INTRODUCTION


 

"Les archives judiciaires constituent la documentation la plus précieuse qui soit pour approfondir la définition d'une culture celle qui permet d'atteindre ses règles fondamentales, et la mesure de leurs acceptations" (1).
Le crime, hier comme aujourd'hui fait peur. Mais dans la société d'Ancien régime où la vie de l'homme est encore si fragile, où la domestication des pulsions se forge peu à peu, il étonne peu : il fait partie de la vie sociale quotidienne. Pour se protéger, la collectivité employait des châtiments exemplaires ; exécutions publiques, seul moyen de contenir la violence.
Encore faut-il replacer le "mot" "crime" dans son contexte : synonyme d'infractions graves aux prescriptions morales et à la loi pénale il est puni d'une sanction lourde dont l'échelle des peines varie selon les juridictions et l'époque d'un bout à l'autre du royaume.

Les historiens des mentalités (Robert MANDROU, Pierre GOUBERT) ont puisé dans la masse étonnante et complexe des Archives judiciaires, jusqu'alors oubliées, les indices révélateurs de l'histoire sociale - pour une meilleure connaissance des groupes sociaux et leur défense.
"Pour écrire l'histoire des partages culturels, des refus et des projections qui hantent le philosophe Michel FOUCAULT" (1).
Encore faut-il pour la compréhension des faits criminels connaître le droit de l'Ancien Régime. Les affaires criminelles étudiées, ici dans la Sénéchaussée Royale de Hédé sont apparues sous forme de procès. Il s'est avéré indispensable d'analyser cette procédure d'en connaître les différentes étapes, de la plainte ou remontrance, à la sentence ; observer la manière d'opérer des magistrats dans leur façon de reconstituer les faits et de rendre sentence "devant Dieu et conscience".

L'analyse des délits (circonstance, mobile, nature des plaintes, interrogatoires du délinquant, l'attitude des témoins à travers leur disposition sont autant d'indices révélateurs, miroir d'une société.
Une société qui cherche à se protéger de ceux qui sont venus troubler le consensus social, par l'aspect réprimandeur de sa justice. "Elle châtie et élimine les délinquants qu'elle ne cherche ni à amender ni à rééduquer" (2) .
On retrouve avec passion et émotion cette société vivre dans ses procès, ses peurs, ses craintes, ses refus, ses drames de la misère.
L'histoire du crime prend en ce sens signification et intérêt ; elle dévoile les valeurs fondamentales de ces hommes : le sens aigu de l'honneur qui ne supporte pas d'être bafoué (nombreux procès à propos d'injures de défis qui engendrent la violence) de l'honnêteté basé sur la confiance (3).
La société d'Ancien Régime est particulièrement sensible à l'atteinte à la propriété privée, ce qui explique le souci permanent des juristes face au vol et la sécurité des sentences.
On devine aisément tout l'intérêt que peut revêtir l'étude de la documentation judiciaire pour l'historien des mentalités mais ce travail comporte aussi ses limites à savoir celle du temps et de l'espace.

Il a fallu donc se limiter au dépouillement complet de six liasses de la série 3BC, concernant la sénéchaussée royale de Hédé. Soit 54 procédures criminelles classées dans l'ordre chronologique des permis d'informer de 1694 à 1789.

Un rapide examen des Registres des dénoncés criminels 3BC 388 à 391 (4 liasses) de 1682 à 1683 et des actes criminels du greffe 38C 392 à 405 de 1644 à 1790 ont permis malgré un problème majeur de lecture des manuscrits de dresser un rapide sondage sur la criminalité dans la Sénéchaussée de Hédé.

Cette étude ne prétend pas donner une image complète de la société bretonne du XVII éme siècle finissant, au siècle des lumières, mais être simplement un moyen d'élargir et de comprendre les mentalités d'une population essentiellement rurale dans ses cadres. Soumise au rythme des saisons et de l'Église et à l'appréhension des fléaux naturels (disettes, épidémies), les mobiles de ces délits se laissent facilement discerner drame de la misère, réactions à l'oppression, et aux interdits.

Il a semblé opportun de situer dans une première partie la petite ville de Hédé dans son contexte géographique et humain, de dénombrer brièvement les différentes juridictions seigneurales, de décrire l'organisation judiciaire de la Sénéchaussée Royale, son ressort (avec ses 11 paroisses rurales). Les lieux où s'exercent la justice son Auditoire et sa prison avec leurs problèmes d'entretien.
La fonction des officiers royaux et de leurs auxiliaires.

La seconde partie concernera le dépouillement des affaires criminelles, résumées et classées chronologiquement pour permettre des références pratiques.Les divers crimes rencontrés seront classés par types de délits. De cette étude statistique, quantitative des infractions on dégagera les motivations et les circonstances et leur répartition dans l'espace et dans le temps.

Connaître les délinquants tant par une étude psycho-socio-professionnelle que par leur manière d'opérer et leur mobile sera l'objet du quatrième chapitre. On tentera de dresser le profil du délinquant tant à la ville qu'à la campagne.

La quatrième partie sera consacrée à la procédure judiciaire avec son déroulement théorique, puis pratique jusqu'à la sentence. L'analyse des sanctions permettra d'esquisser une échelle des peines en fonction des délits, des personnes, du juge et son évolution. La justice est-elle la même pour tous ?
Les procès criminels transcrits par les greffiers de justice auront permis de fixer à jamais des indications sur les mentalités des hommes du XVIIIème siècle, sur leurs relations entre catégories sociales, leur vie quotidienne, leurs distractions et leurs contraintes, les conditions de travail des hommes et des femmes. Ce sont ces indices que nous regrouperons dans ce dernier chapitre consacrés aux mentalités.

 

(1) Robert MANDROU - "La France au XVII et XVIII ème siècle.", page 275, PUF nouvelle CLIO, 1967.
(2) Arlette FARCE "Le vol d'aliments" à Paris au XVIIIe s. Plan
collection civilisations et mentalités.

(3) Affaire 3BC 438 1775 - Tel Maître COCHERY Procureur fiscal d'Hédé, qui découvrant que Julien DAGORET lui avait volé une poche de blé noir dans son grenier : "C'est vous DAGORET, je croyais que vous étiez honnête homme..." Il lui donna deux ou trois soufflets après quoi il le mit dehors en lui donnant deux coups de pied dans le ..."

 

 

 

RETOUR PAGE PRECEDENTE