RESTITUTION DU CHÂTEAU.

 

Du château, il ne reste plus maintenant pour ainsi dire, que le plan par terre, c'est à dire les murailles seulement pour indiquer sa forme, la moitié d'un pan de mur de l'un des côtés pour nous donner à peu près sa hauteur, et l'enceinte du bayle.

Avec de si faibles éléments, sera-t-il possible de façon suffisante pour nous faire une idée de ce qu'il était aux XIV et XV ème siècles dans la plénitude de sa force ?

Nous le pensons et nous allons tout au moins le tenter. " Le château normand du XI ème siècle, ne consistait qu'en un donjon carré ou rectangulaire autour duquel on élevait quelques ouvrages de peu d'importance, protégés surtout par un fossé profond pratiqué au sommet d'un escarpement ; c'était là le véritable poste normand de cette époque, destiné à dominer un territoire, à fermer un passage ou à contenir une population. ( Viollet-le -Duc - Dictionnaire d'architecture française du XI au XIII ème siècle - Tome III - page 78.) Cette description du château normand semble avoir été faite d'après celui de Hédé. On sait, en effet qu'il se composait seulement d'une tour ; celle-ci était carrée, plutôt rectangulaire, car ses côtés n'étaient pas égaux, s'élançait du fond d'un fossé d'environ cinq mètres de profondeur creusé dans le roc, qui l'entourait de trois côtés, le quatrième était défendu par l'escarpement du rocher. Ce fossé quoique nécessairement à sec, puisqu'il n'était fermé que de trois côtés, et que d'autre part l'étang voisin qui lui seul sur ce sommet aride, aurait pu lui fournir l'eau, est à un niveau insuffisant, n'en était pas moins une protection sérieuse, en élevant les premières fenêtres à une hauteur qui les rendaient impossible à atteindre sans échelles.

Le donjon était orienté à peu près Nord-Sud. Les côtés Nord et Sud avaient de longueur extérieure 24 mètres, les côtés Est et Ouest seulement 22 mètres, y compris les contreforts qui larges de 4,20 m à 4,40 m et saillants d'un mètre en moyenne, enveloppaient les quatre angles, en leur donnant une grande solidité. Les murs construits suivant le système du Bas-Empire que l'on retrouve jusqu'au XII ème siècle, ( Viollet-le -Duc - Dictionnaire d'architecture française du XI au XIII ème siècle - Tome III - page 76.) se composait d'un blocage de pierres reliées par un mortier de chaux liquide que l'on coulait entre elles et qui en durcissant formait une masse compacte, d'une dureté à toute épreuve, enfermée entre deux revêtements en pierre de taille ou en moellons.
Ces murs, tout en étant de construction identique, ne sont pas absolument semblables. Ceux du Nord, de l'Ouest et du Sud, semblent plus soignés ; leur parement semble aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur, entièrement en grand appareil, tandis que dans celui de l'Est, la partie qui descend dans les fossés et les contreforts en sont seuls revêtus, le reste , sauf les pieds droits et le cintre des fenêtres, étant en moellons appareillés de dimensions diverses. Leur épaisseur n'est pas aussi la même ; les trois premiers mesurent 3,80 mètres de largeur, tandis que le quatrième n'a que 3,20 mètres. Celui qui est aspecté au Sud présente cette particularité que dans la partie du milieu, à l'extérieur, touchant la fenêtre au Sud-Est, se produit un retrait de 2,60 mètres de largeur, qui partant du bas et augmentant graduellement, arrive à avoir un mètre de profondeur , pour monter perpendiculairement jusqu'en haut. Ce retrait en petit appareil, était-il le résultat de la réparation d'une brèche que l'on avait du boucher, ou plutôt, n'était-ce pas pour défendre au moyen de mâchicoulis, les ouvertures de ce côté ou manquait le fossé ?

Les murs s'élevaient du sol de la cour jusqu'à la naissance du toit, sans compter la partie enfoncée dans le fossé, jusqu'à environs 22 à 23 mètres, et étaient percés, sauf pour celui tourné vers l'Ouest où l'on ne voit qu'une ouverture de quatre quatre rangées de deux fenêtres chacune, qui éclairait l'intérieur.
Quant à la partie supérieure dont il ne nous reste plus de traces, nous devons supposer qu'elle était terminée comme celle de tous les châteaux des XI et XII ème siècle, par des parapets en pierre, entourés en temps de guerre de ces constructions en bois qu'on appelait des hourds. Ces espèces de murs en forts madriers posés sur des poutres horizontales fixées dans la maçonnerie, s'avançaient en saillie pour former une galerie couverte et abritée dominant le pied de la tour, de laquelle les défenseurs pouvaient accabler les assaillants de traits, de pierres ou de projectiles de toutes sortes ; et qui furent comme nous l'avons dit, probablement remplacés à la fin du XIV ème siècle, par des créneaux et des mâchicoulis ; puis venait par dessus tout cela, le toit carré suivant la forme du donjon, recouvert de tuiles ou de bardeaux, sans doute, à cause de la rareté dans le pays du schiste et de l'ardoise.

L'intérieur du château comprenait quatre étages : un rez dz chaussée ou sous-sol, puis trois autres niveaux successifs surmontés par les parapets et les hourds. Le rez de chaussée descendait en terre, presque jusqu'au niveau inférieur du fossé. Lorsqu'il y a quelques années, on enleva les décombres qui le remplissaient depuis l'époque de la démolition, on put en connaître la disposition. Un mur à chaux et à sable, allant de l'Est à l'Ouest, coupé par deux autres murs transversaux semblables, de 1,30 mètre à 0,90 mètre de large, et un dernier, plus étroit, plus récent, simplement en pierres et terre formaient cinq pièces de tailles et de formes différentes :
- à l'Est une chambre mesurant 5,20 mètres sur 5,50 mètres et une autre communicant avec elle, de même largeur et de 6,20 mètres de longueur, avec chacune deux fenêtres. Cette seconde s'ouvrait sur une troisième qui, par deux portes communiquait d'abord à une quatrième au Sud, de 5,40 mètres sur 5,20 mètres, contiguë à la première, celle-ci ayant seulement une fenêtre, et enfin à une cinquième , longue et étroite, occupant tout le côté Ouest. La hauteur sous poutre était d'environs six mètres. Les quatre portes qui réunissait ces divers appartements étaient cintrées en pierre de taille avec les arrêtes abattues. Le seuil ne descendait pas jusqu'au sol ; il fallait encore trois ou quatre marches pour l'atteindre. Les fenêtres en plein cintre, longues et étroites, placées très haut au dessus du sol, allaient toucher le plancher supérieur, pour y arriver on avait construit des marches dans l'épaisseur de la muraille. Leur hauteur était la même, 1,50 mètre environ à l'extérieur, mais beaucoup plus grande à l'intérieur ; l'ouverture de 2 mètres au dedans variait de 0,55 mètre sur la face Est à 0,80 mètre sur les autres faces ; à l'Ouest la seule ouverture existante était large de 1,10 mètre en dedans et de seulement 0,40 mètre en dehors.
Ces fenêtres se trouvaient aussi dominer tout le fossé, dont elles défendaient les abords. Une meurtrière de forme ronde , de 0,15 mètre de diamètre ( peut-être d'une époque postérieure) en surveillant le fond.
Au dessus de ce sous-sol venait trois étages séparés les uns des autres, non par des voûtes de pierre, car il n'en existait aucune au château, mais comme dans ceux du type normand d'après lequel Hédé avait été construit, par des planchers en bois dont l'extrémité des poutres reposaient sur des corbelets encore visibles et le milieu sur les murs de refend.
Pour nous renseigner sur ces étages nous n'avons plus comme témoin, que la moitié à peine d'un seul pan de mur, qui cependant ne sera pas tout à fait muet.

Chacun d'eux était divisé en quatre compartiments à peu près de même taille, par deux murs se coupant à angles droits. Si les murailles intérieures lisses, depuis le bas du donjon jusqu'à son sommet, ne porte plus de traces de ces murs qui y étaient seulement accolés comme nous avons pu en juger par ceux du sous-sol, les pieds droits enchâssés à différentes hauteurs dans les parois, dont des portes qui faisaient communiquer les différentes pièces, nous en font connaître le plan. Chaque pièce était éclairée par deux fenêtres ouvertes dans deux cotés. Car nous pouvons croire que la face Ouest qui, dans sa partie inférieure, n'avait qu'une seule ouverture redevenait semblable aux autres dans les parties plus élevées, fenêtres pareilles à celles que nous avons décrites, mais se trouvant au niveau du plancher, et n'ayant plus besoin de plancher pour y accéder. Quelque unes étaient même garnies de bancs pour s'asseoir.
Enfin sous le toit, il fallait encore compter une plate-forme embrassant toute le surface de la tour, y compris l'épaisseur des murailles bordées par ses parapets et en dehors, par sa ceinture de hourds, où se plaçaient les veilleurs et les archers.

Nous n'avons encore rien dit des moyens de pénétrer dans la tour et de communiquer entre ses différents étages. Comme dans tous les donjons du XI au XIV ème siècles, l'entrée d'accès difficile et placée à une assez grande hauteur, se trouvant au niveau du premier plancher. La porte très étroite s'ouvrait sur la face Ouest, dans la saillie du contrefort Sud, on y accédait dans un premier temps, par une échelle volante, soit par un pont mobile, jeté sur le fossé et qu'on pouvait déplacer à volonté. Plus tard lorsque cette face du château fut enfermée, au XIV ème siècle, dans une nouvelle enceinte, les précautions devinrent moins nécessaires et l'échelle fut remplacée par un escalier de pierre de largeur suffisante pour le passage d'un homme, partant du pied de la tour, au fond du fossé pour s'élever jusqu'à l'ancienne entrée.
Lorsqu'on était parvenu dans le château, si l'on voulait descendre au sous-sol qui servait de magasin et de cellier ( on y trouva lors de son déblaiement , une grande quantité de dents de porc ou de sangliers, des couteaux de cuisine, une clef à soutirer en bronze, etc....), on ne pouvait le faire qu'à travers une trappe et au moyen d'une échelle.
Ce sous-sol n'était point pourtant sans communication avec l'extérieur. Dans la paroi Sud, sur le côté qui n'avait point de fossé et donnait directement sur l'escarpement du rocher, une poterne avait été pratiquée. Cette poterne large de 1,10 mètre sur 2 mètres de hauteur, qui ne semble pas dater de la construction primitive, car on n'y retrouve pas le plein cintre caractéristique, est construite en magnifiques pierres de taille, aussi bien à l'extérieur que dans l'épaisseur de la muraille et au plafond. Elle était fermée par trois solides portes qui la barraient à ses deux extrémités et au milieu. Elle devait servir à la garnison à introduire les approvisionnements, et aussi à sortir, en temps de guerre, soit pour surprendre l'ennemi, soit, en cas de nécessité, pour faciliter une évasion.

Pour monter jusqu'au sommet du donjon, fallait-il encore se servir d'une échelle ? C'est fort probable, c'était en effet pour tous les châteaux antérieurs au XIII ème siècle, et qui n'étaient point voûtés le seul moyen employé. D'autre part s'il a existé dans l'épaisseur des murailles un escalier, ce qui me semble assez difficile du reste, à cause de la disposition des fenêtres - comme on en trouve plus tard, partant de l'entrée avec un palier à chaque étage, on n'en voit plus de traces, et cependant, quoique tout soit en ruines, il reste encore assez de parties s'élevant au dessus du premier étage, pour qu'il n'eût pas été, semble-t-il impossible d'en constater l'existence.

Au commencement du XV ème siècle, une courtine haute et épaisse, avait été bâtie en arrière de ce fossé, qui comme nous l'avons dit, partant de l'angle du donjon et remontant vers le Nord fermait à l'Ouest une cour ou bayle, qui contenait les bâtiments de service, pour la renforcer et la compléter. S'élevant perpendiculairement de l'extrémité du pied du contrefort Nord-Ouest et laissant ainsi entre celui-ci et eux un vide d'environ 1,50 mètre, qui fut comblé plus tard, ces murs longèrent d'abord le fossé, puis arrivés au bout et tournant vers l'Ouest, en suivant toutes les sinuosités du plateau, vinrent rejoindre le donjon à l'angle Sud-Ouest.

Construit d'après les mêmes procédés que ceux de la tour en blocage revêtu de parements en moellons, ces remparts avaient 2,50 mètres d'épaisseur moyenne et leur hauteur variaient suivant les inégalités du terrain qui n'avait point été nivelé.

Cette hauteur y compris le couronnement aujourd'hui disparu, qui ne pouvait être vraisemblablement qu'un parapet, atteignit dans la partie la plus faible et aussi la plus menacée, celle qui regardait la ville et dans laquelle se trouvait l'entrée, environs 9 mètres . Cette entrée qui donnait accès dans le bayle , et par la suite dans le château, était une grande porte sans portillon, à laquelle on arrivait par un pont-levis.

Les murs sont percés de casemates avec des embrasures spécialement faites pour le canon. On y voit encore les trous creusés dans la pierre, où s'engageaient les pièces de bois sur lesquelles étaient attachés les nouveaux engins, qui on le sait n'avaient pas d'affût mobile, et étaient fixés à demeure. Des deux c^ôtes de la porte trois de ces embrasures avec leurs trous ronds surmontés d'une ligne de mire, où passait la bouche des couleuvrines, surveillaient les approches et commandaient le pied de la tour et le pont-levis. Du côté Nord au dessus de la plaine, il y avait deux autres casemates à ouvertures semblables, dont la seconde presque entièrement détruite, en contrebas , dans laquelle on descendait par une quinzaine de marches, en possédait à elle seule deux, peut-être trois, permettant de voir dans toutes les directions. Enfin dans la partie donnant sur la vallée, s'en trouvaient deux autres encore, dont les meurtrières simplement rondes permettait aux veilleurs d'examiner l'ennemi, et aux soldats de balayer du feu de leurs mousquets le plateau d'en face.

Peut-être même y en avait-il à la place des deux grandes brèches ouvertes par les mines du Sénéchal de Bécherel, et c'est assez vraisemblable, car le peu d'épaisseur des murs dans les endroits des embrasures rendait plus facile la besogne des démolisseurs, et devait les faire attaquer de préférence. On peut encore reconnaître dans cette cour d'environs trente deux cordes carrées, ou cinquante six ares de superficie, le long du mur le plus élevé à côté de la porte, l'emplacement des bâtiments de service, cuisines écuries, magasins et autres.

Chose étonnante, ce bayle qui avait coûté tant de soins à enclore, pour la défense duquel on avait fait de si grands travaux, on ne s'était même pas donné la peine de le niveler, et la partie Sud se trouvait en contre-haut de près de deux mètres et de façon irrégulière de celle du Nord, ce qui devait être fort incommode. Il eût été facile pourtant de dresser le terrain en même temps qu'économique d'y prendre au moment de la construction des murailles, dans le rocher qui saillit de tous côtés, au moins une partie de la pierre nécessaire, en y ouvrant une carrière, comme l'a fait la municipalité de Hédé, il y a quelques années.

Avant de terminer, qu'il me soit permis de faire encore deux remarques. Il devait y avoir certainement des cheminées dans la tour ; il y en avait toujours dans les châteaux, et à Hédé, le climat n'est pas plus clément qu'ailleurs, mais où se trouvaient-elles ? Dans le sous-sol, il n'en existait aucune; Au dessus, dans les parois Est et Ouest dont les restes dépassent encore le niveau du plancher du premier étage et où l'on devrait voir au moins le renfoncement du foyer et les pilastres ou colonnes supportant le manteau, on n'aperçoit rien. Du reste la disposition des deux fenêtres qui éclairent chaque appartement ne laissaient pas à côté d'elles une place suffisante pour ces monuments immenses et encombrants. Elles ne pouvaient donc se trouver que dans les murs de refend.

Une chose encore que l'on n'a pas retrouvée, c'est le puits. Le puits était dans une forteresse, une chose de première nécessité. Lorsqu'on était renfermé, serré de près, et qu'on ne pouvait aller puiser de l'eau au dehors, il fallait en avoir sous la main. À Hédé, plus que partout ailleurs, cela était indispensable le plateau sur lequel s'élevait le château, est complètement aride, et si, au dessous, dans la vallée, quelques sources suintaient à travers le roc, et elles étaient d'un accès fort difficile, et en outre devaient être soigneusement gardées par l'ennemi.
Il n'y avait qu'une seule fontaine pour toute la ville, encore se tarissait-elle presque entièrement en été. Il était donc indispensable que la garnison eût à sa portée, sans crainte qu'elle vint à lui manquer, sa provision et sa réserve d'eau, sans laquelle elle n'aurait pu soutenir un siège. Cela ne put se faire qu'au moyen d'une citerne pour recueillir la pluie ou d'un puits creusé dans le roc, malgré les difficultés que devaient rencontrer ce travail. Cependant ni sur le plateau, ni dans le bayle intérieur, on n'a rencontré de puits. Il doit donc se trouver dans la tour. ( À ce sujet lire :
Découverte par temps de pluie.) Malheureusement le déblaiement que l'on a effectué il y a quelques années, s'est arrêté à environs 0,80 mètre du sol, et c'est probablement sous ces derniers remblais qu'il faut le chercher, mais désormais ce ne sera pas d'ici longtemps, la municipalité qui a détruit tous les murs limitant les diverses pièces du sous-sol pour permettre de faire de l'intérieur de la tour un jardin potager, ayant ensuite loué cet emplacement à un charron qui y a établi, dans une construction en planches son atelier et ses magasins. Ce puits, s'il existe serait d'autant plus utile à retrouver, que Hédé, malgré les efforts de son administration, manque toujours d'eau pendant l'été, et qu'une nouvelle source ajoutée à celle qui existent actuellement, ne serait pas une quantité négligeable pour les habitants.

Au cours des nombreuses années pendant lesquelles, enfant ....

Alfred ANNE-DUPORTAL
Association Bretonne
Tome XVI- 1897.
Archives départementales I et V - Cote : 41 Bi Art 392.

Illustration : Lithographie de : H.Lorette. Cote : 4J Art 130.
Fonds Joseph des Bouillons - Arch.Départ. I et V.

 

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