Pouvoirs et politisation : Hédé et son canton
( 1785 — An II)


II- LE POUVOIR LOCAL, ENTRE ADHÉSION ET MÉFIANCE (1789 — An II)

Les premières années révolutionnaires sont cruciales pour comprendre les nouveaux rapports de force et les conséquences directes de la politique nationale sur les prises de position de chacun.

A. Le nouveau pouvoir municipal

    La réorganisation territoriale est l’un des grands chantiers de l’Assemblée nationale constituante puisqu’il ne s’agit rien de moins que de remplacer l’ensemble des pouvoirs complexes d’Ancien Régime par une administration rationnelle et hiérarchisée, mettant fin à tous les particularismes et privilèges locaux.

    La province de Bretagne se voit donc divisée en 5 départements, dont celui de l’Ille-et-Vilaine avec pour chef-lieu Rennes, lui-même divisé en 9 districts. Ces échelons administratifs sont dirigés par des villes comme Saint-Malo, La Guerche ou Dol mais seul le district de Rennes nous concerne directement puisque notre canton est de son ressort avec pour chef-lieu Hédé. Selon la loi du 14 décembre 1789, chaque paroisse est érigée en commune, et à ce titre, va enfin pouvoir élire sa propre municipalité dès le début de 1790.


    1. L’apprentissage de la citoyenneté et les élus

    Hédé constitue pourtant une exception de par son implication plus prononcée dans les événements politiques. Disposant déjà du privilège de communauté, celle-ci opère une sorte de mutation suite aux inquiétudes des patriotes : le roi renvoie son ministre Necker le 11 juillet, puis tente un coup de force militaire à Paris 1, provoquant à travers tout le royaume une " révolution municipale " qui profite d’un effacement général des autorités préexistantes (armée, intendant…). Les patriotes bretons sont quant à eux persuadés que l’aristocratie va tenter, à son tour, de miser sur une reprise en main militaire de la province 2. Nous reviendrons plus tard sur les modalités de création des milices nationales et de son comité militaire, mais nous devons ici signaler que Hédé, à la suite de Rennes, va créer un comité permanent où vont fusionner la municipalité élargie et le comité militaire 3. En effet, le 13 septembre 1789 4, il est fait mention pour la première fois de ce comité, mettant fin en quelque sorte au corps municipal d’Ancien Régime, puisque tous les officiers municipaux sont désormais associés à des notables (Gersin, Aubrée, le notaire Gaisnel,…), et surtout à l’état-major de la milice nationale. Malheureusement, les registres sont peu bavards sur ce qui semble être une cooptation progressive, car de septembre à octobre, on signale la nomination de nouveaux membres qui atteignent le nombre de 25 présents le 30 octobre. Au vu du contexte politique, ses préoccupations concernent avant tout l’application de la garde nationale, la loi martiale et la contribution patriotique.

    La fameuse transition entre ce comité permanent et la première municipalité nous est malheureusement inconnue du fait de pages arrachées : immense lacune car les registres s’arrêtent le 19 novembre 1789 pour ne reprendre que le 2 avril suivant. Nous ne disposons donc du procès verbal retranscrivant son élection, ni même celle des 6 autres communes et des taux de participation.

    La loi municipale du 22 décembre 1789 a pour but de légaliser toutes ces municipalités proclamées spontanément, mais institue un cens électoral pour l’accès au droit de vote : ce sont les citoyens actifs, c’est-à-dire tous les hommes de plus de 25 ans résidant depuis au moins un an dans le canton, payant une imposition de 3 journées de travail minimum, et qui ne sont pas domestiques 5. Les citoyens passifs seront donc ceux qui ne rempliront pas ces conditions restrictives. On comprend immédiatement que le corps électoral soit plus restreint que celui destiné aux élections lors des Etats généraux, d’autant plus que les éligibles doivent acquitter un cens de 10 journées. Nous connaissons le montant seulement pour Guipel, qui a fixé à 10 sous la journée de travail 6 soit 1 £10s pour devenir citoyen actif, preuve qu’ici " le cens n’est pas établi avec une volonté d’élimination massive qui correspond peu à la tradition des assemblées d’habitants 7", dont l’objectif est d’associer un maximum d’habitants à la citoyenneté. Ouverture plus grande donc que la plupart des communes du département, où le montant des 3 journées s’élève 2 £5s 8 à Gévezé, et environ 2 £ à Retiers.

    Heureusement, nous disposons des listes de citoyens actifs pour chacune de nos 7 communes, donc de mesurer globalement le degré d’ouverture 9.

     

    Communes

    Population
    Habitants capités
    Habitants payant 2 j. maximum
    Nombre d’actifs seulement
    Nombre d’éligibles
    Total
    Habitants et citoyens
    Capités exclus
    Hédé
    750
    23 %
    28 %
    33
    57
    90
    12 %
    11 %
    Guipel
    1400
    26 %
    3 %
    63
    159
    222
    16 %
    10 %
    Bazouges
    750
    22 %
    15 %
    41
    71
    112
    15 %
    7 %
    Langouët
    500
    21 %
    12 %
    30
    46
    76
    15 %
    6 %
    St-Gondran
    400
    24 %
    9 %
    23
    36
    59
    15 %
    9 %
    St Symphorien
    570
    19 %
    4 %
    31
    55
    86
    15 %
    4 %
    Vignoc
    1000
    29 %
    4 %
    30
    93
    123
    12 %
    17 %

    Comme nous pouvons le constater, environ 15 % des habitants sont citoyens actifs, ce qui correspond à la moyenne avancée par P. Gueniffey 11 pour notre département, même si M. Edelstein est plus précis avec 12,8 % 12. Le canton de Hédé serait donc plus ouvert en Ille-et-Vilaine, mais ce dernier évoque une moyenne nationale de 16,8 % : bien que notre canton soit fortement rural, cela aurait dû théoriquement facilité un plus fort taux. Il semble bien que payer les 3 journées n’est pas ici rédhibitoire, mais il nous est difficile de préciser nos résultats en fonction de l’imposition, tant les résultats sont disparates, voire insuffisamment fiables : comment , pour une population semblable, expliquer les différences de taux entre les contribuables exclus et les 2 journées à Langouët et Saint-Symphorien ? Cependant, si nous pouvons considérer qu’avec 12 % de citoyens actifs, Hédé et Vignoc disposent des corps électoraux les plus restreints, il semblerait que seul le chef-lieu ait un fort taux de passifs du fait d’un cens trop élevé pour une grande part des capités : 28 % des habitants adultes (hommes et femmes ?) n’atteignent pas les 3 journées de travail, alors qu’ils ne sont que 4 % à Vignoc et Saint-Symphorien. Or, Guipel et son faible cens, a le taux le plus bas du canton, mais il semble que cette dernière et Vignoc ont favorisé par la même occasion l’éligibilité de la plupart car elles sont les seules à permettre à plus de 72 % des actifs d’être élus, contre à peine les 2/3 dans les autres communes : taux supérieur à la moyenne nationale de 60 % 13, ce qui confirmerait l’idée que les zones plutôt pauvres et rurales disposent des plus fort taux d’éligibles parmi les actifs. Mais surtout, cela confirmerait l’idée que les paysans accèdent moins difficilement à la citoyenneté que les citadins, du fait de leur propriété parcellaire qui entraîne le paiement de la contribution foncière 14 : ce suffrage censitaire est donc très modéré car l’accès à la citoyenneté est aisé pour beaucoup. Il existe cependant une citoyenneté à 3 vitesses, selon des différences d’effectifs plus ou moins grandes selon les communes. En effet, les passifs ne disposent que du statut juridique de citoyen, alors que les actifs peuvent voter mais seulement une part encore plus réduite parmi eux est éligible, si bien qu’environ 1 contribuable sur 2 en moyenne est susceptible d’accéder à la municipalité.

    Cela fait dire à R.Dupuy 15 que le cens institutionnalise le seuil entre les pauvres structurels et les conjoncturels. Bien que P.Bois n’envisage pas la pertinence de cet argument, il est vrai que cela renforce de fait une tendance oligarchique de la paysannerie aisée : les aristocrates seraient alors tentés d’exploiter ce sentiment d’exclusion civique chez les passifs. Soyons prudents car cela ferait alors de Hédé et Vignoc des communes à risque de par leur concentration de capités passifs, résultats donc contradictoires qui invitent à une grande méfiance sur leur évaluation (les capités ne sont pas tous des hommes de plus de 25 ans).

    Si nous ne disposons pas des procès verbaux d’élection effectuée de janvier à février 1790, nous connaissons les principaux élus de la plupart des communes. En effet, les registres de Hédé les mentionnent clairement par la suite mais il n’en va pas de même pour les 6 autres communes 16. Les recherches récentes évoquent un taux de participation moyen de 50 % pour notre département cette année-là, et même 60 % dans certaines communes rurales 17, enthousiasme du fait de la précoce politisation des campagnes bretonnes contre les privilégiés.

    Les citoyens actifs ont donc élu outre un maire et un procureur, 5 officiers municipaux et 12 notables, sauf à Saint-Gondran : en raison du faible nombre de ses habitants, seuls 3 officiers et 6 notables seront élus pour former le conseil général 18. Le poste clef est bien évidemment encore celui de maire car en tant que chef et incarnation du pouvoir exécutif de la commune, il dirige le conseil municipal et ses prérogatives larges couvrent " la petite délinquance, administre les impôts, et bientôt les affaires de l’école, des chemins […] sans compter la gestion des listes électorales et le dialogue avec les autorités supérieures " dans le cadre de " la décentralisation complète voulue par la Constituante 19". C’est à ce titre qu’il joue également le rôle d’arbitre entre ses administrés, et d’intermédiaire entre eux et l’administration. Pourtant, son pouvoir de police élargi implique que ni l’armée ni la gendarmerie ne peut agir sur son territoire sans son consentement.

    A Hédé, la continuité d’Ancien Régime est de mise 20, puisque le maire n’est autre que Hérisson Delourme qui a sûrement profité du décès de son adversaire politique, Jean Belletier, en décembre 1789, pour être prorogé à ce poste. Nous ne reviendrons pas sur lui, mais il est évident que son expérience à cette fonction municipale depuis 1783 a dû peser sur le choix des électeurs. Au passage, il faut bien avoir à l’esprit qu’il confère un prestige honorifique car on y est élu pour 2 ans au suffrage direct, mais qui peut s’avérer être une charge bien lourde car aucune rémunération n’y est attachée. Si tous paient au moins 10 journées de travail, le maire de Hédé n’éprouvera sûrement aucune gêne contrairement aux 6 autres qui ne disposent pas de son aisance.

    Prénom Nom
    Profession
    Capitation
    Guipel
    Joseph Prioul
    Agriculteur, "marchand de comestibles"
    6 £ 10s
    St-Symphorien
    Joseph Deslandes
    Agriculteur
    16 £ 13s
    Vignoc
    Pierre Lebrun
    Agriculteur
    10 £ 15s
    Bazouges
    Barthélémy Pollet
    Homme de loi
    13 £
    Langouët
    Pierre Jamet
    Agriculteur
    4 £
    St-Gondran
    Jean Riche
    Agriculteur
    ?

    Si presque tous sont des exploitants agricoles, on ne peut pas dire que le groupe social des paysans aisés soit hégémonique car mis à part Joseph Deslandes qui est l’un des principaux exploitants de sa commune (24 £ de 20ème), tous sont de la moyenne paysannerie à l’image de Prioul (10 £) ou de Lebrun (12 £). La fermocratie artoise de J.P. Jessenne nous est ici bien éloignée. Par contre la rupture du pouvoir local révolutionnaire par rapport aux pouvoirs traditionnels est frappante car un seul ex-agent seigneurial est présent à Bazouges, signe d’une confiance faite par les électeurs à son expérience publique et administrative. Quant au bas clergé, il n’est pas représenté car même s’il tient une place importante dans sa paroisse, les citoyens n’ont pas souhaité soumettre leur nouveau pouvoir municipal à une tutelle spirituelle. Aucun recteur n’occupe le poste de maire ou celui de procureur, alors que le titulaire de ce dernier incarne au côté du maire " le dualisme des fonctions municipales 21". Elus tous deux à la majorité absolue du scrutin uninominal direct, il est chargé de défendre les intérêts du roi, de veiller à l’exécution des lois et de poursuivre les affaires de la communauté. Privé de voix délibérative, il siège obligatoirement dans toute réunion municipale, où il introduit et conclut la délibération. Autant à Hédé, le poste a été pourvu par Aubrée, un familier du monde juridique, autant ceux des autres communes sont tous d’authentiques agriculteurs tels que Jean Eon à Langouët ou Pierre Aufray à Saint-Symphorien, payant respectivement 12 et 15 £ de capitation.

    La seule présence d’un recteur dans l’une des municipalités est celle de François Costard, secrétaire-greffier de Saint-Symphorien, simple signe à nos yeux d’une implication dans la vie de sa paroisse devenue commune, à moins qu’aucun autre élu n’avait de talents pour l’écriture. En effet, une partie des correspondances et l’ensemble des rôles de contribution sont rédigés de la main de Costard, tant il est vrai que la qualité ou l’orthographe des écrits laissés par les officiers municipaux de la commune laissent à désirer : " le clergé paroissial fut fréquemment chargé de fonctions municipales, mais ne put suppléer qu‘en partie à l’ignorance de beaucoup d’officiers municipaux 22", même si ici, le jugement est un peu sévère. Cependant, nous ne connaissons absolument pas l’influence de Costard lors de son élection, notamment s’il occupe le poste de président de l’assemblée, ou s’il a refusé éventuellement par prudence celui de maire par exemple. En tout cas, sa présence n’est pas innocente.

    En ce qui concerne le reste des conseils, là encore Hédé marque sa continuité spécifique : Boursin est toujours greffier, tandis que les postes d’officiers municipaux sont encore monopolisés par les hommes de loi 23, dont 4 sont directement issus de la ci-devant communauté de ville. Pourtant, sur les 20 postes qu’offre la municipalité, seulement 6 sont parvenus à y siéger à cause de la transition, expression même du profond renouvellement de l’élite dirigeante. Parce que les officiers municipaux sont " l’élément actif permanent du conseil général 24" qui s’occupe des affaires courantes, les notables n’assistent qu’aux réunions importantes, mais ces derniers à Hédé sont largement issus du monde de l’échoppe et de l’artisanat, les grands oubliés de la municipalité précédente. Certes, il est vrai que ces notables sont par définition les individus les plus aisés, mais ils restent hiérarchiquement inférieurs au corps municipal et ne disposent pas d’un costume ou de l’écharpe tricolore.

    Pourtant, la capitation moyenne de cette municipalité est de 4 £ de moins par rapport à celle de 1788, preuve d’une solide démocratisation de la vie publique, dont le symbole serait Jean François Hardy, modeste serrurier siégeant aux côtés de l’élite traditionnelle de Hédé.

    Encore une fois, l’autre grande question est de savoir si les municipalités rurales sont monopolisées par l’élite sociale, car en effet, le risque serait le simple transfert du personnel du général de paroisse. Pour ce faire, nous allons prendre les cas de Guipel et Vignoc pour lesquels nous avons recueilli suffisamment d’informations 25:

    Guipel
    Capitation
    Vignoc
    Capitation
    Maire
    Joseph Prioul
    6 £ 10s
    Pierre Lebrun
    10 £ 15s
    Officier municip.
    François Gandilion
    4 £
    Pierre Richard
    16 £ 8s
    Officier municip.
    Jean Michel *
    4 £
    François Loren
    11 £ 8s
    Officier municip.
    Gilles Lotton
    5 £ 10s
    Joseph André
    8 £
    Officier municip.
    François Chabot
    4 £
    Jean Busnel
    5 £ 10s
    Officier municip.
    Jean Briand*
    7 £ 10s
    ?
    ?
    Notables
    Julien Bazin*
    5 £ 10s
    Pierre Broban
    5 £
    Notables
    François Delabarre*
    5 £
    François Mallier
    4 £ 15s
    Notables
    Julien Lebret*
    7 £
    Pierre Lebreton
    5 £14s
    Notables
    Louis Bouttier
    8 £ 10s
    René Lebreton
    6 £
    Notables
    Jean Robinault*
    7 £
    Joseph Lebreton
    7 £ 3s
    Notables
    Pierre Bazin Champlé*
    6 £
    Julien Richard
    6 £ 8s
    Notables
    Louis Bazin*
    9 £
    Julien Vauléon
    17 £ 5s
    Notables
    Pierre Bouriel*
    4 £
    Pierre Chaussonnière
    8 £ 2s
    Notables
    Pierre Brizard
    4 £ 10s
    Michel Denais
    5 £ 14s
    Notables
    Julien Thébault
    4 £ 15s
    ?
    ?
    Notables
    Pierre Mallier*
    8 £
    ?
    ?
    Notables
    Jean Buan
    7 £10s
    ?
    ?
    Procureur
    Jean François Allix
    6 £
    Julien Rébillard
    11 £5s
    Secrétaire-greffier
    Pierre Moulin
    4 £
    Guillaume Tourel
    4 £15s

    * : ancien membre du général de paroisse

    Globalement, les moyennes générales se valent : à Vignoc, elle s’élève à 8 £ contre 6 £ à Guipel mais il faut savoir que pour cette dernière, les plus gros capités y seront élus un peu plus tard, ce qui au final rehaussera la moyenne au niveau de Vignoc. L’élément important à souligner est que sur les 20 postes à pourvoir dans la municipalité de Guipel, la moitié est directement issue du général, ce qui nous permet d’imaginer cet exemple comme représentatif des 5 autres communes : un personnel municipal moins renouvelé qu’à Hédé mais en bonne partie instruit, expérimenté, et ouvert aux plus modestes, du moment qu’ils acquittent le cens d’éligibilité. Nous pouvons donc nuancer l’idée d’incompétence et d’ignorance de ces municipalités paysannes 26.

    Prenons juste l’exemple de Guipel, révélateur d’une réelle compétence, car " l’inquiétude de certains patriotes de Rennes devant la prolifération de pouvoirs locaux difficiles à contrôler vont obliger les département bretons à envisager la diminution du nombre des districts 27".  Les autorités lancent une grande enquête pour demander l’avis des communes, si bien que " ouï le sieur Allix procureur de la commune, la municipalité à elle jouin le conseil général de la commune après avoir strictement et scrupuleusement examiné dont est question est d’avis 1- que le nombre des districts en chaques départements de la province de Bretagne soient réduits à cinq […] 28". La qualité de rédaction et une réelle discussion entre les 17 membres présents peuvent montrer un réel intérêt pour la chose publique, même si tout n’est pas aussi rigoureux car à Langouët, il semble que l’objet de l’enquête n’a pas été comprise : " la diminusion peut ettre avantageuse des communes de quelques paroisses enfoncées dans les terres aux milieux ", mais les 6 élus présents, dont le maire, n’envisagent pas que leur municipalité soit " réunis à haucune autre entendu que nous somme sur un passage considérable ". Nous devrions plutôt voir ici leur crainte qu’il soit porter atteinte, voire de perdre leur auto-gouvernement au profit d’une fusion avec une autre commune. Cette incompréhension se rajoute à celle des divisions administratives, puisqu’ils confondent district et canton de Rennes tandis que le " département de Lile et Vilenne se termine à Bécherel 29" ! On tient donc ici à son nouveau pouvoir municipal et local, mais Langouët éprouve encore des difficultés pour ce qui est des enjeux politiques et administratifs supérieurs, spécifique de ce " chauvinisme local ", très éloigné des idéaux d’unité nationale 30. Cependant, Vignoc et Saint-Symphorien semblent déjà percevoir ces nouveaux enjeux car elles soulignent implicitement dans l’enquête, la surcharge fiscale liée au maintien de trop nombreux districts. Saint-Symphorien est d’avis d’en supprimer 5 ou 6 " pour procurer une diminution sur la masse des impôts ", tandis que Vignoc souhaite simplement conserver " ceux qui se trouvent au milieu du département  31" . En effet, " nos paysans sont visiblement conscients de l’espèce de transfert dont ils pourraient être les victimes, les anciens droits seigneuriaux étant remplacés par des impôts locaux accrus au seul bénéfice des juges et administrateurs, tous bourgeois et presque tous citadins 32". Mais il faut souligner que même Hédé prône la suppression de 5 districts, sans que nous sachions réellement pourquoi : sûrement est-ce la peur d’une nouvelle tutelle administrative, mais le paradoxe réside dans le fait que lorsque la liste des districts à supprimer est précisée, celui de Rennes n’est jamais mentionné alors que ce district les concerne directement. Hédé entend peut-être tirer profit de son ancien maire Hérisson Delourme nouvellement administrateur, mais pour les communes rurales ? J.-P.Jessenne estime qu’elles critiquent, par lucidité, une hiérarchie des localités et ses jeux d’influence typiques de l’Ancien Régime, devenus inutiles désormais.

    Critique ou pas, les changements au sein du corps municipal de Hédé ne se font pas attendre, suite au décès du secrétaire-greffier Boursin le 17 juin 1790. Lors de la réunion du 3 juillet suivant 33 et conformément au décret du 14 décembre 1789 34, le conseil général nomme Louis François Lemarchand " lequel ayant la main levée, à la présence de l’Assemblée, presté le serment d’être fidèle à la Nation, à la Loy et au Roi, de maintenir de tout son pouvoir la constitution du royaume et de bien remplir ses fonctions 35".

    Notre premier grand test électoral à Hédé a lieu le 29 juillet dans l’église Notre-Dame. En effet, le maire Hérisson Delourme avait fait parvenir le 17 à la municipalité, sa lettre de démission suite à sa nomination au directoire du district de Rennes. Bien sûr, on peut penser qu’il n’attendait que cette promotion pour quitter Hédé mais cela laisse supposer également l’avantage de cette situation car il va appartenir à un collège de 4 administrateurs permanents 36, chargé de la répartition des impôts, des biens nationaux, des listes civiques, de l’assistance 37,… mais le district est aussi une autorité tutélaire des municipalités, et intermédiaire avec le directoire du département.

    Commencée à 8 heure du matin, l’assemblée des citoyens actifs se constitue autour de la présidence de David Morel, encore qualifié sénéchal, mais nommé classiquement pour diriger l’assemblée car il est " le plus encien d’âge 38". On notera qu’ils ne prennent pas le temps d’élire le bureau définitif, car le bureau provisoire y fait fonction : pas de scrutin individuel ni d’appel nominal, pas plus pour les 3 scrutateurs (Ruaulx, René et Joseph Guynot 39) , tandis que Lemarchand, secrétaire de l’assemblée, est nommé par l’archaïque " acclamation ", c’est-à-dire un vote à haute voix 40. Les 5 membres du bureau lèvent ensuite la main et conformément au décret du 7 janvier 1790 41, prêtent le serment " de maintenir de tout leur pouvoir la constitution du roiaume, d’être fidelles à la nation, à la loix et au roy, de choisir en leur âme et conscience les plus dignes de la confiance publique et de remplir avec zèle et courage les fonctions civiles et politiques qui peuvent leur être confiées ". Ce serment est ensuite prêté par l’ensemble des citoyens actifs présents, seulement au nombre de 33 dont 17 membres municipaux, soit une participation de 37 %, ce qui est largement inférieur à la moyenne départementale en début d’année, mais au moins, cela leur permettra d’achever les procédures à la fin de la journée car généralement, elles se prolongent plusieurs jours ! On procède donc à l’élection du maire au scrutin et à la majorité absolue des suffrages, ce qui autorise une multitude de possibilités parmi tous les éligibles puisque le système de candidature déclarée est prohibé. Ainsi, les 2 premiers scrutins ne donnent rien puisque " Mr Eon officier municipal et Ruaulx avocat ont obtenu le plus grand nombre des suffrages sans la pluralité absolue ". On procède donc à un troisième et dernier tour de scrutin entre les 2 finalistes, mais il s’agit bien de Ruaulx qui est élu 42, dernier homme à avoir déjà occupé ce poste sous l’Ancien Régime. On remarquera tout de même qu’il ne fait pas l’objet d’une large unanimité car il a fallu 3 tours de scrutin pour le désigner, signe d’une grande dispersion des votes et non d’une lutte d’influence : le choix pourtant des votes portés sur Eon démontre clairement une tentative des actifs de renouveler le personnel traditionnel au pouvoir. Vers 17 heures enfin, le nouveau maire est accompagné solennellement par les membres du conseil général vers l’Hôtel de ville, pour prêter serment. Son enthousiasme pour la Révolution s’est peut-être rapidement effrité car nous apprenons sa démission le 19 juin 1791, sans motif apparent 43. En moins de 2 ans, une troisième élection porte enfin Michel Deslandes à ce poste avec une large unanimité, car après avoir été nommé président du bureau définitif, il remporte une majorité absolue dès le premier tour. Mais là encore, on ne peut pas dire que ce fut une grande mobilisation des actifs, car la matinée civique s’achève à 14 heures, après le serment du maire qui couvrira l’essentiel de notre période.

    Le premier renouvellement par moitié de la municipalité, en novembre 1790 44, s’installe dans la continuité puisque le maire est nommé " d’une voix unanime 45" président de l’assemblée électorale, dans l’église, tandis que sur les 3 officiers municipaux à nommer, Duclos et Thouault sont réélus 46. La nouvelle entrée de Mathurin Lemarchand, ancien échevin, ne s’explique que par le remplacement de Eon, fraîchement élu juge de paix. Pour ce qui est des 6 notables, 4 sont également réélus à leur poste mais l’on note cette fois à l’issue de l’élection une surreprésentation du monde des cabaretiers et des marchands, impliquant une subtile hiérarchie des responsabilités puisque les artisans n’obtiendront jamais que des sièges de notables.

    En tout cas, il semble que son déroulement soit rapide car commencée à 15 heures, les citoyens présents ne peuvent la mener à son terme : à 18 heures 30, " attendu qu’il est fort tard ". L’assemblée renvoie à mardi prochain, soit dans 2 jours, la prestation de serment des nouveaux élus, signe supplémentaire d’une participation encore plus faible que lors de l’élection du dernier maire. Les élections de 1791 et 1792 n’apporteront pas de changements notables 47, puisque la composition sociale de la municipalité reste identique, et cela même en décembre 1792. En effet, le décret du 10 août ouvre le droit de vote à tous les citoyens de plus de 21 ans, sans restriction censitaire, et l’éligibilité à 25 ans 48. Le symbole de cette accès limité est bien évidemment la fonction de maire, toujours monopolisée par les juristes et anciens échevins car elle " est peut-être perçue comme trop exigeante en temps et en compétence pour qu’une majorité de citoyens veuille la confier " à un manouvrier, simple artisan ou un paysan, " à moins que le barrage des puissants ne se soit renforcé 49".On note tout de même une progressive ouverture parmi les officiers municipaux, qui ne sont plus essentiellement des juristes ex-échevins.

    Pour résumer, pendant les premières années de cette institution, les citoyens font confiance à des hommes connus, qui ont pour la plupart montré précocement leur engagement ou leurs aptitudes dans les prises de décision. Nombre d’entre-eux sont toujours présents, parfois à des postes différents ou absents temporairement, puis font un retour inattendu, tel que René Guynot Deschapelles, élu procureur en 1792 alors qu’il avait été absent de la municipalité depuis la fin de la communauté de ville.

    Si le pouvoir municipal à Hédé semble s’inscrire dans une continuité en renouvellement progressif, le vocabulaire civique et le déroulement des procédures semblent facilement acquis, nous permettant une intéressante comparaison avec les municipalités rurales. Pour ce faire, nous disposons des procès verbaux du renouvellement partiel de novembre 1791 à Guipel, Bazouges, Vignoc et Saint-Gondran, où il est évident que les pratiques coutumières se mêlent encore aux procédures électorales. Les indications de participation sont lacunaires, mais à Vignoc, elles donnent l’impression d’un nombre plus que restreint, puisque " se sont assemblées Jean Cormier président [du bureau] de notre municipalité de Vignoc, Pierre Lebrun maire et les officiers 50", soit une douzaine de personnes aux maximum d’autant plus qu’il n’y a en contre-bas que 6 signatures, pour plus de 120 citoyens actifs ! Saint-Gondran connaît le même souci 51, mais tente de le résoudre par une seconde convocation après la messe, dont le résultat est plutôt décevant puisque ne se présente que 28 % des actifs, et encore, il faut y comptabiliser les membres du corps municipal. Cet élément est important car les habitants laissent apparemment la gestion communale à un nombre restreint de citoyens, souvent issus du général : par exemple, à Saint-Gondran, cela concerne la moitié des élus. En ce qui concerne Bazouges, l’élite sociale joue un rôle fondamental durant les élections car le greffier a le besoin de préciser les noms des " 3 plus anciens d’âge et qui seavent écrire ", avant de procéder à l’élection du bureau définitif, car leur influence sera grande sur les analphabètes hésitants, du fait que ces 3 scrutateurs sont chargés d’écrire le bulletin de vote des ces citoyens ne sachant le faire : cela reste cependant une application stricte de la loi du 3 février 1790 52. D’ailleurs, l’issue du scrutin était sûrement déjà connue car tous sont élus dès le premier tour, et mis à part Guipel, les 3 communes prolongent leur maire.

    Le vocable non plus ne trompe pas car même si aucune assemblée ne parle des habitants mais des citoyens, l’amalgame des attaches anciennes au nouvel ordre est flagrant 53 : Saint-Gondran parle encore d’un mandat électoral qui s’achève à la Saint-Martin, référence typique aux échéances de la vie économique rurale, tandis que la rhétorique civique est un peu écornée à Guipel où l’on parle d’un " échevin 54" pour qualifier l’officier municipal Gilles Lotton, de " municipalité de cette paroisse 55", et même mieux à Bazouges avec la " commune de cette paroisse " ! Cependant, cette régénération civique est ressentie comme " étant parfaitement compatible avec des aspirations collectives enracinées dans la tradition 56" et commence déjà à faire son effet puisque toutes parlent de " maire " et non de " chef de la municipalité ", alors que Guipel parle même de " scrutin de liste double suivant les décrets ". Vignoc a peut-être encore un peu de difficulté à s’en familiariser quand le greffier écrit bien souvent " puralité des voix ", et élit ses notables selon des procédures décrites par des périphrases " on tire au sort pour qu’il en reste 6 et 6 pour sorti et on a tiré au scrutin ". Alors que le serment est un signe d’attachement à la constitution du royaume et à l’ordre nouveau, seules Guipel et Bazouges font référence à la prestation du " serment décrété par l’assemblée nationale constituante et le dit serment presté, ledit président l’a reçu de tous les assistants 57". Bien que la citoyenneté sélective ait consacré de fait l’hégémonie de l’élite sociale, car les 6 municipalités rurales ont une imposition moyenne de 7 à 8 £, elles sont toutes d’authentiques autogouvernements paysans 58, des " petites Républiques " décentralisées 59, gages de consolidation du régime puisque la greffe politique et administrative a fonctionné. Il ne faudrait pas voir la faible participation comme un désintérêt populaire, mais plutôt la confiance des habitants dans la sanior pars 60. Cette pratique communautaire s’accompagne d’une rupture avec l’ordre ancien car il n’y a guère qu’à Bazouges que le maire soit un ancien agent seigneurial, bien qu’il y ait dans cette commune une sorte de méfiance vis-à-vis du clergé, présente quand Pollet signale au district, suite à sa réélection en novembre 1791, qu’il a " accepté la place de maire que sous la condition expresse que toutes les lettres et pacquets pour la municipalité soient envoyées à mon adresse[…]. Comme la municipalité est responsable de la négligence et du retardement qu’elle apporteroit dans ses opérations […] chacun a craint d’être compromis par la négligence que le curé apportoit à donner connoissance dès l’envoy des pacquets 61". Preuve flagrante que la légèreté d’Olliviéro à transmettre les correspondances est vécue comme une atteinte au bon fonctionnement de l’autogouvernement local, même si ici, cette méfiance se teinte d’une querelle de clocher avec Hédé, puisqu’il ne semble pas que Saint-Symphorien connaisse de problème avec Costard.

    Pour Hédé, 1790 n’est pas l’an I de l’autogestion, puisqu’il ne s’agit que de la continuité de l’Ancien Régime, mis à part une composition sociale de sa municipalité plus ouverte : il serait donc intéressant de voir son fonctionnement.