernière fois à Saint-Gondran le 2 octobre 1792 (les autorités n’ont pas voulu l’expulser jusqu’à cette date ou s’est-il caché ?), il ne reste plus un seul prêtre réfractaire dans tout le canton car Duclos est envoyé à la prison du Mont-Saint-Michel, Morin et Vitré sont jetés dans les geôles rennaises. Quant à Mottay, il se serait rendu seul et sans escorte à la prison de la Trinité, mais Bouëssel avait déjà préféré fuir à Jersey (île de replie pour de nombreux réfractaires, où ils jouissent du soutien anglais) bien avant cette loi. Nous avons perdu temporairement la trace de Costard à la fin 1792, mais nous savons qu’il est entré en clandestinité.

    C’est bien ce que déplore Jean Josse, officier public qui signale dans le nouveau registre d’état-civil que les baptêmes et autres cérémonies sont effectués dans les paroisses de Hédé ou Vignoc " attendu que celle-ci [Langouët] est sand prêtre ". Serait-ce un signe que le culte constitutionnel ne dérange pas ces paroissiens ? Il est bien évident tout de même qu’il ne se risquerait pas à signaler que les habitants de Langouët peuvent très bien se rendre à des messes réfractaires clandestines.

    Cette loi répressive précède de peu la première grande mesure anticléricale de toute notre histoire, celle du 21 septembre 1792 : le nouveau dogme républicain laïcise les registres de catholicité en devenant l’état-civil, désormais transférés dans la maison commune. Cette simple formalité suscite déjà des réticences, car Gilles Laisné ci-devant greffier de Langouët, a refusé " de remettre aux mains des officiers municipaux les registres des naissances, mariages et décès ". Le district les enjoint donc à nommer 2 commissaires qui sommeront Laisné de remettre ces registres, " même de requérir un gendarme de la brigade de Hédé pour les accompagner ". Refuserait-il de reconnaître la nouvelle prérogative civile des autorités constituées sur ce ci-devant monopole symbolique de la religion ?

    Dorénavant, les citoyens pourront se marier devant le curé ou le maire, mais seul un officier public laïc sera habilité à enregistrer l’union pour le rendre officiellement valide : le mariage religieux n’est plus obligatoire. En effet, nous sommes dans un contexte de guerre, où les autorités assimilent désormais tous les prêtres à des contre-révolutionnaires par nature. Même les constitutionnels font l’objet de suspicion, ce qui les oblige à une surenchère de preuves patriotiques. Or, Hédé fait toujours confiance à Olliviéro car le 4 novembre 1792, il est élu officier public par 12 voix sur 13. C’est également le cas à Guipel où Dautry signe le registre dès le " 30 septembre 1792, l’an premier de la République ", ou encore à Vignoc avec Brasseur.

    De son côté, le district s’était déjà fait l’écho de ces lois en faisant référence aux plans d’arrondissement de Even, et en déclarant que Saint-Gondran fait partie des 7 paroisses dont la suppression est projetée. Mottay est en effet accusé par de nombreux constitutionnels des environs parmi lesquels celui de Tinténiac : Tricault dénonce qu’à Saint-Gondran, le peuple " y reçoit l’absurde mais dangereuse leçon que le patriotisme est un schisme et une hérésie qui sépare de l’église catholique romaine. On y administre la bénédiction nuptiale aux époux avant qu’ils aillent ou après qu’ils soient allés se marier devant les curés constitutionnels ", signe que le conformisme constitutionnel des paroissiens n’a qu’une valeur " formelle ", puisque la cérémonie catholique semble mieux leur convenir sur le plan religieux. C’est pourquoi le district déclare " qu’on ne saurait arrêter les progrès du mal que par l’éloignement des prêtres qui les desservent ", " le trésor public gagnera 18500 £ par an ". Le district de Rennes arrête donc la fermeture de ces églises, et la paroisse de Saint-Gondran sera réunie à celle de Hédé, mais ce n’est que le 6 novembre 1792, que Julien Riche (le principal notable de Saint-Gondran) acquiert à ferme le presbytère pour 230 £ annuelles. En un sens, cela confirme un état de fait puisque depuis 1791, Olliviéro s’occupait déjà du culte constitutionnel de ces paroissiens si l’on en croit la pétition des officiers municipaux de Hédé au directoire du département : " Notre curé bon patriote n’a pas attendu les récompenses pécuniaires promises par les décrets, pour prester son serment civique […]. Depuis plus d’un an, il dessert seul 3 paroisses et s’il est un curé dans le département qui ait bien mérité de la nation, s’est bien lui […], il a par sa conduite et ses discours prouvé que les prêtres citoyens sont également susceptibles d’aimer leur patrie ". Son patriotisme fait encore appel à un certain sacrifice à l’égard de l’état pitoyable de son presbytère : " Les dépenses excessives auxquelles la nation est entraînée par les frais immenses de la guerre, m’ont fait retarder jusqu’à ce jour à demander les réparations. Mais la Saint-Jean approche, il y aura alors un an que je serai en jouissance ".

    On pourrait jusqu’à présent nous reprocher de ne pas avoir fait référence à Saint-Symphorien. Ce n’est que justice, mais nous avons volontairement conservé cette paroisse pour la fin, au vu de son cas particulier. Jamais Costard ni son vicaire n’ont été remplacés par un assermenté, mais leur activité débordante peut être considérée comme l’élément fondateur des troubles dans tout le canton, hormis Guipel qui subit pour sa part les " bons soins " de Bouëssel. En effet, si Hédé proclame d’aussi bons éloges pour son curé, c’est pour mieux mettre en valeur le fait qu’il " a sauvé ses paroissiens de la contagion du mauvais exemple, et rendu une grande partie des habitans de nos campagnes amis de notre sage Constitution ". Signalons au passage que cette phrase illustre magnifiquement une charge péjorative à l’égard de leurs concitoyens : pour la bourgeoisie de Hédé, le monde rural est cette " partie de l’univers qui, parce qu’elle ne bénéficie pas des Lumières, reste dans les ténèbres, menacée par l’obscurantisme ". Les paysans seraient donc des gens simples et manipulables : il s’agit d’un leitmotiv que nous devrons avoir sans cesse à l’esprit tout au long de notre période, afin de comprendre la majeure partie des jugements hédéens sur les autres communes du canton. Mais pour lutter contre leur ignorance, Olliviéro apparaît comme un véritable missionnaire de la Révolution !

    Aucun des réfractaires n’avait prêté le serment d’allégeance réclamé par l’arrêt départemental du 15 avril 1792. Désormais considérés comme des ennemis de l’intérieur, voire même comme des traîtres, les constitutionnels y voient un bon moyen de se débarrasser de leurs concurrents, et le premier à réagir n’est autre que Dautry qui réclame la suppression de la paroisse de Saint-Symphorien et de Montreuil-sur-Ille dès le 11 mai : " leur anticivisme, leur rage contre la Constitution et plus encore leurs maisons qui jusqu’ici ont servi de refuge aux aristocrates les plus gangrenés […]…mais peut-être me taxera-t-on d’esprit de parti ? Il aisé de prouver le contraire. Des hommes qui ne veulent pas déclarer qu’ils n’entreprendront rien contre la constitution […] ne font-ils pas entendre qu’ils entreprennent contre la Constitution, qu’ils ne veulent pas être soumis à la loi […]. Les plaintes réitérées qu’on en a fait aux assemblées électorales et même au district, sont une preuve de la vérité que j’avance ". Dautry n’est pourtant pas le plus virulent car le curé constitutionnel de Chapelle-Chaussée Bouchard voit dans les 2 insermentés de Saint-Symphorien " 2 corbeaux voraces [qui] sont habituellement autour des malades de ma paroisse pour en dévorer la substance et à la fin, le soi disant intrus n’a pour partage qu’un puant cadavre ". Il est donc urgent de les expulser et fermer leur église car ils " ne cessent de vouloir allumer le flambeau d’une guerre de relligion ". Seul Olliviéro fait preuve d’un réalisme certain sur les origines mêmes de leur audience : " la paroisse de Bazouge, par un arrêté du département, est réunie à celle de Hédé, ils profitent du mécontentement des habitants de cette paroisse pour leur souffler le venin de l’aristocratie dont je peux dire les avoir préservé dans les tems passés […] ils méditeront une révolte, si vous ne prenez les moyens nécessaires pour détruire ce foyer de rébellion ". En faisant cette confidence aux officiers municipaux de Hédé, se trouve confirmée l’hypothèse que l’opposition de Bazouges n’a pas de fondement dogmatique ou politique, mais bien une rancœur qui va les jeter dans les bras de Costard, bienheureux de trouver un terrain favorable pour faire passer ses brûlots contre-révolutionnaires. Or, l’amalgame peut être rapidement effectué à cause d’un conflit de clocher : Hédé, qui avait échoué dans ses procédures judiciaires, se trouve désormais à la tête de la paroisse et a profané l’église de Bazouges. Olliviéro, en devenant curé constitutionnel à Hédé, achève d’accélérer le processus d’identification entre une ville dominatrice et la Révolution : suivre le culte à Hédé serait donc un acte politique d’adhésion. La grille de lecture schismatique apportée par les réfractaires n’a donc aucun mal à se superposer et attiser des haines villageoises : " L’Eglise et les campagnes, ayant le même adversaire, ont à mener le même combat contre la ville, foyer d’irréligion et siège d’un pouvoir nouveau, avide et méprisant ". Ce n’est pas tant le salut des paysans qui est en jeu dans la circonscription paroissiale, mais bien un rapport de force avec les autorités et ses représentants locaux, tels que Hédé. On impose des lois à la paysannerie sans la consulter : révolu est le temps des doléances… Mais attention, cette explication possible n’est valable que pour Bazouges, Saint-Symphorien ou Saint-Gondran, car les fidèles des autres paroisses peuvent très bien aussi refuser de suivre le culte constitutionnel, dans leur église " souillée " par l’intrus.

    La tension monte d’un cran car la municipalité de Hédé s’inquiète que les habitants de Bazouges sont tous abusés car ils " traversent notre petite ville en troupe de 40 à 60 hommes, ils sont armés de gros bâtons, insultent les citoyens de Hédé, menacent de les battre et vont avec ses bonne intentions chercher des messes à Saint-Symphorien, Saint-Brieuc-sous-les-Iffs, Saint-Gondran et Vignoc, à une lieue et demie et 2 lieues de leurs habitations. C’est dans ces petits bourgs que, coalisés avec les fanatiques qui arrivent en foule des paroisses déservies par les prêtres constitutionnels […]. Nous ne nous permettons aucune réflexion sur les inconvénients que peuvent résulter des rassemblemens […]. La circonscription des paroisses du département serait un remède curatif, la nation ne serait plus obligée d’avoir à sa solde des énergumènes qui fanatisent nos campagnes ". Ce passage est très important car il montre bien cette incompréhension des bleus de Hédé : les réfractaires seraient à l’origine du fanatisme en trompant les populations, alors fermez les églises, expulsez leurs prêtres incendiaires et la paix reviendra dans le cœur des citoyens provisoirement égarés : un curé patriote serait la garantie d’une paroisse patriote. Ces considérations aberrantes ne font pourtant que renforcer la désapprobation des paroissiens victimes de ces décisions : " les patriotes locaux se raidissent à vouloir appliquer strictement la loi, persuadés que le refus n’est dicté que par des considérations matérielles ou la soumission craintive et mécanique à la hiérarchie [épiscopale insermentée], persuadés aussi que le gros de la troupe calotinocratique n’est constitué que de dévotes et que donc la loi ne pourra pas longtemps être bafouée ".

    Le premier juin, le district suit pourtant les recommandations de Hédé (faut-il rappeler que Hérisson Delourme appartient au directoire et signe cet arrêté ?) pour mettre fin à une " tolérance abusive " : les portes de l’église de Saint-Symphorien seront donc fermées, et la paroisse réunie à celle de Hédé (Olliviéro signe son premier acte le 20 juin), mais tout comme à Bazouges, les officiers municipaux et notables continueront leur fonction. D’ailleurs, " après quelques difficultés, M. Joseph Rué maire a ouvert une des portes " pour permettre l’inventaire le jour de la fermeture, mais les officiers municipaux trouveront une parade. Suite à la loi sur l’état-civil, ils se présentent " victorieusement " à Hédé pour réclamer leurs registres, ce que rechigne à faire la municipalité car " il nous on resuze, il demande une permiscion de ces mesieurs du distric pour nous les livré ", surtout qu’en plus, " la municypalité de la dit paroisse demande les clefs de l’églisze pour faire leur séance de nos délibération " !

    Obligé de quitter Saint-Symphorien le 11 juin 1792, Costard dément (évidemment !) toutes les accusations de Hédé, et ose affirmer auprès du district, être un " bon citoyen, que j’étois incapable d’exciter aucun trouble. Depuis 3 ans, je me suis chargé, à votre connaissance, et sans aucun intérêt, de toutes les affaires civiles de ma paroisse […] vous avez vous mêmes applaudi à mon zèle ". Il fait en quelque sorte les frais d’une décision avant-gardiste car ce n’est que le 16 juin que le département ordonne à tous les insermentés de s’éloigner de 3 lieues de distance de la paroisse qu’ils desservent. Il se rend donc à Rennes le 21 juin pour sa déclaration de domicile, chez une certaine Mademoiselle Bigot de Lorgery. Il réclame même son traitement de 1200 £ car il considère que les 500 £ accordées aux " curés déplacés " ne le concernent pas tant que le plan d’arrondissement n’a pas été décrété. Cependant, la municipalité de Hédé accuse celle de Saint-Symphorien de l’abriter en son sein comme par le passé. Olliviéro se trouve désormais dans une situation difficile, car il a réussi à se débarrasser de ses rivales mais il a désormais 4 paroisses à sa charge…


    La situation du canton est en soit très illustrative des problèmes rencontrés dans tout le département : face à une pénurie financière et d’assermentés, les réfractaires profitent d’une cohabitation temporaire pour exploiter des tensions et des déceptions préexistantes. Le rousseauisme ambiant et naïf des autorités fait de l’ensemble des citoyens, bons par nature, des individus pervertis par de mauvais prêtres. Une incompréhension naît de la méconnaissance locale, et d’un dilemme administratif va naître une anti-révolution : " l’on accuse d’aristocratisme ou de fanatisme les partisans du refus. Toute position de transaction est exclue, le manichéisme de l’intransigeance inspire seul le discours du patriotisme ". Si Dautry semble plutôt bien s’en sortir à Guipel, il est fort à parier que Brasseur ne fasse pas salle comble dans son église, car le mal est déjà fait lorsque les autorités mettent fin à la tolérance. Le couvent de Hédé prend cependant une voie différente, car il serait faux d’affirmer que les prises de position patriotiques et religieuses n’aient point joué de rôle.

    3. L’affaire des Ursulines

    Comme nous l’avions déjà souligné, Hédé entretient de bonnes relations avec le couvent, mais il paraît utile de mesurer progressivement l’évolution de leurs rapports.

    Suite à la nationalisation des biens du clergé, les religieuses pouvaient toujours poursuivre leur apostolat éducatif, et vivre selon les règles de leur ordre.

    L’année 1790 semble n’apporter aucun incident et un état annuel du district précise que les Ursulines de Hédé perçoivent 4300 £ désormais, en rentes immobilières et secours accordés en supplément. Mais le 7 janvier 1791, la supérieure Keruzec signale au district qu’elle ne parvient plus à procéder " au recouvrement qui nous sont légitimement dus puisqu’au terme des décrets, les communautés doivent être payées de tout ce qui est échu, jusqu’à nouvel ordre[…]. Quelsque [sic] soient nos besoins et la modicité de nos revenus, noue ne recevons partout que des refus, et dans quelques endroits des injures. Il n’en sera pas ainsi de vous, Messieurs, vous êtes juste […] vous ne les verrez pas exposées elles-même aux horreurs de l’indigence et de la faim […] ordonnez donc que ces arrérages nous soient comptés ". Nous ignorons si cette lettre fut suivie d’effets, mais toujours est-il que 2 mois plus tard, la supérieure se plaint encore une fois que les traitements accordés aux professes (300 £) et aux converses (150 £) ont été à peine versés pour moitié jusqu’à maintenant. Or, il faut bien savoir qu’aucune d’entre-elles n’a prêté le serment constitutionnel, ni même leur chapelain Couëlla, signe explicite d’un îlot replié par rapport à une ville en pleine effervescence patriotique. Le couvent ferait donc déjà l’objet de marques d’hostilité concernant ses rentes, mais ce ne saurait être l’unique raison, car leurs prises de position sur le monde séculier les sort de leur " isolationnisme ", et même, virent à l’activisme réfractaire.

    L’exemple le plus fameux reste bien entendu l’épisode du 20 mars 1791, suite à l’arrêté du département qui prescrit de sonner les cloches dans toutes les paroisses et communautés du diocèse, puis de chanter un Te Deum en l’honneur de la nomination de Le Coz. Comme à l’accoutumée, la municipalité, sa garde nationale et la population se rendent à l’église pour en faire la célébration au son des cloches, mais celles du couvent restent désespérément muettes. Notons au passage que les sœurs jouissent toujours d’un certains crédit de confiance, contrairement à leur chapelain, un réfractaire notoire. L’officier municipal Duclos, le major Ginguené et un détachement de gardes nationaux partent donc exhorter une dernière fois, au nom de la fraternité, de sonner leurs cloches. Or, cette demande prend bientôt l’allure de menaces : " n’aigrissés pas les citoyens, vous leur devés votre existence ! ". En effet, leur obstination à ne pas vouloir reconnaître Le Coz comme évêque provoque un attroupement au pied des fenêtres du couvent (un autre document fait une estimation de 500 personnes). L’incroyable se produit alors car les sentinelles sont submergées par la pression populaire qui force les portes afin de sonner eux-mêmes ces fameuses cloches bon gré mal gré. La confusion est à son comble au point que l’on parle d’une " émeute populaire " qui force une partie des religieuses à se barricader dans les bâtiments après avoir coupé les cordes et rendu provisoirement inutilisables les cloches ! Le procès-verbal laisse pourtant entendre qu’un émeutier serait parvenu à détacher le battant afin d’empêcher à l’avenir que la principale cloche soit utilisée par les Ursulines…

    Un cap est bel et bien franchi, car d’une symbiose bienveillante, la cité s’engage désormais dans la voie séparatiste vis-à-vis d’un couvent intransigeant. En reniant Le Coz, elles marquent clairement leur hostilité à la Révolution, et donc indirectement, à Hédé. Le comble de l’absurde réside dans le fait que la garde nationale doit les protéger contre l’activisme radicale de la population, situation totalement inversée au regard de l’évolution des événements et incursions à venir dans les communes voisines.

    Ainsi, la municipalité signale à la supérieure que " nous avons connaissance que les Dames que vous préposez à faire aprendre à lire aux externes, damnent, de leur authorité privée, ces pauvres enfants, parce qu’ils pensent sur les affaires publiques comme leurs pères. Invités vos Dames à se borner aux seules instructions qui leur compètent et ne nous obligés pas à prendre des moyens qui nous affligeraient puisqu’ils tendraient à retirer à votre maison la confiance publique qu’elle a méritée ". Désormais, la rupture est consommée car la temps n’est plus à la conciliation mais au rappel à l’ordre et la soumission à la loi. Elles ne sont plus tolérées à Hédé qu’à la condition unique d’assurer un service d’utilité publique.

    La tolérance prend définitivement fin lorsque le procureur remontre à la municipalité que la chapelle des Ursulines " déservie par un chaplain non assermentéest le rendez vous de tous les fanatiques et les rebelles à la loi, qu’on assure que tous les jours au mépris de la lettre pastoralle de l’évêque métropolitain, on administre les sacrements dans cette chapelle […] que la porte d’entrée de la ditte chapelle soit fermée et parfichée ". D’ailleurs, la municipalité y voit un bon moyen d’embellir son église car elle souhaiterait récupérer dans la chapelle " quelques ornemens et bouquets de fausses fleurs " afin d’élever " la décence du culte divin ". Bien sûr, c’est bien la preuve que le culte constitutionnel n’est pas suivi par tous les hédéens, mais leur unanimité civique ne saurait tolérer en son sein un foyer d’agitation, et nous comprenons mieux alors pourquoi Couëlla est expulsé peu après la fermeture de la chapelle. Les Ursulines réagissent alors pour se plaindre auprès du district d’insultes et autres méfaits subies soi-disant à Hédé, mais leurs propos achèvent de les discréditer car la municipalité " saute " littéralement sur l’occasion pour en dresser un portrait ironique : " nous avons vu avec plaisir que vous les [plaintes] aviez appréciées d’avance. Les inquiétudes qu’on fait éprouver à ces religieuses sur la sûreté de leur clôture, […] les insultes faites aux prêtres qui leur disent la messe et l’expulsion de leur chapelain, tel sont, Messieurs, les chefs d’accusation exagérés […] dans un pays où on les a toujours aimées […] quoi qu’elles prennent les moyens les plus sûrs pour soulever les esprits ". La municipalité rédige une longue liste de griefs qu’elle reproche au couvent " pour animer contre nos religieuses, mais les citoyens de Hédé ne désirent que le bon ordre et ont eut le bonheur de le maintenir jusqu’à présent ", bien que quelques " bons citoyens " avaient écris à l’abbé Couëlla dans " l’intention de sauver un homme des dangers où il s’exposait sans cesse par son inconséquence ". Le climat de menaces à l’encontre des réfractaires serait-il couvert par la municipalité ? D’ailleurs, un épisode assez anecdotique sur leurs rapports avec les lieux sacrés pourrait nous éclairer. Le 29 septembre 1792, un certains Olivier Meslier avait été mordu par un chien enragé et, " d’après les simptômes de la rage, essuié ce matin des accez de cette cruelle maladie ". Atteint par des compulsions, il se met à hurler frénétiquement. Ne sachant où l’installer, les officiers municipaux voit le lieu idéal dans la sacristie de la chapelle, appartenant au ci-devant hôpital : ils font alors mettre " 4 pitons de fert avec anneaux auxquels ledit Meslier a été attaché ". Bien national qui a perdu sa nature religieuse, la volonté d’y installer un individu dont le comportement est semblable à un aliéné, n’est-ce pas révélateur de sentiments religieux forts peu ancrés chez une partie de ces notables ? L’identité communautaire et religieuse vont de paire, ne l’oublions pas…

    Malgré le décret du 6 avril 1792 qui supprime toutes les congrégations religieuses, ce n’est que le 22 septembre que le district ordonne à Hédé de procéder " à l’évacuation de la maison des Ursulines ". La municipalité nomme donc Gersin comme commissaire au côté de Hérisson Delourme, revenant de Rennes pour l’occasion, afin de procéder à leur expulsion le premier octobre après un inventaire des biens mobiliers appartenant à la nation. L’argenterie y est récupérée et Hédé y loge provisoirement Jean Denoual, un petit maréchal, et sa femme pour " veiller à la convocation des dits effets, fruits et légumes et de prendre les soins convenables pour garder, soigner, et faire paître les dittes vaches ". La vente des biens nationaux appartenant au ci-devant couvent avait déjà débuter en avril. Par exemple, le 28 avril, le procureur Guynot acquiert à ferme pour 50 £ annuelles quelques chambres et cabinets, le tout situé dans le couvent, afin de servir définitivement " de maison commune et y tenir les audiences de police correctionnelle et les dits cabinets pour y placer les archives de la municipalité". Mais le plus important reste les ventes courantes de septembre à décembre 1792, suite à l’expulsion des religieuses. En effet, les mises aux enchères des bestiaux attirent des acquéreurs de toutes les communes environnantes : Vignoc, Langouët, Saint-Symphorien, Bazouges, la Chapelle-Chaussée,… Comme quoi, les paysans ne sont pas trop regardant sur l’origine de ces biens nationaux !

    L’affaire ne s’arrête pas ici car l’hiver approchant, la municipalité décide une semaine après que le bois de chauffage du couvent " soient mis en petits lots proportionnés aux foibles facultés des pauvres habitans ", mais Gaisnel n’est pas de cet avis et invoque un marché passé avec la supérieure qui ferait de ce bois sa propriété. Le procureur reste dubitatif sur ce qui semble bien être une ultime récompense partisane avant liquidation, car sans contrat écrit, ses " prétentions sont vagues et sans fondement ", mais surtout, si les " Ursulines voulaient gratifier le sieur Gaisnel et sa maisonnée […] elles pouvaient le faire par tout autre moien qu’au préjudice des droits de la République " et lui rappelle que tout citoyen doit s’exprimer " avec honnesteté et en termes décens, à respecter les authorités constituées et à ne point user de voie de fait ". Gaisnel fait à nouveau parler de lui car Belletier, commandant de la garde, signale " une grande fermentation dans l’esprit du peuple de cette ville qui pourrait se porter à des excès ". La municipalité envoie donc la gendarmerie le requérir lui et sa femme à leur domicile, suite au refus de répondre à la convocation. Ces derniers expliquent qu’ils avaient affiché la mise en vente de ce fameux bois et présente un contrat de 480 £ signé par la supérieure Keruzec. Cependant, ils acceptent de résilier le contrat si " les citoyens artisans et journalliers " leur remboursent cette somme. Ce compromis à l’amiable semble tellement réjouir la municipalité qu’elle attribue 2 jours après, à Gaisnel un certificat de civisme au côté de Deslandes, Thouault, Aubrée, Duclos et Guynot car ils " jouissent avec justice de la réputation méritée de bons citoyens " et ont fournis des preuves " d’un vrai patriotisme ". Sur cette conclusion " fraternelle ", 2 grands enseignements sont à retirer de ces épisodes : le premier reste la fermeture par étapes du couvent (suppression des revenus, la chapelle, l’activité éducative), dont le point crucial est l’attitude face à la Constitution civile. Si un sursis à leur expulsion a sûrement été accordé, les autorités ont du supposer que l’éloignement de Couëlla aurait suffi à éteindre le " fanatisme " des sœurs, espoir que les autorités avaient également caressé pour régler le cas des prêtres réfractaires voisins : la désillusion n’en sera que plus grande. Mais surtout, c’est le comportement populaire qui devient intéressant dans la mesure où il se trouve être totalement inverse de celui des campagnes : à Hédé, ce sont bien les réfractaires qui subissent les foudres de ces sans-culottes car l’important n’est pas la question religieuse, mais bien une adhésion totale à toutes décisions prises par l’Assemblée et les autorités administratives. Nous retrouvons donc bien l’ambivalence de l’expression populaire mis en avant par R. Dupuy : l’une, au nom de la démocratie directe et de la proximité des instances du pouvoir, règle radicalement une situation que la municipalité de Hédé souhaitait obtenir par compromis, l’autre, est une résistance aux ingérences croissantes de l’Etat-nation.


    Le refus de la soumission par une partie des communes du canton ne peut qu’entraîner un amalgame de tous les suspects et opposants , dans un engrenage répressif au milieu d’un climat général de suspicion.