La nouvelle législation sur la réorganisation du clergé a en quelque sorte une répercussion immédiate sur léchelle locale car la population est amenée à découvrir les implications concrètes de la Révolution.
1. Une circonscription paroissiale problématique
Par le décret du 2 novembre 1789, les biens du clergé sont mis à la disposition de la nation, dont une partie sera mis en vente. Lacte fondateur reste bien évidemment la Constitution civile du Clergé du 12 juillet 1790 car son objectif est de ramener lEglise à sa simplicité primitive et de lincorporer aux cadres de lEtat en faisant correspondre létendue dun évêché au département, et la paroisse à la commune. Larticle VI du titre I prône la modification de la circonscription des paroisses afin de rationaliser et mettre en adéquation leur superficie, le nombre des fidèles et les desservants ecclésiastiques 1.
Des ingénieurs et géomètres sont donc envoyés à travers le département et évêché de Rennes pour effectuer la délimitation en tenant compte des paysages, du relief, et de la qualité des chemins pour la commodité de déplacement des fidèles. Hédé comprend rapidement le profit quelle peut en retirer car voici loccasion dêtre érigée et reconnue officiellement comme paroisse. Elle sempresse de faire une demande auprès du district pour que les " biens du prieuré soient distraits de ladjudication par enchères, pour y loger recteur et curé 2", afin que la ville puisse les acquérir à moindre frais car elle ne dispose pas de presbytère. Or, les bâtiments du prieuré en feraient idéalement les fonctions, surtout quils se situent autour de léglise. Sachant quelle est devenue chef-lieu de canton, " on ne peut douter que Hédé devienne une paroisse considérable par sa situation, sa localité, sa solidité et la grandeur de son église ". Lobstacle majeur reste son faible nombre dhabitants, alors quà cela ne tienne, pour appuyer ces arguments, on soutient que Hédé est " borné de toutes parts par de petites paroisses voisinnes et qui paraissent naturellement devoir y être réunis " au sein dune seule et même paroisse dont elle serait le chef-lieu spirituel. Largumentation est assez simple car la réunion de Saint-Symphorien, Bazouges, Saint-Méloir et Hédé formerait une entité de 2000 âmes selon les officiers municipaux. La municipalité de Saint-Symphorien nourrit assez rapidement certaines inquiétudes à être réunis à sa voisine, ce qui est loin de lenthousiasmer puisquelle réclame la conservation de sa paroisse, " ou au moins sa réunion à quelquautre paroisse de campagne 3", donc toute solution est envisageable mais surtout pas celle de Hédé ! En effet, il serait plus pratique de se rendre à léglise de Hédé, plus proche de la plupart dentre-eux : par exemple, " léglise de Bazouges à une demie lieue de Hédé, est placée à lextrémité septentrionale de la paroisse, son bourg est lun des plus isolés et lun des plus mal sittué du diocèse : les deux tiers des paroissiens au moins nassistent aux cérémonies pieuses quà Hédé 4". Si nous ne disposons daucun moyen de vérifier cette affirmation, il va sans dire que de tels propos ont un parfum de rivalité ancestrale suite à des arguments aiguisés par un procès mémorable. Lautre avantage serait bien évidemment léconomie car un " curé et deux vicaires deserviraient dans cette paroisse avec beaucoup plus de facilité que ne le font aujourdhui 7 prêtres ". Il semble bien que cet élan annexionniste et démesuré saffirme lorsque la municipalité propose même quune partie des paroissiens de Saint-Gondran, Langouët, Guipel, Tinténiac, Saint-Brieuc-les-Iffs et Vignoc fassent lobjet de la réunion au sein de larrondissement de Hédé 5, soit environ 5000 âmes ! Un seul presbytère et une seule église seraient dès lors à entretenir au lieu des 6 ou 7 actuels.
Dans un premier temps, le district paraît alléché par " la solidité de ses motifs " au nom de lutilité publique, mais concernant le prieuré, plusieurs décrets stipulent clairement quune municipalité ne peut être dispensée denchérir au même titre que tout autre particulier : les biens du prieuré ne seront donc extrait de la mise aux enchères des biens nationaux, décision que confirme le département quelques jours plus tard 6. La municipalité fait alors appel à deux experts pour estimer le prieuré (11647 £ 10s) et lhôpital par la même occasion (8857 £ 9s) 7. Or, cest sur cette base quun décret officiel de lAssemblée Nationale du 19 janvier 1791 déclare vendre ces deux biens nationaux à la municipalité de Hédé 8, qui nomme le 19 juillet suivant deux commissaires pour être présents à leur vente qui va se dérouler à Rennes. Elle les charge une ultime fois de demander aux autorités du département dextraire de cette vente au moins la maison prieurale pour réduire le coût. Il semble que les directeurs aient accepté cet appel, mais ils nomment tout de même un ingénieur pour effectuer un devis pour les réparations à apporter au futur presbytère et surtout, vérifier si " une partie ne peut être distraite pour être vendue comme les autres biens nationaux ". Visiblement, le directoire accepte à contre-cur la décision de lAssemblée car il espérait sans doute tirer davantage dargent du prieuré.
Dans lentre-temps, Hédé na pas oublié son projet paroissial car le 5 avril 1791, elle refait la même argumentation quen octobre dernier, mais cette fois, ajoute que son église peut contenir 4000 personnes (!), quelle est un carrefour de communication entre Rennes, Dol, Saint-Malo,
9, que tous les villages visés sont " dans la banlieue de la ville de Hédé " qui nest " en aucun tems gesné par le débordement des eaux. Lair de cette ville est très sain " donc il faut comprendre quelle est le parfait contraire de Bazouges, sur un ton quelque peu méprisant !
Elle obtient finalement gain de cause en devenant une paroisse, mais cette décision a un goût amer pour les hédéens car le curé constitutionnel Olliviéro ne vient toujours pas sinstaller dans le presbytère 10 que la ville a acquis exprès pour lui : " il ne reste plus à Hédé quun ecclésiastique ex-carme [Boursin] et quil ne sy célébrera quune seule messe les dimanches par ce prêtre assermenté, le curé constitutionnel de la paroisse de Hédé qui lest en même tems de Bazouges-sous-Hédé à près dune lieue de cette ville " réside toujours dans son presbytère qui " trempe dans un marais insalubre, au coinq dune forest et dune lande de 3 à 4000 arpents [
] Ces considérations ont déterminé M. Even ingénieur, chargé de la confiance du district de Rennes, en arondissant les paroisses de ce district, à penser que la paroisse de Bazouges-sous-Hédé devoit être supprimée et réunie avec celle de Hédé. Cette réunion est déjà toute opérée puisque depuis plus de 3 siècles le même curé dessert ces 2 paroisses. Louvrage de M. Even nétant pas fini [
] mais vous pouvez provisoirement juger que le curé de Hédé et Bazouges résidera à Hédé 11".
Or, le 20 juin 1792, Even remet effectivement au directoire du district son projet définitif de circonscription, où il a tenu compte dune distance maximale de _ de lieues entre un paroissien et son lieu de culte. Ce critère pragmatique lamène donc à proposer, pour le canton de Hédé, la suppression des paroisses de Saint-Symphorien, Saint-Gondran, Saint-Méloir, Langan et que " lon transfère celle de Bazouges-sous-Hédé dans la ville de Hédé 12". Pour ce qui est de Saint-Symphorien et Saint-Gondran, nous y reviendrons, mais concernant Bazouges, le district avait déjà mis à exécution cette réunion un mois plus tôt en ordonnant que Olliviéro " fixe son domicile au centre de sa paroisse, que la ville de Hédé étant destiné à former le chef-lieu des deux paroisses. En sy établissant dès à présent, il ne fera quaccélérer une réunion utile et désirable 13". Or, cette décision implique la fermeture de léglise car " il seroit impossible au curé de Hédé et Bazouges de soutenir les fatigues de sa cure, sil étoit obligé de se transporter successivement dans les deux églises ". Il faut bien savoir que par cette fermeture, lintérêt de lEtat est bien évidemment de faire des économies substantielles : depuis la Constitution civile, tous les ecclésiastiques sont des fonctionnaires rémunérés par les Caisses de lExtraordinaire. Or, ces dernières se sont rapidement retrouvées vides malgré la vente des biens nationaux. Afin de renflouer le budget de lEtat, des églises sont fermées pour réduire le nombre de prêtres à rémunérer, et récupérer largenterie de ces édifices qui sera fondue à lHôtel des Monnaies à Rennes 14. Ainsi, le maire de Hédé, accompagné de ses officiers municipaux et dun détachement de la garde nationale commandée par le commandant Belletier, se rendent à Bazouges le 5 mai 1792 à 2 heures du matin, pour procéder à la fermeture. " Après avoir adoré le Saint-Sacrement ", les effets et ornements sont chargés sur une charrette, tout comme les " deux battans des cloches de Bazouges, que nous avons été obligés de faire descendre sur les menaces de quelques paroissiens de Bazouges qui annonçaient que demain, ils feraient sonner les dittes cloches pour procurer un rassemblement qui pourait nuire à la chose publique [
]. Au surplus, pour nous saisir de largenterie 15 [
] même de deux bannières, nous avons été faute de représentation des clefs, obligés de faire sauter deux serrures de deux petites armoires de la sacristie [
] avons de plus apposé les scellés sur la porte de la sacristie, et sur les trois portes extérieure de la ditte église de Bazouges et fait afficher larrêté du département du 3 mai sur la principale porte dentrée 16". Le fait déjà que cette opération se déroule dans la discrétion de la nuit prouve déjà que les bleus de Hédé ont conscience de leur impopularité, même sils partent du principe quils ne font quappliquer une décision. Lidée que léglise soit un bien national reste pourtant une notion bien abstraite pour les paroissiens de Bazouges : sils souhaitent que ces biens servent à lentretien du clergé, ce dernier fait partie intégrante de la communauté. Le fait que Gersin acquerra le presbytère et ses dépendances narrangera sûrement la donne 17. Sopposer à la fermeture est une chose, mais cest bien pour défendre leur prêtre censé répondre à leurs besoins spirituels. Le transfert de largenterie risque dêtre vécu comme une justification légale dun vol, et qui dautres que les bleus de Hédé peuvent symboliser, par effet de projection, la Révolution et son geste profanatoire. Il est pourtant difficile de les taxer dirréligion voire danticléricalisme, au vu du signe de respect effectué envers lhostie sacrée dès leur entrée dans léglise. Dailleurs, la réquisition de largenterie ne fait quobéir à la loi du 10 septembre 1792, consistante à ne laisser que le stricte minimum pour assurer le culte. Un état de dépôt du 14 novembre signale que lHôtel des monnaies a reçu le 19 octobre largenterie de Hédé (environ 15 marcs), Bazouges (25 marcs), Guipel (7 marcs), et Saint-Symphorien (une seule croix, 10 marcs). Mais apparemment, Vignoc, Langouët et Saint-Gondran nont toujours rien livré à Rennes 18.
De plus, toutes les cérémonies religieuses devront être désormais effectuées dans léglise de Hédé, mais il semble bien que les habitants ne lentendent pas de cette oreille, et boudent la messe de la ville 19. Or, une pétition est adressée au district le 11 juin 1792, rédigée " sous le chapiteau de notre église fermée ", et signée par une centaine dhabitants de Bazouges, tous des hommes, donc autrement dit, il sagit dune mobilisation de masse de toute la paroisse, à laquelle se joint celle de Saint-Méloir qui " consent à ce réunir à notre paroisse 20". Le message y est sans ambiguïté car " nous savions, Messieurs, que les habitants de Hédé, succursale de notre paroisse, employeraient dans le nouvel ordre des chose, tout lartifice possible pour détruire notre église, puisque leurs efforts de 50 années de procédures navoient pu nous priver de la résidence dun recteur [
]. Aujourdhui, leur ambition se porte plus loin [
], détruire ce temple que nos ayeux ont fait bâtir, sapproprier nos ornements et vases sacrés dont nous lavions orné à nos propres dépens, et enfin, nous attacher à leur église que nous ne reconnaîtrons jamais pour la nôtre ". Afin de justifier leur mécontentement, le rédacteur qui nest autre que Pollet, fait référence au titre premier art.17 de la Constitution civile concernant la circonscription paroissiale qui devra respecter les " besoins des peuples, la dignité du culte et les différentes localités ". Or, lorsque lingénieur Even a procédé à cette opération, il na pas " appelé quelques uns de notre municipalité pour lui faire connoître les limites naturelles de notre paroisse, et quil se soit rapporté pour cette désignation à ceux même qui méditent depuis 50 ans notre destruction ". Les officiers municipaux auraient donc menti sur de nombreux points car leur église serait au centre de leur paroisse face à une " ville qui jusquà présent a été desservie par un seul vicaire et sans éprouver aucune gêne ", et aucun paroissien de Bazouges ne sest jamais rendu au culte à Hédé, car son église est trop éloignée et pénible daccès : dailleurs, la pétition transforme la colline en " une chaîne de montagnes " ! Encore une fois, " la ville de Hédé est condamnable de vouloir concentrer dans son enceinte ladministration du culte public et den priver par là des laboureurs qui nont pas montré moins de zèle pour la Constitution, qui la bénissent ".
Hormis lesprit de clocher qui oppose dun côté une ville soucieuse de profiter des conséquences de la politique religieuse, de lautre, la rancur dune paroisse rurale qui voit en Hédé larrogance avide de pouvoir, il est évident que cette confrontation ne porte pas sur des options politiques, et encore moins sur une opposition entre la bourgeoisie urbaine et les paysans des campagnes comme le laisse penser P.Bois. Hédé cherche par tous les moyens de récupérer un pouvoir spirituel, symbolisé par un siège paroissial indissociable de son recteur. Les problèmes financiers de lEtat ne lui permettent pas de financer un ecclésiastique par paroisse, et la fermeture de Bazouges, qui plus est par la garde nationale de Hédé, achève de conforter aux yeux de ces paysans que la ville porte atteinte au patrimoine communautaire, mais ils ne font pas référence à une religion schismatique ou à une mise en danger du salut de leur âme. Le mécontentement se base sur un vide pastoral inconnu jusqualors, car léglise fait partie intégrante de leur identité transmise par leurs ancêtres. Il fait suite à un " processus didentification des individus passant par lappartenance volontaire ou imposée à des groupes qui ont une prédilection pour certains lieux où sexprime leur forme particulière de sociabilité. Cela entraîne des investissements affectifs considérables dès la petite enfance 21". Hors de question donc de se rendre à Hédé ! Seulement, le maire de Bazouges se retrouve dans une situation à la fois inconfortable et ambiguë, car le 12 juin, il écrit à la municipalité de Hédé pour leur faire partager ses inquiétudes. Suite à la fermeture, Pollet a " recommandé lobéissance à la loi ", mais ses concitoyens " ont perdu la tête, ils ne savent à qui sen prendre, ils mont accusé de navoir pas empêché cette clôture, ce qui est ridicule ". Lui et ses officiers municipaux se plaignent dêtre menacés constamment et " hier, quelques paroissiens mapportèrent une pétition pour la souscrire. Ayant dabord refusé, on me fit des menaces, et je signai pour avoir la paix 22". Certes, mais comment explique-t-il alors que la pétition ait-été rédigée de sa main ? Il est même lun des premiers signataires si lon suit lordre des paraphes.
Le débat ne porte donc pas encore sur le serment, mais cette question va rapidement aviver des tensions car les opposants à la Révolution vont tout mettre en uvre pour lexploiter.
2. La question fondamentale du serment constitutionnel
La Constitution civile fait des ecclésiastiques autant de fonctionnaires dont le traitement est assuré par lEtat désormais. Lensemble du personnel religieux ne se divisera pas à propos de ce nouveau statut, mais bien sur le serment de fidélité " à la Nation, à la Loi, et au Roi ", exigé de tous les fonctionnaires par le décret du 27 novembre 1790. Vu les revenus dAncien Régime de la plupart des prêtres du canton, le traitement quoffre dorénavant la Constitution civile peut apparaître comme une véritable bénédiction : les pensions des recteurs passent à 1200 £ minimum par an, contre 700 £ pour les vicaires. Ainsi, un tableau de traitement des fonctionnaires ecclésiastiques du district signale quen 1791, ces sommes sont effectivement perçues et rien de plus. Par exemple, le recteur Mottay touche 1200 £, et Duclos le vicaire de Vignoc 700 £ 23. Mais cet argument financier peut-il avoir un impact sur la prestation de serment ? En effet, pour nombre dentre-eux, cela pose un véritable cas de conscience car " pouvait-on jurer dêtre fidèle à une organisation de lEglise que limmense majorité des évêques mais aussi beaucoup déminents et respectables théologiens et canonistes jugeaient au moins schismatique sinon hérétique 24". Le problème est effectivement assez grave car le serment va scinder le clergé en deux : les assermentés acceptant la fidélité à la Constitution, et les insermentés la refusant catégoriquement. La Bretagne va ainsi faire partie des provinces massivement réfractaires, et par exemple, le département dIlle-et-Vilaine ne compte que 16,4 % de jureurs 25: comme quoi, le préjudice moral semble avoir eu un rôle bien plus important que les considérations matérielles. La canton de Hédé ne fait pas exception car tous refusent le serment, tous sauf deux : Olliviéro qui jure fidélité le 8 février 1791, un mois après son vicaire Laurent Boursin. Ce dernier ne reste pourtant pas bien longtemps à Hédé car il est élu le 18 septembre suivant comme curé constitutionnel de Montreuil-le-Gast. Cette perte avait été déjà compensée par son oncle Julien Augustin Boursin, ex-carme à Rennes et jureur, qui avait quitté son couvent en avril 1791 pour venir apporter son aide à Olliviéro 26. A notre grand regret, nous ne disposons daucune déclaration pour avancer les dates et les raisons précises qui ont motivé les prises de position de tous les prêtres du canton : pour ce qui est des jureurs, elle fait certainement suite à un rappel des autorités du district en janvier 1791, qui précise que tout refus de soumission entraînera un remplacement dans les deux mois, mais Olliviéro avait déjà fait preuve de son patriotisme.
Mais pour ce qui est des réfractaires du canton, leur choix est-il devenu définitif avant le bref pontifical Quod aliquantum du mars 1791 qui condamne officiellement la Constitution civile du Clergé ? Quel est le rôle des pressions hiérarchiques et celles des paroissiens ? Car en effet, il faut bien avouer quils risquent dêtre dépassés par des enjeux théologiques bien abstraits, mais T. Tackett parle quant à lui dune véritable symbiose avec les fidèles, " les pressions populaires exercées sur les prêtres pour les faire accepter ou refuser le serment ". Il est essentiel alors de conserver la confiance de ses ouailles et suivre son opinion, généralement marquée par le souci du salut des âmes, même sil ne faut pas non plus négliger les correspondances et les réunions entre prêtres portant sur cette question : le curé isolé dans sa paroisse est bien un cliché car " à peine lAssemblée Nationale avait-elle décrété les premiers articles de cette Constitution, que de fréquents conciliabules se tenaient chez lui [le recteur Costard], sous prétexte de repas où figuraient le sieur Maignan curé de la Mézière, labbé de la Croix ci-devant chanoine de Rennes, le sieur Lepelletier curé de la Chapelle-Chaussée district de Montfort, le sieur Couëlla chapelain des Ursulines de Hédé et autres prêtres trop connus par leur fanatisme. Le résultat de ces assemblées a été que tous ceux qui y assistaient nont point prêté le serment décrété par la loi ". A travers du réseau complexe des relations qui unissent le corps, il conviendrait dévoquer comme le fait M.Vovelle, un équilibre subtil où se mêle autonomie cléricale et reflet du climat général. Révélateur dune césure profonde qui ira en samplifiant, ce test révèle par extension ladhésion ou le refus populaire à lordre révolutionnaire.
Les difficultés de lEglise constitutionnelle ne font alors que commencer car si lactuel évêque de Rennes, Bareau de Girac, est destitué en février 1791, pour être rapidement remplacé par Claude Le Coz, il nen va pas de même dans le reste du département. La pénurie dassermentés est un mal endémique qui va toucher concrètement le canton de Hédé. Le remplacement des insermentés ne peut être effectué entièrement, tandis que pour les paroisses qui peuvent en bénéficier, larrivée de lintrus peut sy avérer complexe.
Il en va du nouveau recteur assermenté de Guipel, Jean Joseph Dautry. Né le 9 mars 1760, il est installé à cette cure le 28 juin 1791 mais son accueil est plutôt froid, même si la garde nationale de Hédé la accompagné jusquà lintérieur de léglise pour suivre sa messe. La présence de quelques femmes et le conformisme des officiers municipaux ne sauraient masquer la méfiance de la population, dautant que Bouëssel sest arrangé pour emporter tous les objets cultuels ! Or, leur premier comportement nest pas un rejet massif et violent qui exprimerait la peur que ce lieu soit profané par lintrus. Non, car les gardes nationaux sortent de léglise pour convaincre ce scepticisme ambiant. Bouëssel leur avait sûrement parlé du risque découter la messe dun curé schismatique qui irait à lencontre du dogme catholique : sa courte présence dune année na-t-elle pas suffi pour tisser des liens de confiance avec ses fidèles au point que ces derniers ne soient " fanatisés " ? Pourtant, il est évident que les patriotes de Hédé jouissent auprès de Guipel dun crédit de confiance suffisant pour que ces paroissiens acceptent de mettre Dautry à lessai : cest un succès.
Une décision du district porte sur la réduction des effectifs ecclésiastiques et concerne directement Vignoc et Langouët qui nauront plus quun seul prêtre chacune. La première reçoit le curé constitutionnel nommé Jean Brasseur, ordonné prêtre par Le Coz le 24 septembre 1791 : les conditions de son installation nous sont inconnues mais il est toujours présent dans cette paroisse jusquen lan II, signe que là non plus, il na pas été rejeté malgré la présence de linsermenté et concurrent Vitré. Pour ce qui est de Langouët, la situation est encore plus simple : ce nest que le premier janvier 1793 que Le Coz accorde " au sieur Jean Baptiste Bohet cy devant curé de la paroisse de Chavagne, le pouvoir dexercer dans la paroisse de Langouët [
] à la place de curé provisoire pour la gloire de Dieu et le salut des âmes ". Or, il sagit de la seule et unique fois que nous trouvons trace de ce curé, car il nest pas classé dans les tableaux de recensement ou de traitement du district, preuve que son installation dans cette paroisse na pas été faite ou na guère duré.
Si les curés constitutionnels sont effectivement installés pour 3 des 6 paroisses, la législation modérée à légard des réfractaires peut savérer catastrophique pour les jureurs. Le décret dit de Tolérance du 7 mai 1791 autorise les insermentés à rester dans leur paroisse et prononcer des messes basses dans léglise du moment quils ne fassent pas de prosélytisme contre-révolutionnaire . Or, cette cohabitation peut savérer difficile pour les assermentés qui tentent de simplanter dans le cur des fidèles, comme le raconte Dautry au district : " Dans la cour du presbytère, il y a une étable, refuge à porc et un poullailler que lhéritière de Mr Reuzé a cédé à Mr Bouëssel. Ce Mr Bouëssel si connu pour son fanatisme outré, peut-il loccuper ou le faire occuper contre mon gré étant sur un terrein reconnu former la cour du presbytère ". Même si linsermenté réside à côté des porcs, il nempêche que les 2 prêtres jouissent dune proximité réciproque qui nous laisse imaginer une situation tendue !
La législation tend enfin à se durcir dès la loi du 26 août 1792 qui ordonne la réclusion provisoire des réfractaires avant leur déportation. A ce moment précis, on peut imaginer que les constitutionnels soient satisfaits car ils vont enfin pouvoir exercer pleinement et librement leur culte. Par exemple, Julien Morin, recteur de Langouët, signale pour la dernière fois dans le registre des BMS " résider en ma paroisse ce 20 septembre 1792 [
] qui na pas jurer ". Si Mottay signe pour la dernière fois à Saint-Gondran le 2 octobre 1792 (les autorités nont pas voulu lexpulser jusquà cette date ou sest-il caché ?), il ne reste plus un seul prêtre réfractaire dans tout le canton car Duclos est envoyé à la prison du Mont-Saint-Michel, Morin et Vitré sont jetés dans les geôles rennaises. Quant à Mottay, il se serait rendu seul et sans escorte à la prison de la Trinité, mais Bouëssel avait déjà préféré fuir à Jersey (île de replie pour de nombreux réfractaires, où ils jouissent du soutien anglais) bien avant cette loi. Nous avons perdu temporairement la trace de Costard à la fin 1792, mais nous savons quil est entré en clandestinité.
Cest bien ce que déplore Jean Josse, officier public qui signale dans le nouveau registre détat-civil que les baptêmes et autres cérémonies sont effectués dans les paroisses de Hédé ou Vignoc " attendu que celle-ci [Langouët] est sand prêtre ". Serait-ce un signe que le culte constitutionnel ne dérange pas ces paroissiens ? Il est bien évident tout de même quil ne se risquerait pas à signaler que les habitants de Langouët peuvent très bien se rendre à des messes réfractaires clandestines.
Cette loi répressive précède de peu la première grande mesure anticléricale de toute notre histoire, celle du 21 septembre 1792 : le nouveau dogme républicain laïcise les registres de catholicité en devenant létat-civil, désormais transférés dans la maison commune. Cette simple formalité suscite déjà des réticences, car Gilles Laisné ci-devant greffier de Langouët, a refusé " de remettre aux mains des officiers municipaux les registres des naissances, mariages et décès ". Le district les enjoint donc à nommer 2 commissaires qui sommeront Laisné de remettre ces registres, " même de requérir un gendarme de la brigade de Hédé pour les accompagner ". Refuserait-il de reconnaître la nouvelle prérogative civile des autorités constituées sur ce ci-devant monopole symbolique de la religion ?
Dorénavant, les citoyens pourront se marier devant le curé ou le maire, mais seul un officier public laïc sera habilité à enregistrer lunion pour le rendre officiellement valide : le mariage religieux nest plus obligatoire. En effet, nous sommes dans un contexte de guerre, où les autorités assimilent désormais tous les prêtres à des contre-révolutionnaires par nature. Même les constitutionnels font lobjet de suspicion, ce qui les oblige à une surenchère de preuves patriotiques. Or, Hédé fait toujours confiance à Olliviéro car le 4 novembre 1792, il est élu officier public par 12 voix sur 13. Cest également le cas à Guipel où Dautry signe le registre dès le " 30 septembre 1792, lan premier de la République ", ou encore à Vignoc avec Brasseur.
De son côté, le district sétait déjà fait lécho de ces lois en faisant référence aux plans darrondissement de Even, et en déclarant que Saint-Gondran fait partie des 7 paroisses dont la suppression est projetée. Mottay est en effet accusé par de nombreux constitutionnels des environs parmi lesquels celui de Tinténiac : Tricault dénonce quà Saint-Gondran, le peuple " y reçoit labsurde mais dangereuse leçon que le patriotisme est un schisme et une hérésie qui sépare de léglise catholique romaine. On y administre la bénédiction nuptiale aux époux avant quils aillent ou après quils soient allés se marier devant les curés constitutionnels ", signe que le conformisme constitutionnel des paroissiens na quune valeur " formelle ", puisque la cérémonie catholique semble mieux leur convenir sur le plan religieux. Cest pourquoi le district déclare " quon ne saurait arrêter les progrès du mal que par léloignement des prêtres qui les desservent ", " le trésor public gagnera 18500 £ par an ". Le district de Rennes arrête donc la fermeture de ces églises, et la paroisse de Saint-Gondran sera réunie à celle de Hédé, mais ce nest que le 6 novembre 1792, que Julien Riche (le principal notable de Saint-Gondran) acquiert à ferme le presbytère pour 230 £ annuelles. En un sens, cela confirme un état de fait puisque depuis 1791, Olliviéro soccupait déjà du culte constitutionnel de ces paroissiens si lon en croit la pétition des officiers municipaux de Hédé au directoire du département : " Notre curé bon patriote na pas attendu les récompenses pécuniaires promises par les décrets, pour prester son serment civique [
]. Depuis plus dun an, il dessert seul 3 paroisses et sil est un curé dans le département qui ait bien mérité de la nation, sest bien lui [
], il a par sa conduite et ses discours prouvé que les prêtres citoyens sont également susceptibles daimer leur patrie ". Son patriotisme fait encore appel à un certain sacrifice à légard de létat pitoyable de son presbytère : " Les dépenses excessives auxquelles la nation est entraînée par les frais immenses de la guerre, mont fait retarder jusquà ce jour à demander les réparations. Mais la Saint-Jean approche, il y aura alors un an que je serai en jouissance ".
On pourrait jusquà présent nous reprocher de ne pas avoir fait référence à Saint-Symphorien. Ce nest que justice, mais nous avons volontairement conservé cette paroisse pour la fin, au vu de son cas particulier. Jamais Costard ni son vicaire nont été remplacés par un assermenté, mais leur activité débordante peut être considérée comme lélément fondateur des troubles dans tout le canton, hormis Guipel qui subit pour sa part les " bons soins " de Bouëssel. En effet, si Hédé proclame daussi bons éloges pour son curé, cest pour mieux mettre en valeur le fait quil " a sauvé ses paroissiens de la contagion du mauvais exemple, et rendu une grande partie des habitans de nos campagnes amis de notre sage Constitution ". Signalons au passage que cette phrase illustre magnifiquement une charge péjorative à légard de leurs concitoyens : pour la bourgeoisie de Hédé, le monde rural est cette " partie de lunivers qui, parce quelle ne bénéficie pas des Lumières, reste dans les ténèbres, menacée par lobscurantisme ". Les paysans seraient donc des gens simples et manipulables : il sagit dun leitmotiv que nous devrons avoir sans cesse à lesprit tout au long de notre période, afin de comprendre la majeure partie des jugements hédéens sur les autres communes du canton. Mais pour lutter contre leur ignorance, Olliviéro apparaît comme un véritable missionnaire de la Révolution !
Aucun des réfractaires navait prêté le serment dallégeance réclamé par larrêt départemental du 15 avril 1792. Désormais considérés comme des ennemis de lintérieur, voire même comme des traîtres, les constitutionnels y voient un bon moyen de se débarrasser de leurs concurrents, et le premier à réagir nest autre que Dautry qui réclame la suppression de la paroisse de Saint-Symphorien et de Montreuil-sur-Ille dès le 11 mai : " leur anticivisme, leur rage contre la Constitution et plus encore leurs maisons qui jusquici ont servi de refuge aux aristocrates les plus gangrenés [
]
mais peut-être me taxera-t-on desprit de parti ? Il aisé de prouver le contraire. Des hommes qui ne veulent pas déclarer quils nentreprendront rien contre la constitution [
] ne font-ils pas entendre quils entreprennent contre la Constitution, quils ne veulent pas être soumis à la loi [
]. Les plaintes réitérées quon en a fait aux assemblées électorales et même au district, sont une preuve de la vérité que javance ". Dautry nest pourtant pas le plus virulent car le curé constitutionnel de Chapelle-Chaussée Bouchard voit dans les 2 insermentés de Saint-Symphorien " 2 corbeaux voraces [qui] sont habituellement autour des malades de ma paroisse pour en dévorer la substance et à la fin, le soi disant intrus na pour partage quun puant cadavre ". Il est donc urgent de les expulser et fermer leur église car ils " ne cessent de vouloir allumer le flambeau dune guerre de relligion ". Seul Olliviéro fait preuve dun réalisme certain sur les origines mêmes de leur audience : " la paroisse de Bazouge, par un arrêté du département, est réunie à celle de Hédé, ils profitent du mécontentement des habitants de cette paroisse pour leur souffler le venin de laristocratie dont je peux dire les avoir préservé dans les tems passés [
] ils méditeront une révolte, si vous ne prenez les moyens nécessaires pour détruire ce foyer de rébellion ". En faisant cette confidence aux officiers municipaux de Hédé, se trouve confirmée lhypothèse que lopposition de Bazouges na pas de fondement dogmatique ou politique, mais bien une rancur qui va les jeter dans les bras de Costard, bienheureux de trouver un terrain favorable pour faire passer ses brûlots contre-révolutionnaires. Or, lamalgame peut être rapidement effectué à cause dun conflit de clocher : Hédé, qui avait échoué dans ses procédures judiciaires, se trouve désormais à la tête de la paroisse et a profané léglise de Bazouges. Olliviéro, en devenant curé constitutionnel à Hédé, achève daccélérer le processus didentification entre une ville dominatrice et la Révolution : suivre le culte à Hédé serait donc un acte politique dadhésion. La grille de lecture schismatique apportée par les réfractaires na donc aucun mal à se superposer et attiser des haines villageoises : " LEglise et les campagnes, ayant le même adversaire, ont à mener le même combat contre la ville, foyer dirréligion et siège dun pouvoir nouveau, avide et méprisant ". Ce nest pas tant le salut des paysans qui est en jeu dans la circonscription paroissiale, mais bien un rapport de force avec les autorités et ses représentants locaux, tels que Hédé. On impose des lois à la paysannerie sans la consulter : révolu est le temps des doléances
Mais attention, cette explication possible nest valable que pour Bazouges, Saint-Symphorien ou Saint-Gondran, car les fidèles des autres paroisses peuvent très bien aussi refuser de suivre le culte constitutionnel, dans leur église " souillée " par lintrus.
La tension monte dun cran car la municipalité de Hédé sinquiète que les habitants de Bazouges sont tous abusés car ils " traversent notre petite ville en troupe de 40 à 60 hommes, ils sont armés de gros bâtons, insultent les citoyens de Hédé, menacent de les battre et vont avec ses bonne intentions chercher des messes à Saint-Symphorien, Saint-Brieuc-sous-les-Iffs, Saint-Gondran et Vignoc, à une lieue et demie et 2 lieues de leurs habitations. Cest dans ces petits bourgs que, coalisés avec les fanatiques qui arrivent en foule des paroisses déservies par les prêtres constitutionnels [
]. Nous ne nous permettons aucune réflexion sur les inconvénients que peuvent résulter des rassemblemens [
]. La circonscription des paroisses du département serait un remède curatif, la nation ne serait plus obligée davoir à sa solde des énergumènes qui fanatisent nos campagnes ". Ce passage est très important car il montre bien cette incompréhension des bleus de Hédé : les réfractaires seraient à lorigine du fanatisme en trompant les populations, alors fermez les églises, expulsez leurs prêtres incendiaires et la paix reviendra dans le cur des citoyens provisoirement égarés : un curé patriote serait la garantie dune paroisse patriote. Ces considérations aberrantes ne font pourtant que renforcer la désapprobation des paroissiens victimes de ces décisions : " les patriotes locaux se raidissent à vouloir appliquer strictement la loi, persuadés que le refus nest dicté que par des considérations matérielles ou la soumission craintive et mécanique à la hiérarchie [épiscopale insermentée], persuadés aussi que le gros de la troupe calotinocratique nest constitué que de dévotes et que donc la loi ne pourra pas longtemps être bafouée ".
Le premier juin, le district suit pourtant les recommandations de Hédé (faut-il rappeler que Hérisson Delourme appartient au directoire et signe cet arrêté ?) pour mettre fin à une " tolérance abusive " : les portes de léglise de Saint-Symphorien seront donc fermées, et la paroisse réunie à celle de Hédé (Olliviéro signe son premier acte le 20 juin), mais tout comme à Bazouges, les officiers municipaux et notables continueront leur fonction. Dailleurs, " après quelques difficultés, M. Joseph Rué maire a ouvert une des portes " pour permettre linventaire le jour de la fermeture, mais les officiers municipaux trouveront une parade. Suite à la loi sur létat-civil, ils se présentent " victorieusement " à Hédé pour réclamer leurs registres, ce que rechigne à faire la municipalité car " il nous on resuze, il demande une permiscion de ces mesieurs du distric pour nous les livré ", surtout quen plus, " la municypalité de la dit paroisse demande les clefs de léglisze pour faire leur séance de nos délibération " !
Obligé de quitter Saint-Symphorien le 11 juin 1792, Costard dément (évidemment !) toutes les accusations de Hédé, et ose affirmer auprès du district, être un " bon citoyen, que jétois incapable dexciter aucun trouble. Depuis 3 ans, je me suis chargé, à votre connaissance, et sans aucun intérêt, de toutes les affaires civiles de ma paroisse [
] vous avez vous mêmes applaudi à mon zèle ". Il fait en quelque sorte les frais dune décision avant-gardiste car ce nest que le 16 juin que le département ordonne à tous les insermentés de séloigner de 3 lieues de distance de la paroisse quils desservent. Il se rend donc à Rennes le 21 juin pour sa déclaration de domicile, chez une certaine Mademoiselle Bigot de Lorgery. Il réclame même son traitement de 1200 £ car il considère que les 500 £ accordées aux " curés déplacés " ne le concernent pas tant que le plan darrondissement na pas été décrété. Cependant, la municipalité de Hédé accuse celle de Saint-Symphorien de labriter en son sein comme par le passé. Olliviéro se trouve désormais dans une situation difficile, car il a réussi à se débarrasser de ses rivales mais il a désormais 4 paroisses à sa charge
La situation du canton est en soit très illustrative des problèmes rencontrés dans tout le département : face à une pénurie financière et dassermentés, les réfractaires profitent dune cohabitation temporaire pour exploiter des tensions et des déceptions préexistantes. Le rousseauisme ambiant et naïf des autorités fait de lensemble des citoyens, bons par nature, des individus pervertis par de mauvais prêtres. Une incompréhension naît de la méconnaissance locale, et dun dilemme administratif va naître une anti-révolution : " lon accuse daristocratisme ou de fanatisme les partisans du refus. Toute position de transaction est exclue, le manichéisme de lintransigeance inspire seul le discours du patriotisme ". Si Dautry semble plutôt bien sen sortir à Guipel, il est fort à parier que Brasseur ne fasse pas salle comble dans son église, car le mal est déjà fait lorsque les autorités mettent fin à la tolérance. Le couvent de Hédé prend cependant une voie différente, car il serait faux daffirmer que les prises de position patriotiques et religieuses naient point joué de rôle.
3. Laffaire des Ursulines
Comme nous lavions déjà souligné, Hédé entretient de bonnes relations avec le couvent, mais il paraît utile de mesurer progressivement lévolution de leurs rapports.
Suite à la nationalisation des biens du clergé, les religieuses pouvaient toujours poursuivre leur apostolat éducatif, et vivre selon les règles de leur ordre.
Lannée 1790 semble napporter aucun incident et un état annuel du district précise que les Ursulines de Hédé perçoivent 4300 £ désormais, en rentes immobilières et secours accordés en supplément. Mais le 7 janvier 1791, la supérieure Keruzec signale au district quelle ne parvient plus à procéder " au recouvrement qui nous sont légitimement dus puisquau terme des décrets, les communautés doivent être payées de tout ce qui est échu, jusquà nouvel ordre[
]. Quelsque [sic] soient nos besoins et la modicité de nos revenus, noue ne recevons partout que des refus, et dans quelques endroits des injures. Il nen sera pas ainsi de vous, Messieurs, vous êtes juste [
] vous ne les verrez pas exposées elles-même aux horreurs de lindigence et de la faim [
] ordonnez donc que ces arrérages nous soient comptés ". Nous ignorons si cette lettre fut suivie deffets, mais toujours est-il que 2 mois plus tard, la supérieure se plaint encore une fois que les traitements accordés aux professes (300 £) et aux converses (150 £) ont été à peine versés pour moitié jusquà maintenant. Or, il faut bien savoir quaucune dentre-elles na prêté le serment constitutionnel, ni même leur chapelain Couëlla, signe explicite dun îlot replié par rapport à une ville en pleine effervescence patriotique. Le couvent ferait donc déjà lobjet de marques dhostilité concernant ses rentes, mais ce ne saurait être lunique raison, car leurs prises de position sur le monde séculier les sort de leur " isolationnisme ", et même, virent à lactivisme réfractaire.
Lexemple le plus fameux reste bien entendu lépisode du 20 mars 1791, suite à larrêté du département qui prescrit de sonner les cloches dans toutes les paroisses et communautés du diocèse, puis de chanter un Te Deum en lhonneur de la nomination de Le Coz. Comme à laccoutumée, la municipalité, sa garde nationale et la population se rendent à léglise pour en faire la célébration au son des cloches, mais celles du couvent restent désespérément muettes. Notons au passage que les surs jouissent toujours dun certains crédit de confiance, contrairement à leur chapelain, un réfractaire notoire. Lofficier municipal Duclos, le major Ginguené et un détachement de gardes nationaux partent donc exhorter une dernière fois, au nom de la fraternité, de sonner leurs cloches. Or, cette demande prend bientôt lallure de menaces : " naigrissés pas les citoyens, vous leur devés votre existence ! ". En effet, leur obstination à ne pas vouloir reconnaître Le Coz comme évêque provoque un attroupement au pied des fenêtres du couvent (un autre document fait une estimation de 500 personnes). Lincroyable se produit alors car les sentinelles sont submergées par la pression populaire qui force les portes afin de sonner eux-mêmes ces fameuses cloches bon gré mal gré. La confusion est à son comble au point que lon parle dune " émeute populaire " qui force une partie des religieuses à se barricader dans les bâtiments après avoir coupé les cordes et rendu provisoirement inutilisables les cloches ! Le procès-verbal laisse pourtant entendre quun émeutier serait parvenu à détacher le battant afin dempêcher à lavenir que la principale cloche soit utilisée par les Ursulines
Un cap est bel et bien franchi, car dune symbiose bienveillante, la cité sengage désormais dans la voie séparatiste vis-à-vis dun couvent intransigeant. En reniant Le Coz, elles marquent clairement leur hostilité à la Révolution, et donc indirectement, à Hédé. Le comble de labsurde réside dans le fait que la garde nationale doit les protéger contre lactivisme radicale de la population, situation totalement inversée au regard de lévolution des événements et incursions à venir dans les communes voisines.
Ainsi, la municipalité signale à la supérieure que " nous avons connaissance que les Dames que vous préposez à faire aprendre à lire aux externes, damnent, de leur authorité privée, ces pauvres enfants, parce quils pensent sur les affaires publiques comme leurs pères. Invités vos Dames à se borner aux seules instructions qui leur compètent et ne nous obligés pas à prendre des moyens qui nous affligeraient puisquils tendraient à retirer à votre maison la confiance publique quelle a méritée ". Désormais, la rupture est consommée car la temps nest plus à la conciliation mais au rappel à lordre et la soumission à la loi. Elles ne sont plus tolérées à Hédé quà la condition unique dassurer un service dutilité publique.
La tolérance prend définitivement fin lorsque le procureur remontre à la municipalité que la chapelle des Ursulines " déservie par un chaplain non assermentéest le rendez vous de tous les fanatiques et les rebelles à la loi, quon assure que tous les jours au mépris de la lettre pastoralle de lévêque métropolitain, on administre les sacrements dans cette chapelle [
] que la porte dentrée de la ditte chapelle soit fermée et parfichée ". Dailleurs, la municipalité y voit un bon moyen dembellir son église car elle souhaiterait récupérer dans la chapelle " quelques ornemens et bouquets de fausses fleurs " afin délever " la décence du culte divin ". Bien sûr, cest bien la preuve que le culte constitutionnel nest pas suivi par tous les hédéens, mais leur unanimité civique ne saurait tolérer en son sein un foyer dagitation, et nous comprenons mieux alors pourquoi Couëlla est expulsé peu après la fermeture de la chapelle. Les Ursulines réagissent alors pour se plaindre auprès du district dinsultes et autres méfaits subies soi-disant à Hédé, mais leurs propos achèvent de les discréditer car la municipalité " saute " littéralement sur loccasion pour en dresser un portrait ironique : " nous avons vu avec plaisir que vous les [plaintes] aviez appréciées davance. Les inquiétudes quon fait éprouver à ces religieuses sur la sûreté de leur clôture, [
] les insultes faites aux prêtres qui leur disent la messe et lexpulsion de leur chapelain, tel sont, Messieurs, les chefs daccusation exagérés [
] dans un pays où on les a toujours aimées [
] quoi quelles prennent les moyens les plus sûrs pour soulever les esprits ". La municipalité rédige une longue liste de griefs quelle reproche au couvent " pour animer contre nos religieuses, mais les citoyens de Hédé ne désirent que le bon ordre et ont eut le bonheur de le maintenir jusquà présent ", bien que quelques " bons citoyens " avaient écris à labbé Couëlla dans " lintention de sauver un homme des dangers où il sexposait sans cesse par son inconséquence ". Le climat de menaces à lencontre des réfractaires serait-il couvert par la municipalité ? Dailleurs, un épisode assez anecdotique sur leurs rapports avec les lieux sacrés pourrait nous éclairer. Le 29 septembre 1792, un certains Olivier Meslier avait été mordu par un chien enragé et, " daprès les simptômes de la rage, essuié ce matin des accez de cette cruelle maladie ". Atteint par des compulsions, il se met à hurler frénétiquement. Ne sachant où linstaller, les officiers municipaux voit le lieu idéal dans la sacristie de la chapelle, appartenant au ci-devant hôpital : ils font alors mettre " 4 pitons de fert avec anneaux auxquels ledit Meslier a été attaché ". Bien national qui a perdu sa nature religieuse, la volonté dy installer un individu dont le comportement est semblable à un aliéné, nest-ce pas révélateur de sentiments religieux forts peu ancrés chez une partie de ces notables ? Lidentité communautaire et religieuse vont de paire, ne loublions pas
Malgré le décret du 6 avril 1792 qui supprime toutes les congrégations religieuses, ce nest que le 22 septembre que le district ordonne à Hédé de procéder " à lévacuation de la maison des Ursulines ". La municipalité nomme donc Gersin comme commissaire au côté de Hérisson Delourme, revenant de Rennes pour loccasion, afin de procéder à leur expulsion le premier octobre après un inventaire des biens mobiliers appartenant à la nation. Largenterie y est récupérée et Hédé y loge provisoirement Jean Denoual, un petit maréchal, et sa femme pour " veiller à la convocation des dits effets, fruits et légumes et de prendre les soins convenables pour garder, soigner, et faire paître les dittes vaches ". La vente des biens nationaux appartenant au ci-devant couvent avait déjà débuter en avril. Par exemple, le 28 avril, le procureur Guynot acquiert à ferme pour 50 £ annuelles quelques chambres et cabinets, le tout situé dans le couvent, afin de servir définitivement " de maison commune et y tenir les audiences de police correctionnelle et les dits cabinets pour y placer les archives de la municipalité". Mais le plus important reste les ventes courantes de septembre à décembre 1792, suite à lexpulsion des religieuses. En effet, les mises aux enchères des bestiaux attirent des acquéreurs de toutes les communes environnantes : Vignoc, Langouët, Saint-Symphorien, Bazouges, la Chapelle-Chaussée,
Comme quoi, les paysans ne sont pas trop regardant sur lorigine de ces biens nationaux !
Laffaire ne sarrête pas ici car lhiver approchant, la municipalité décide une semaine après que le bois de chauffage du couvent " soient mis en petits lots proportionnés aux foibles facultés des pauvres habitans ", mais Gaisnel nest pas de cet avis et invoque un marché passé avec la supérieure qui ferait de ce bois sa propriété. Le procureur reste dubitatif sur ce qui semble bien être une ultime récompense partisane avant liquidation, car sans contrat écrit, ses " prétentions sont vagues et sans fondement ", mais surtout, si les " Ursulines voulaient gratifier le sieur Gaisnel et sa maisonnée [
] elles pouvaient le faire par tout autre moien quau préjudice des droits de la République " et lui rappelle que tout citoyen doit sexprimer " avec honnesteté et en termes décens, à respecter les authorités constituées et à ne point user de voie de fait ". Gaisnel fait à nouveau parler de lui car Belletier, commandant de la garde, signale " une grande fermentation dans lesprit du peuple de cette ville qui pourrait se porter à des excès ". La municipalité envoie donc la gendarmerie le requérir lui et sa femme à leur domicile, suite au refus de répondre à la convocation. Ces derniers expliquent quils avaient affiché la mise en vente de ce fameux bois et présente un contrat de 480 £ signé par la supérieure Keruzec. Cependant, ils acceptent de résilier le contrat si " les citoyens artisans et journalliers " leur remboursent cette somme. Ce compromis à lamiable semble tellement réjouir la municipalité quelle attribue 2 jours après, à Gaisnel un certificat de civisme au côté de Deslandes, Thouault, Aubrée, Duclos et Guynot car ils " jouissent avec justice de la réputation méritée de bons citoyens " et ont fournis des preuves " dun vrai patriotisme ". Sur cette conclusion " fraternelle ", 2 grands enseignements sont à retirer de ces épisodes : le premier reste la fermeture par étapes du couvent (suppression des revenus, la chapelle, lactivité éducative), dont le point crucial est lattitude face à la Constitution civile. Si un sursis à leur expulsion a sûrement été accordé, les autorités ont du supposer que léloignement de Couëlla aurait suffi à éteindre le " fanatisme " des surs, espoir que les autorités avaient également caressé pour régler le cas des prêtres réfractaires voisins : la désillusion nen sera que plus grande. Mais surtout, cest le comportement populaire qui devient intéressant dans la mesure où il se trouve être totalement inverse de celui des campagnes : à Hédé, ce sont bien les réfractaires qui subissent les foudres de ces sans-culottes car limportant nest pas la question religieuse, mais bien une adhésion totale à toutes décisions prises par lAssemblée et les autorités administratives. Nous retrouvons donc bien lambivalence de lexpression populaire mis en avant par R. Dupuy : lune, au nom de la démocratie directe et de la proximité des instances du pouvoir, règle radicalement une situation que la municipalité de Hédé souhaitait obtenir par compromis, lautre, est une résistance aux ingérences croissantes de lEtat-nation.
Le refus de la soumission par une partie des communes du canton ne peut quentraîner un amalgame de tous les suspects et opposants , dans un engrenage répressif au milieu dun climat général de suspicion.