Depuis plus dun siècle, cette municipalité fait lobjet dattentions particulières, ressort incontournable du prestige social comme source de tension au plus haut niveau.
1. Lélite municipale ou les enjeux du pouvoir : de la milice bourgeoise à la députation
" On considère comme ville toute localité qui a eu des remparts au Moyen-Age, ou qui a formé le chef-lieu dune seigneurie considérable " 1. Située au sommet dune colline, domination symbolique visible à des lieues à la ronde, et même si les remparts de Hédé sont vêtustes voire ruinées, " cest à lintérieur des murs que ces privilèges prenaient toute leur force "2.
Le premier dentre tous est de sadministrer elle-même par un corps de ville, mais réduit par une simple cooptation parmi les notables et sous la tutelle de lintendant. La plupart des 42 communautés de ville en Bretagne ont un règlement reçu le plus souvent du parlement ou du Conseil du roi. Celui de Hédé date du 20 août 1773 3, et fait suite à des absentéismes trop fréquents : on comprend alors pourquoi les taux de présence sont très élevés 4, puisque une amende est désormais prévue. Seul Guynot de Brémard père dispose dun régime de faveur, du fait de son grand âge, car il nest même plus capable dexercer sa profession de chirurgien.
La communauté est composée de 18 membres, dont 2 membres de droit (sénéchal, subdélégué). Le principal reste évidemment le maire électif puisquil la préside : élu pour 2 ans, la procédure nest pourtant pas libre car le conseil de Hédé ne peut élire quun des 3 postulants inscrits sur une liste, auparavant agréée par lintendant, ce qui est donc de fait une ingérence royale sur les affaires municipales et une violation des Coutumes de Bretagne 5. Depuis 1782, Jean Belletier de lEtang occupe ce poste mais il semble que son mandat na pas été renouvelé en 1784, car dès 1785, il est toujours signalé procureur du roi, cest-à-dire quil représente les intérêts du roi, prononce les réquisitoires et ses conclusions avant que le conseil ne délibère : un poste-clef, qui lui confère une grande influence.
On rentre ici dans des enjeux (très) complexes, car au cours du XVIIIème siècle, la monarchie cherche à renflouer ses finances en créant des offices vénaux, dont celui de maire électif qui donne accès à la communauté sans y avoir été élu, et qui la dirige théoriquement : ces " offices fournissent un moyen redoutable de contourner la résistance des municipalités. En effet, leur achat est libre, des particuliers en profitent. [
] La seule défense des villes consistait à acheter tout ou partie des offices proposés, en général les principaux dont ceux de maire. Toutes nont pas voulu ou pu le faire 6", comme cest le cas à Hédé qui avait acquis pour 800 £ loffice de maire électif, afin den disposer et déviter de perdre le contrôle de la cité. Elle neut cependant pas les moyens 7 dacquérir celui de maire titulaire qui théoriquement remplace lélectif en son absence, et surtout, qui est le député de Hédé aux états provinciaux (nous y reviendrons). Ainsi, cet office avait été acquis par le sénéchal Morel Desvallons en 1763, pour 1200 £, puis racheté par le Hérisson Delourme en 1783. Or, cest bien ce dernier qui est nommé et considéré comme maire dans les délibérations, et non Jean Belletier : on peut imaginer que le corps de ville na souhaité conserver à sa tête que celui destiné à la députation, mais peut-être aussi parce quil convient à lintendant 8 : il naurait alors pas autorisé la communauté à sendetter pour acquérir loffice de titulaire. On notera que lors de labsence du maire Hérisson Delourme, cest Jean Belletier qui le remplace à la présidence des réunions.
Le miseur Carron de la Morinnais soccupe de la gestion financière du budget. Cest un officier également, mais il ne dispose pas du prestige du maire : considéré comme un " intrus ", les autres membres lui contestent " le droit dassister à leurs délibérations, de se mêler au cortège municipal dans les cérémonies officielles 9". On comprend alors pourquoi il ne sest présenté quune fois au conseil, pour rendre son compte de la " miserie " : il meurt le 23 janvier 1792, dans la plus grande indifférence.
La communauté avait également acquis loffice de greffier, dont elle élit le titulaire pour 2 ans, afin quil enregistre les délibérations et conserve les archives.
Les deux échevins nont quun titre honorifique, et sont remplacés tous les ans parmi les 10 conseillers. Ces derniers sont cooptés à vie, leur remplacement ne se fait quaprès un décès ou un changement de domicile : le 26 août 1786, Boursin " cy devant curé et échevin ", part résider à Guipel. Après convocation de lassemblée et en présence de 12 délibérants minimum, le maire propose 3 postulants : Jacques Deslandes de la Ricardais recueille les suffrages 10. Cela ne doit pourtant pas faire illusion, car cette municipalité nest ni démocratique, ni représentative : elle nest que le reflet dune oligarchie bourgeoise 11 dominée sans partage par quatorze robins, auxquels sajoutent quatre notables issus des professions libérales et du commerce. Le cas de Jacques Belletier est particulier car nous ne connaissons pas sa profession avant la Révolution (rentier, laboureur ?), mais il ny a aucune trace des journaliers, ouvriers textiles et simples artisans 12, car comme on peut le constater, les membres paient 15 £ de capitation, une moyenne bien supérieure au reste de la population.
De 1785 à 1789, ils se réunissent à 54 reprises, soit 10 fois par an en moyenne. Il nexiste aucune périodicité régulière mais on note au moins une réunion par trimestre. En fonction des besoins donc, la densité est parfois de rigueur : trois assemblées en juillet 1786, contre une seule le mois suivant. Il semble pourtant quen proportion, une période creuse se distingue de janvier à mars, sauf en 1789, à cause des événements rennais.
Son activité est celle de nos modernes municipalités, à quelques exceptions près, mais G. Codrus la déjà traitée, nous ny reviendrons pas. Cependant, comme toute communauté privilégiée, elle est fortement attachée à ses " libertés " (les mots sont synonymes) et ses symboles : le 17 avril 1787, elle demande lautorisation dinstaller sur la fontaine " deux écussons en pierre aux armes de la ville 13", mais le 26 août, lintendant donne son accord uniquement si lun des écussons porte ses propres armes ! Peine perdue, elle fait une nouvelle demande un an après pour installer ses armes sur les portes de lhôtel de ville et celles du maire. Un autre exemple tout aussi significatif est la question de la prison, symbole de lautorité judiciaire du siège royal. Suite à sa destruction, la communauté doit demander depuis le 10 août 1782 lautorisation pour payer 45 £, montant de la location annuelle dune maison où elle a installé son " corps de garde 14", et tous les ans, pour renouveler le bail. En effet, la monarchie centralisatrice a mis sous tutelle les finances des villes pour résorber leurs dérives budgétaires, et en arrière-pensée, pour quelles participent davantage aux dépenses de lEtat et " ne laissant aux municipalités que les tâches dexécution ou de proposition, la municipalité constituant de fait sous un statut particulier le dernier échelon de ladministration royale 15".
Supportant mal ce carcan, elles aspirent toutes à une autonomie que leur rogne lautoritarisme de lEtat. Il convient donc de limiter ce processus en sattirant les bonnes grâces de lintendant Bertrand de Molleville, et lui dédiant la place du champ de foire aplanie " selon son gré ". Cest lors de son entrée solennelle à Hédé, le 11 juillet 1786, que le maire Hérisson Delourme lui en fait la proposition : " cette ville vient de recevoir en particulier une marque de votre attention toujours éclairée [
] que par son zèle pur et désinterressé pour le soulagement de lhumanité souffrant, [la communauté] a arresté que la place dressée nouvellement au lieu où étoient les enciens décombres du château de Hédé sera désormais nommée la place de Bertrand [
]. La communauté a arresté en second lieu que le dimanche 23 aux 4 heures de laprès-midy il sera dressé un feu de joye sur cette nouvelle place, et que la communauté sy rendra en corps , et que la milice bourgeoise sera assemblée et mise sous les armes 16".
Ce dernier passage est une parfaite illustration de ce qui reste de la milice. Créée au Moyen-Age pour défendre le château, ses dernières expéditions militaires remontent au début du XVIIIème siècle lors des menaces anglaises sur la côte malouine 17. Lors de la création des offices vénaux par Louis XIV, la communauté de Hédé sen était portée acquéreuse afin de nommer les titulaires et contrôler ainsi la milice : seul le grade de colonel est inutile, vu le petit nombre dhabitant et de miliciens, il est donc réservé à titre honorifique au maire, gardien du drapeau. Lorsquun poste est vacant, la communauté se réunit et élit lun des postulants inscrits sur une liste, approuvée par le gouverneur de Bretagne, le duc dAiguillon 18. Voici donc létat-major en 1786 :
Prénom et Nom
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Grade
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Profession
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Capitation
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Jean François Hérisson Delourme
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Colonel
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Juge, maire
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60 £
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René Armand Guynot Deschapelles
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Capitaine
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Notaire, échevin
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4 £
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François Thouault de Haut-Villée
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Lieutenant
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Notaire, échevin
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14 £
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Dominique Guillois
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Sergent
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Boucher
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1 £ 15s
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Pierre Guelet
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Sergent
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Cordonnier
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?
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Pierre Dubois
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Sergent
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Cabaretier
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7 £
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Guillaume Guelet
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Sergent
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?
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?
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François Hardy
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Sergent
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Serrurier
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4 £
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Joseph Coupé
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Sergent
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Menuisier
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14s
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Pierre Courtin
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Caporal
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Boulanger
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8 £
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René Nobilet
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Caporal
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Boulanger
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6 £
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Jacques Beillet
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Caporal
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Marchand
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6 £
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?
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Caporal
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?
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?
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Jean Perron
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Porte-drapeau
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Marchand
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4 £
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Comme on peut le constater, les grades dofficiers supérieurs sont monopolisés par loligarchie municipale, qui est dailleurs la seule à avoir les moyens de se payer un uniforme, selon A. Anne-Duportal, donnant le prestige à lofficier et à sa famille bourgeoise.
Ces milices sont-elles alors " lun des produits typiques dune société fondée sur le privilège, prisonnières dun passé dont elles ne peuvent se libérer quen se niant elles-mêmes 19" ? Certes, les échevins ont le commandement, mais il convient de nuancer le tableau car tous les sous-officiers nommés sont issus du commerce et de lartisanat, selon une ouverture sociale large, comme le prouve Joseph Coupé, petit menuisier qui ne paie que 14 sous. Mais il est remarquable quaucun robin ni échevin ne soit sous-officier : question damour-propre sûrement car " ces formations en étalent les divisions et les exclusions[...], les oligarchies en place, au lieu de les utiliser pour masquer en partie ce qui les sépare du petit peuple, en refusant une promiscuité jugée trop dégradante[...] se coupent davantage encore des classes populaires 20". A Hédé, au lieu dexclusion, nous parlerions plutôt dassociation entre la bourgeoisie numériquement faible, et les couches populaires mais toujours selon le sacro-saint respect des hiérarchies sociales, constitutif de cette société dAncien Régime.
Pour le reste, la compagnie de 40 fusiliers se compose surtout de commerçants et dartisans. Le service est obligatoire et le recrutement se fait parmi tous les hommes de 18 à 60 ans : dabord les volontaires, puis les anciens soldats, célibataires, veufs et en derniers recours, les hommes mariés 21. Elle est chargée du guet (simple police) mais il ny a plus que la maréchaussée qui assure lordre. Aucun uniforme ou arme ne sont fournis à la milice, on se contente du fusil de chasse, ou à défaut, on emprunte celui du voisin. La communauté leur demande la discipline militaire et de savoir le maniement des armes, mais seulement 4 entraînements par an sont prévus.
Ainsi, le 17 avril 1785, des réjouissances sont ordonnées à loccasion de la naissance du Dauphin : un Te Deum est chanté dans léglise de Hédé, et la communauté prie " MM. Les officiers de la milice bourgeoise dassembler leur compagnie ce mesme jour et elle a engagé Monsieur Delourme maire de se donner les soins nécessaires et de faire les avances pour le feu de joye, les flambeaux que pour la poudre à fournir aux soldats de la milice bourgeoise 22", ce qui laisse penser quelle a seulement le goût des armes " pour la parade et pour faire parler la poudre 23". La milice doit également être présente pour accompagner solennellement le corps de ville au-devant des hauts personnages, mais derrière ce tableau idyllique que la communauté voudrait donner de " sa " milice, se cache le désintérêt total de certains miliciens pour ce qui semble être une simple fonction dapparat, destinée uniquement à flatter lego des échevins. Dailleurs, le règlement de 1781 implique une totale soumission de la milice pour mettre en valeur le corps de ville durant une revue.
Le problème nest pas nouveau car le maire de Hédé a toujours éprouvé des difficultés pour assembler les fusiliers 24, mais le signe le plus révélateur date du 11 juillet 1786, lors de lentrée de lintendant à Hédé. Guynot Deschapelles, capitaine de la milice, explique que " depuis quelques temps il a remarqué de linsubordination dans la milice bourgeoise, comme cette troupe ne connoist pas la discipline militaire ", car 2 fusiliers, Jean Arribard et Louis Lemaître (tous 2 marchand et cabaretier), ont refusé la convocation : " nous nous mocquons et des officiers municipaux et de ceux qui nous commande : nous ne viendrons pas 25", ce quils firent malgré les menaces de sanction. Le 23 juillet, lors de la revue, ils sont toujours absents et le capitaine ordonne au caporal René Nobilet de prendre avec lui 4 miliciens pour mettre les mutins aux arrêts : Nobilet et tous les fusiliers refusent et lui répondent quils iraient plutôt tous ensemble en prison. La communauté fait alors une demande désespérée, mais ferme, au comte de Goyon, commandant militaire de Bretagne, pour rétablir lordre par des sanctions exemplaires : ce sera lettre morte, mais cet appel à un agent du souverain nest pas une adhésion à lautorité royale, mais un moyen de défendre un privilège, selon C. Nières.
On le voit, les échevins tentent de maintenir la milice comme une prérogative illusoire du pouvoir municipal, mais ladhésion populaire ne peut se faire sans sa participation à ce pouvoir : siéger au conseil. Leur revendication implicite sexprime par un refus solidaire de servir, qui est interprété comme une mutinerie par des échevins qui ne peuvent la réprimer : cette incompréhension ne peut que perdurer tant que les privilèges régiront cette société.
Cependant, la députation reste lenjeu municipal le plus important. En effet, tous les deux ans, se réunissent les états de Bretagne, cette " démocratie féodale " où presque tous les nobles bretons ont droit de siéger, au coté dune cinquantaine decclésiastiques et de la quarantaine de députés du soi-disant tiers, car ils ne représentent que les bourgeois des communautés de ville. De plus, les membres de ces deux derniers ordres sont presque tous anoblis : " tous ces petits gentilshommes simaginent défendre les libertés bretonnes en frondant les décisions royales 26", si bien que les états ne sont quun " lobby nobiliaire acharné à rogner pied à pied les prérogatives de lintendant [et] limiter les exigences fiscales de la monarchie 27", après le vote par ordre. Entendons-nous, il sagit bien dy défendre les privilèges dune minorité et spécifiques à la Bretagne : la masse paysanne bretonne, non-représentée, na rien à gagner dans ces débats, bien au contraire.
Par contre, les enjeux pour Hédé sont énormes car pour se faire entendre, tout va dépendre de son député. La communauté avait toujours élu librement celui qui lui convenait , que ce soit son maire électif ou titulaire, son subdélégué Ruaulx de la Tribonnière ou son sénéchal Morel Desvallons. Le dernier en date était Jean Belletier, maire électif et député en 1782. Or, il semble quen 1784, lors de larrivée du nouvel intendant de Bretagne, de Molleville a réaffirmé lexécution de larrêt du Conseil du Roi du 11 juin 1763, qui oblige toutes les communautés à élire le maire titulaire, donc Hérisson Delourme à Hédé : la municipalité sindigne de cette nouvelle ingérence royale !
La prochaine réunion des états à Rennes, le 23 octobre 1786 28, va nous éclairer. Lintendant estime que les députés du tiers seront compétents seulement sils assurent une continuité du personnel, mais il sagit bien en réalité dagréer des députés favorables au roi, car une " bataille " oppose lintendant et les états pour le contrôle des communautés de ville. De son côté, celle de Hédé, comme toutes les autres, va sallier en quelque sorte avec les états dans la résistance vis-à-vis de lEtat royal : les municipalités sont donc à la fois un atout et un obstacle pour la pénétration politique de la monarchie 29. Elle va donc refuser de donner au maire titulaire le droit de vote et une majorité de voix. Dans le fond, cela ne change rien mais le 17 août 1786, il est signalé dans la délibération de Hédé quelle députe Hérisson Delourme en y étant forcée, donnant volontairement un argument aux états pour linvalider. Or, Jean Belletier semble être le chef de file de cette opposition radicale alors quil est lui même procureur du roi ! Il nemporte pourtant pas lunanimité au sein du conseil puisque un " parti " adverse, plus modéré, ne soppose pas à donner sa procuration au maire titulaire, au risque sinon de ne pas avoir de député 30. De toute façon, le 4 octobre 1786, lintendant leur signifie à tous que par décision royale, cette élection est annulée puisque " le maire avoit le droit de donner suffrage [
], quelle est injurieuse pour le maire et dictée par un esprit de parti ", et dautre part, il reproche le laxisme volontaire, voire même la volte-face, de son subdélégué : " vous nauriez pas du être du nombre de ceux qui ont supposé le partage dopinions. Noubliés jamais que mes subdélégués doivent toujours donner lexemple de leur soumission aux arrêts de règlement ". Une nouvelle élection a donc lieu, le 20 octobre, où 15 délibérants donnent cette fois la majorité au député, mais le lendemain, le subdélégué Ruaulx répond à son intendant qui la " inculpé. Je me blanchirais aisément mais il men couteroit trop de le faire aux dépens dun autre. Ainsi, je préfère de garder le silence 31". Courroie de transmission nommée par lintendant, le subdélégué exerce gratuitement cette profession et nen est donc pas moins indépendant car ce nest pas un officier : Ruaulx est aussi avocat au parlement et juge seigneurial. Agent de lautorité de lEtat royal certes, il est en contact permanent avec les notables locaux dont il partage les intérêts : sa résistance contre lintendant sexprime donc par son mutisme 32.
Pour une illustration plus explicite, les mêmes protestations sont formulées par une partie des échevins le 28 septembre 1788 contre la députation de Hérisson Delourme aux prochains états de décembre, à une différence près. Sur les 14 votants, les opposants exultent enfin car ils ont une majorité indiscutable par 8 voix contre 6, avec le subdélégué Ruaulx, Belletier de lEtang, Duclos, Guynot Deschapelles, Binel, Deslandes de la Noë, Belletier du Breil Marin et Deslandes de la Ricardais. Ils protestent donc " davance contre tous les arrestés particuliers que pouroit prendre les 6 membres, dont lavis na pas prévalu, comme contraire aux règlement qui décident que dans tous corps politique larresté pris à la pluralité des voix fait la règle 33". Les cinq partisans du maire (Robiou, Guynot Brémard père et fils, Thouault, Eon) signent la délibération avec la mention " ayant voté pour une procuration simple ", tandis que Hérisson Delourme ajoute signer " avec protestation et sans approbation des motifs ". Il reçoit pourtant la députation forcée, mais sans la légitimité municipale. Nouvel embarras à Versailles, qui ne souhaite pas que ce conflit latent senlise. Lintendant reçoit donc une lettre datée du 28 octobre 1788, lui ordonnant décrire au maire pour quil déclare à la communauté de Hédé " quil sera toujours flatté de représenter la communauté aux états [mais uniquement] par un choix entièrement libre, et quil préfère se désister plutôt que de faire usage dune procuration qui paroitroit être louvrage de la gêne [
]. Cette déclaration de la part du sieur de Lourme pourroit avoir leffet de disposer les membres de lassemblée en sa faveur 34". Effectivement, le plan fonctionne puisque le 21 novembre 1788, il fait la même déclaration mot pour mot, mais à quelques notables exceptions près : il se dit " représentant de mes concitoyens ", qui se désiste car " le vu général de la nation se portant vers un choix libre ", mais il demande en échange " à conserver le fond de ma propriété 35". La communauté décide donc, par 7 voix contre 5, de lui racheter son office de maire et déclare " navoir aucun reproche à [lui] faire ". Cette acquisition na pourtant pas été autorisée par lintendant, car désormais, Hérisson Delourme ne fait plus partie du conseil mais lillusion de sa démission lui a procuré la faveur des délibérants qui lui donnent à la nouvelle élection du 16 décembre 1788, la députation. Jean Belletier est satisfait de son côté, car il préside désormais la communauté en tant qu " ancien maire " et serait bien placé pour les prochains états de Bretagne,
dans deux ans !
Divisés durablement, il est flagrant de voir que les officiers municipaux ne sont pas une garantie dexécution rigoureuse des décisions royales. Aux mains de cette bourgeoisie, lappareil dEtat ne peut pas progresser sans heurter lautonomie municipale. Alliée de la noblesse des états dont elle utilise la susceptibilité, elle est partisane des réformes si elles renforcent ses pouvoir et privilèges, farouche opposante sinon 36. Ses intérêts divergents de ceux de la noblesse auront raison de leur alliance.