LES ORIGINES

La petite ville de Hédé située à 24 kilomètres au Nord de Rennes, à l'intersection des routes allant à Saint Malo et à Dol, n'a qu'une étendue superficielle de 25 hectares y compris ses faubourgs. Placée sur un plateau de la chaîne de ces collines venant de Normandie qui sont le commencement des montagne de Bretagne et forment la limite du partage des eaux entre la Manche et l'Océan, elle domine d'environs quarante mètres une vaste plaine qui se déroule au-dessous d'elle dans la direction de la mer, et l'immense horizon qu'on en découvre s'étend presque sans limites, au Nord-Est plus loin que Dingé, au Nord-Ouest jusqu'au delà de Dinan.
Place de guerre, siège d'une cour ducale, puis royale de la juridiction de laquelle relevait treize paroisses, chef-lieu d'une subdélégation de l'Intendance dont en dépendait le double, possédant une communauté de ville et ayant en outre le grand honneur de figurer parmi les quarante deux villes de Bretagne, qui seules avaient le droit d'envoyer des députés aux États de Bretagne, pour prendre part avec les deux ordres du Clergé et de la Noblesse, à la gestion des affaires de la Province, Hèdé eût au Moyen-Âge son heure d'importance et une situation prédominante sur les paroisses qui l'entouraient, et qu'elle garda en partie jusqu'à la fin du XVIII ème siècle.
Bien déchue depuis qu'à cette époque, la Révolution, en détruisant brusquement l'organisation politique et administrative de la France, lui enleva d'un seul coup toutes les institutions dont elle jouissait, pour la faire tomber au rang d'un simple petit chef lieu de canton; elle voit encore chaque jour diminuer son influence, malgré les efforts de ses habitants impuissants à l'empêcher , par l'émigration de sa population qui ne trouve plus au pays les ressources que lui procurait autrefois ses diverses administrations, et qui attirés par l'attrait et la fascination des grandes villes, s'est réduite , depuis la création des chemins de fer de plus du cinquième; il ne lui reste plus que sa vieille église mal restaurée et les ruines de son vieux château dont la masse imposante résiste encore à toutes les attaques du temps et des hommes.

A quelle époque peut on faire remonter l'origine de Hédé? Cette origine est certainement très ancienne, mais à défaut de documents écrits concernant la ville, et dont les plus anciens remontent au XI ème siècle, pouvons-nous, en examinant les raisons historiques qui ont pu motiver son établissement, les circonstances dans lesquelles il a pu se faire espérer réussir à trouver par induction non pas la date précise de sa fondation, qui n'existe pas, mais du moins l'époque approximative de ses commencements? Nous le pensons : mais pour arriver à cela, il faudra s'occuper non seulement de Hédé, qui n'est qu'un point, mais de tout le pays qui l'entoure, des populations qui l'habitent et des raisons qui les ont amenées à se grouper et à former des centres, tant pour la facilité de la vie que pour la défense. Nous remonterons aussi loin que possible, sans aller jusqu'au Déluge, nous demanderons nos premiers renseignements aux peuplades habitant les forêts, contemporaines des dolmens, qui faisaient usage des armes de pierre en recherchant les seuls monuments qui parlent d'elles, les pierres qu'elles ont laissées à la surface du sol. Nous passerons ensuite en revue les variations qui se sont produites dans le mouvement des populations, soit par des migrations pacifiques, soit par des guerres et qui ont changé ou modifié l'existence de ses populations, pour nous arrêter vers l'an mille.

Tel est notre plan. La tâche est difficile et étendue; nous ne savons si la réussite couronnera nos efforts; nous allons cependant la tenter, et si nous échouons, nous aurons au moins l'excuse d'avoir fait de notre mieux.

On sait qu'avant le début de l'ère chrétienne, la surface de l'Armorique était divisée en deux zones bien distinctes : d'abord le littoral avec sa dentelure de port au moyen desquels se faisait le commerce, soit le long des côtes, soit même avec l'étranger, littoral avec ses terres arables permettant une certaine culture, où la population était assez dense et où se trouvait quelques agglomérations plus ou moins importantes; puis la partie centrale entièrement recouverte de ces immenses forêts de chênes, refuge des animaux sauvages, où s'accomplissait les mystères de la religion gauloise. Ces forêts pouvaient être classées en deux groupes.
Le premier groupe formé par cette forêt de Brécilien ou Brocéliande, cachant sous ses voûtes profondes et sombres, les montagnes arides, les landes parsemées de bruyères aussi bien que les terres fertiles, avec des habitants farouches dispersés dans quelques clairières, présentant une barrière presque infranchissable entre les rivages des deux mers.
Partant de l'angle Nord-Est qui se confond avec l'angle Nord-Est de l'archidiaconé de Porhoët, la limite Nord de la grande forêt, nous dit Mr de la Borderie (Histoire de Bretagne-Tome 1 Page 45) "...commence vers les paroisses de Saint Gondran, La Chapelle-Chaussée, et en tirant sur l'Ouest passe très près de Bécherel." puis se dirige à l'Ouest jusqu'à Carhaix pour revenir à Redon. Elle embrassait dans son parcours environ le quart de toute la péninsule.
Le second groupe était composé d'autres forêts, qui pour être moins considérables que Brécilien, étaient encore immenses et couvraient la marche gallo-bretonne en suivant la frontière depuis la Loire jusqu'au Couesnon et l'isolant dans toute son étendue des peuplades voisines, les Andegaves, les Diablintes, et, les Arbricates, étrangères aux tribus armoricaines. "Il s'est avéré, dit Mr Robert Mowat, que le territoire des Redones, était sous la domination romaine, couvert de profondes forêts entrecoupées de landes et de pâturages (Lire Société Archéologique d'I & V Tome VII-page 311, note).

A plus forte raison, en était il ainsi auparavant. C'est de cette longue ligne de défense que faisaient partie les forêts de Rennes, de Chambellé, de Bourgouët, de Tanouarn, et une dernière qui portait le nom de forêt de Hédé, ainsi que le constate la déclaration du conte de Combourg en 1682, où il est dit : "La forêt de Tanouarn, joignant par endroits le lieu où fut autrefois la forêt de Hédé, appartenant au roi ..."( Société Archéologique I&V - 1862 - page 182 ) aujourd'hui isolées, mais autrefois réunies en un seul bloc partant de Condate (Rennes) qu'elles entouraient pour venir se terminer au point au point où est bâtie Hédé. Ainsi puisque d'un autre côté, Brécilien commence à Saint Gondran et à la Chapelle-Chaussée, c'est à dire moins de trois kilomètres, il en résulte que ces deux forêts se rejoignaient pour n'en faire qu'une seule,et que leur rencontre se faisait précisément sur l'emplacement de Hédé.

Si les rivages étaient plus peuplés, cela ne veut pas dire que l'intérieur fut désert, et la grande tribu gauloise des Redones qui habitaient le pays de Condate depuis le Semnon, affluent de la Vilaine, jusqu'à la partie des côtes comprises entre la Rance et le Couesnon, avait des représentants aussi bien dans la forêt où sa capitale elle même était bâtie, que dans les pays d'Aleth et de Dol. Le couvert des bois donnait un précieux abri aux familles isolées, aux petits clans souvent en lutte les uns contre les autres; des abattis d'arbres, des fossés en terre suffisaient à la défense; la chasse fournissait une partie de la nourriture; des clairières ouvraient des espaces ensoleillés pour le pacage des troupeaux et la culture du froment. On y trouve de temps en temps quelques restes de huttes primitives, à moitié enfouies en terre, autrefois recouvertes de branchages et d'argile ( Mémoires de la Sté d'émulation des Côtes du Nord - Tome XXXIII - Fouilles en Henon.) , éparses la plupart du temps, plus rarement groupées et de retranchement encore assez bien conservés. En outre de ces vestiges plus ou moins nombreux, les habitants des forêts nous ont laissé d'autres marques de leur présence, ce sont ces dolmens, ces menhirs, ces tumuli qu'ils ont semé de tous côtés, en quantité considérable en Bretagne, pour servir de tombeaux à leur ancêtres, et le mobilier rudimentaire qu'ils y renfermait.

Le territoire de Hédé, et par cette expression, nous rappellerons que nous ne voulons point parler seulement de celui de la ville proprement dite, qui ne comprenait que l'enceinte de son château et les maisons bâties à son ombre, mais celui des paroisses qui lui étaient limitrophe et l'entouraient à une faible distance, de celles enfin qu'on pouvait apercevoir du haut de son donjon, et qui semblaient placées sous sa garde, ce territoire disons nous, si on y a pas trouvé de traces de ces habitations rudimentaires, nous présente au moins deux monuments mégalithiques situés tous les deux en Bazouges, paroisse de Hédé dont l'Église n'était qu'une simple succursale ( Au moins depuis le XV ème siècle.)
Le premier de ces monuments offre un intérêt tout particulier, en ce qu'il est très rare et peut-être croyons-nous unique en Bretagne. Il ne figure pas dans l'Inventaire des Monuments Mégalithiques d' Ille & Vilaine, par Mr Bézier, qui en revanche, mentionne une pierre située à l'angle du moulin, détruite pour être employée à paver le chemin et qui devait en faire partie; c'est un tumulus avec double cromlec'h.

On pourrait tout au plus en rapprocher quelques monuments décrits par Mr Bézier dans la commune de Saint Just.
A deux kilomètres au Nord de Hédé, près du moulin de la Bézardière, à l'extrémité d'une petite pointe s'avançant entre deux vallons, contournée par un ruisseau venant de Bazouges et qui sert aujourd'hui d'amorce à la chaussée de l'étang, s'élève un tumulus de quinze mètres de diamètre environs, et cinq mètres de hauteur. Sur le sommet de la butte formée d'argile sont couchées à côté l'une de l'autre , trois grandes pierres en moyenne longue de deux mètres sur quatre-vingt centimètres de largeur et d'épaisseur, trois menhir disposés en triangle, qui se dressaient debout avant qu'on ne les ai renversés en fouillant à leur pied, comme l'indique le trou où ils sont à moitié cachés. A mi-hauteur de ce tumulus courrait un cercle de pierres de dimensions moins grandes, ayant en moyenne un mètre de hauteur sur quatre-vingt centimètres de largeur et quarante d'épaisseur, se touchant toutes et formant une ligne non interrompue. D'autres pierres encore un peu plus petites et sans doute un peu plus espacées, entouraient la base, en lui faisant une seconde ceinture.
Ce monument suffisamment conservé, pour qu'on puisse en reconnaître la forme et la disposition est pourtant bien loin d'être intact. Des pierres qui le composaient, quelques unes mais bien peu, sont encore en place,

et le nombre en diminue tous les jours, d'autres ont été déplacées et gisent dispersées ça et là, la plupart ont disparu. Ces pierres en diorite très dure, blocs épais et solides, étaient des matériaux excellents et tout trouvés lorsque l'on a construit la digue de l'étang. On n'avait qu'à les faire glisser, pour qu'elles se trouvassent en place, aussi ne s'en fît-on pas faute, et c'est miracle qu'il en reste encore quelques unes.
Du reste ces derniers débris eux-mêmes, n'existeront bientôt plus, et tous les jours les meuniers en brisent quelques unes pour l'empierrement du chemin construit au pied du tumulus et de celui qui descend à leur moulin.

Le second monument à peu près à la même distance , mais à l'Est, est un alignement; Mr Bézier le signale, mais il est à croire qu'il ne l'a point vu lui-même, car il le décrit de façon incomplète.

 

Dans le champ dit de la Bredouillère, à deux cents mètres au Sud de la route qui mène de Hédé à Guipel, on voit les traces de nombreuses pierres distantes d'environs cinq à six mètres les unes des autres, et formant plusieurs lignes parallèle. De ces pierres, la plupart ont été brisées au raz du sol, on n'en voit plus que la place; quelques autres encore ont soixante-dix ou quatre-vingt centimètres de hauteur; deux seulement sont intactes. La première debout à 2,10 mètres de hauteur au dessus du sol, 1,25 mètre de largeur, 1 mètre d'épaisseur et quatre mètre trente de circonférence.

 

À environs six mètres au Nord est la seconde pierre, renversée, et longue de trois mètres cinquante.

 

Si l'on monte sur ce menhir couché, et qu'on regarde par dessus le premier, on aperçoit dans le champ voisin un troisième exactement placé dans le même alignement, de hauteur à peu-près égale, deux mètres, puis à côté de lui à l'Ouest, correspondant aux lignes parallèles que nous avons reconnues, deux autres encore, l'un de 2,45 mètres de longueur, appuyé à un talus, le second n'ayant qu'un mètre soixante, allongé sur le sol.

Dans le chemin qui sépare ces deux champs, on rencontre des débris et des affleurements faisant partie de cet ensemble.

Mais ce n'est pas tout, et en suivant toujours la direction du NE / SO de nos allées, nous rencontrons encore sur la ferme de Brignerault-Bintin d'autres pierres, les unes qu'il faut découvrir dans les broussailles des fossés, les autres visibles comme celles du champ Rocher longue de 1,80 mètre, sur un mètre de large, celles qui se trouvent dans la cour de la maison et plus loin jusqu'à un chemin dont nous aurons à reparler plus loin, et au village de la Pierre Blanche où apparaît la dernière formant un prolongement d'environs cinq cents mètres. Toutes ces pierres sont en diorite comme celles de la Bézardière, sauf la pierre blanche qui est en quartz.

Un demi-dolmen était dit-on situé dans les mêmes parages. Monsieur l'Abbé Chaillot, recteur de Chasné, l'a signalé pour l'avoir vu dans sa jeunesse; c'était une pierre posée sur le sol, d'environ 1,80 mètre de long, un mètre de large et un mètre de haut sur laquelle s'appuyait par l'une de ses extrémités, une dalle de 2,70 mètre de long, 1,30 mètre de largeur et 0,60 mètre d'épaisseur, dont l'autre extrémité s'enfonçait en terre.
Cette table de pierre présentait sur sa face supérieure une large entaille se terminant au bas de la dalle par un bassin ( Inventaire des Monuments Mégalithiques d'Ille & Vilaine - Page 16 ).

En Saint Symphorien, sur les hauteurs tout en face du château de Hédé, on voit une pierre avec des cupules .( Mémoires de la Sté d'émulation des Côtes du Nord - Tome XXX.) (Voir le texte de A Anne-Duportal à ce sujet )

Dans le canton de Hédé, l'Inventaire de Mr Bézier mentionne encore à Trémagouët en Québriac, un tumulus et à Dingé une pierre à sculptures. Il y avait vraisemblablement d'autres monuments qui ont été détruits.

Aucun de ces monuments, croyons nous n'a été fouillé. Qu'auraient ils donné ? Nous be savons. Peut-être quelques ossements, des cendres, des poteries, des silex, des haches en pierre ? De ces derniers objets, nous n'auront pas besoin de leur en demander pour en trouver. Les habitants en ont laissé beaucoup. Sur cette même route de Guipel, un peu plus loin que l'alignement, à la pointe de la forêt de Tanouarn, nommé le Haut du Bois, un champ est semé de débris de silex.

Quant aux haches en pierre polie, on en a trouvé beaucoup à Guipel, à Dingé, à Combourg, Tinténiac, Les Iffs, Romillé; à Bazouges on a ramassé un polissoir en quartz , en forme de hache mais dont la partie large est arrondie et épaisse d'un centimètre au lieu d'être coupante. A Hédé même, il a été découvert trois haches, toutes les trois en diorite, mais de grandeur et de qualité bien différentes; la première de 7,5 centimètres de long sur 4 centimètres de large et de 1,5 centimètre d'épaisseur, a son tranchant très émoussé. La seconde hache ou plutôt ciseau, plus fine, trouvée sur le bord de l'étang est longue de 5 centimètres, large à son tranchant bien affilé de 4,2 centimètres et épaisse d'un centimètre; le sommet coupé a aussi un centimètre. Elle est remarquable par sa petitesse, sa forme élégante et le fini de son travail.

La troisième hache trouvée dans un jardin , dans l'intérieur de la ville, est de dimension beaucoup plus grande. Fabriquée en pierre dans un grain très fin, de couleur très claire, sa longueur est de 20,2 centimètres, sa largeur de 7,7 centimètres et son épaisseur de 4,5 centimètres. À côté d'elle était un galet de quartzite destiné soit à devenir aussi une hache, soit tout au moins à servir de coup de poing. La qualité de la matière de cette hache, son poids énorme, le soin appliqué à son poli, son tranchant recourbé et coupant comme l'acier en font un magnifique spécimen de l'industrie préhistorique. Ces quatre objets font partie de la collection personnelle de l'auteur.

Pour ce qui est des objets en métal, il semble qu'il s'en est trouvé plus rarement, ou du moins que les découvertes sont passées inaperçues; cependant on en connait quelques uns. Le premier objet que l'on doit citer est le magnifique bracelet en or, trouvé à Saint Brieuc des Iffs, ( Collection Sacher de Launay - Rennes ) puis dans la même commune, une cachette de fondeur, contenant haches, outils etc... ( Collection J Lemoine à Lamballe - Mémoire Société d'émulation des Côtes du Nord - Tome XXX.) Non loin de là, à la Chapelle-Chaussée, on a découvert plus de cent haches Larnaudiennes ( Collection Harscouët de Keravel - Rennes ); et à Hédé même quelques haches de type Morgien. (Inventaire des Monuments Mégalithiques d'Ille & Vilaine - Supplément Idem N°4 )

De tout ce que nous venons de dire, faut-il en déduire que plusieurs familles gauloises, ou même petites tribus se soient installées sur le plateau et s'y soient réunies, formant ainsi le noyau d'une agglomération qui pouvait devenir permanente? Non, certes; et nous nous contenterons de constater qu'avant l'ère chrétienne, le pays de Hédé avait des habitants.

Lorsque les romains eurent envahi la Gaule, les moyens qu'ils jugèrent pour consolider leurs conquête, furent tout d'abord l'établissement de postes militaires, dans les lieux les plus propices, près des voies de communication pour les relier entre eux; ils ne se firent pas faute de les employer en Armorique.
De grandes voies prolongeant celles qui venaient de l'extérieur, traversèrent la Province dans toute sa longueur, marchant toujours en ligne droite, n'hésitant pas à se frayer un passage à travers les profondeurs des forêts telles celle qui partant de Tours, passait par Portus Namnetum ( Nantes ), Dardoritum ( Vannes ), Duretie ( Rieux ), Sulim ( Castennée ), Vorganium ( Carhaix ), pour se terminer à Gesobricates ( Brest ) et celle qui partait de Juliomagus ( Angers ), pour aller à Fanum Martis ( Corseul ), et Regina ( Erquy ) en traversant Condate ( Rennes ).
Dans le pays des Redones, les romains fortifièrent trois points principaux pour en faire des centres de défense et y établir leurs soldats : Condate, ou furent placés les Lètes, Aleth qui fut le siège de la Légion de Mars et au Sud la station de Sipia ( Vissèches ). On peut y ajouter quoiqu'il appartienne au territoire des Curiosolites : Fanum Martis ( Corseul ), près de Dinan.
Comme ces deux grandes voies dont nous venons de parler et celle de Condate à Legedia ( Avranches ) et Cosedia ( Coutances ), toutes trois mentionnées à la table théodosienne, n'étaient point suffisantes pour permettre aux Légions romaines de se transporter facilement où l'on pouvait avoir besoin d'elles, un certain nombre de voies de moindre importance, furent construites, qui finirent par couvrir toute la péninsule d'un réseau très serré. Le pays des Redones en eût sa bonne part.

De toutes les portes de Condate rayonnèrent un grand nombre de lignes, dont deux seulement nous intéressent ici, celle qui remonte de Alauna ( Valognes ), et celle qui se dirige vers Fanum Martis ( Corseul ) et Aleth ( Saint Servan). La voie de Condate à Alauna, qui figure dans l'itinéraire d'Antonin, a été étudiée et décrite par plusieurs archéologues : Chastellière se rendant au bourg de Saint Grégoire en passant par le village de la Chaussée, qui en appuyant vers l'Est, auprès du bourg de Melesse, de là à Aubigné, à Feins, etc... pour gagner le bord de la mer par Marcillé, Bazouges la Pérouse etc... Nous n'en dirons rien de plus.
La seconde voie est moins connue. Fanum Martis ou Corseul, l'ancienne capitale des Curiosolites, qui aujourd'hui n'est plus qu'un chétif petit bourg, avait autrefois, à en juger par l'étendue de ses ruines et les monuments qu'on y a mis à jour, une importance considérable. De tous les côtés y aboutissaient des routes qui la reliait avec les différentes peuplades de la confédération armoricaine, et il est difficile de croire qu'il n'y eût d'exception que pour les Redones; d'autre part, ceux-ci devaient avoir des relations avec la forteresse d'Aleth, et un embranchement détaché de cette ligne pouvait remplir ce but. Cependant, sur la direction que pouvait suivre cette voie, nous ne trouvons que bien peu de traces matérielles de son existence, comme tronçons, ponts ...etc. Voyons si, à défaut de preuves visibles et tangibles qui ne sauraient laisser aucun doute, nous ne pourrons pas en nous servant des noms de lieux bien significatifs, des divers monuments que nous rencontrons, et qui nous servirons de jalons, à déterminer son parcours de façon suffisamment probable. Et d'abord il faut constater, que comme toutes les voies construites par les Romains, elle ne connaissait guère d'obstacles, et allait toujours devant elle, sans dévier, au moins d'une façon sensible. Elle ne suivait pas, comme dit Mr Bizeul, la route moderne de Dinan à Saint Symphorien, d'abord parce que celle-ci ne passe pas à Saint Symphorien, mais plus à l'Ouest, et que si elle avait fait ce détour, elle eût formé un coude trop prononcé et suivi une ligne beaucoup trop sinueuse.
Mr le Docteur Toulmouche pense que cette voie devait sortir de Rennes par la Porte Mordelaise et non par la Porte Châtelière, parce qu'elle se serait confondue avec celle d'Ingenia pour s'en séparer immédiatement "ce qui aurait été contraire à toutes les règles suivies par les Romains dans les dispositions de leurs routes. ( Histoire archéologique de la ville de Rennes - page 263. ) Cependant il sait bien que toutes les voies qui sortent de Condate n'ont pas une porte pour chacune d'elle; qu'il indique l'existence de dix routes et que la ville n'a que cinq portes; que d'après lui même, trois chemins s'embranchent à la sortie de la Porte Mordelaise, trois à la Porte Baudraëre, et que la voie d'Alauna se bifurquait elle même à une certaine distance pour envoyer ses bras dans la direction du NE vers Ingenia.
Nous croyons que c'est encore à cette ligne d'Alauna et à une nouvelle bifurcation plus éloignée qu'il faut rattacher le point de départ de celle de Condate à Corseul. Elle la suivra tout d'abord en passant avec elle l'Ille vers le pont de Saint Martin et ce serait elle vraisemblablement dont le cartulaire de Saint Melaine dit dans un acte de 1314 : " Cheminum ponte sancti Martini quod vulgariter nunarpatur Dinanense." ( Voir page 162 ) Elle devait s'en détacher un peu au Nord de Betton, peut être au Châtellier ( Il y avait souvent de petits camps ou châtelliers, placés le long des voies pour les protéger ), passait aux Milleries en Melesse, (Nom qui rappelle les bornes qui marquaient les distances.) entrait dans la commune de La Mézière (Merceria, la Mézière, nom appliqué dans toute la France à tant de localités. " La Mézière, Mézière, Mézeret, sont presque partout associés à un ancien établissement romain; Mr Bizeul.) où se trouvaient des travaux de défense en terre, un chemin couvert qui va du bourg rejoindre Gévezé, où elle rencontrait la Douve, Clairville, la Motte-Marcillé, passant entre Langan et Langouët, à travers les villages de la Haute-Rue, Haute-Ville, la Chaise, dans le voisinage de quatre mottes : la Motte-Jehan, du Coudray, du Tertre, de la Piedevachais, de deux villages des Mottes, qui n'en font qu'un groupe, de la Chaussée, du Ponthéron, de la Grande Planche Oren, de la Couadière, le Rhé, la Roue, la pièce des Millières, ainsi nommée à cause de la fameuse borne dédiée à l'Empereur Tétricus, qui a servi pendant longtemps à deux pas de là, dans l'Église de Saint Gondran, de support à un bénitier, et que la Société d'archéologie d'Ille & Vilaine vient d'acquérir pour son musée. Elle continuait en La Chapelle-Chaussée, au village de la Plesse, où l'on a découvert des débris de construction romaines, entre les deux buttes fortifiées du Champaugis ou Champs Maugis contigu à l'Alleu et au Châtellier, où se voyait il y a quelques années à peine, un reste de chemin pavé, par le Placis Burel, près le village du Grand Chemin, suivait la route de La Chapelle-Chaussée à Bécherel en passant par Cardroc où elle rencontre les Haies, la Garde, la Rue, puis par Miniac-sous-Bécherel, à la Ville Théliau, au Mézeray, à la Chaussée qui touche à la Barre, faubourg de Bécherel, où Mr Bizeul et apès lui Mr Gaultier du Mottay en ont formellement reconnu un tronçon.

Après Bécherel, la carte des voies romaines des Côtes du Nord nous la montre traversant Evran, puis Léhon et arrivant à Corseul. A Léhon un embranchement se détachait montant vers le Nord jusqu'à Aleth.

L'ouverture de toutes ces routes, en assurant la défense et la tranquillité, en rendant plus facile les communications entre la mer et le centre, ouvraient en même temps le passage à la civilisation romaine.Les forêts éventrées par la hache du conquérant avaient laissé pénétrer leurs mystères; les Gaulois quittèrent leur sombres retraites, où la vie était si rude, où ils étaient isolés, exposés chaque jour aux attaques des bêtes fauves. Ils se rapprochèrent des chemins en dégageant les côtés pour agrandir l'espace, ouvrirent de larges clairières pour y installer de nouvelles demeures plus sûres et moins solitaires. Il en fut ainsi, particulièrement dans le triangle formé par les trois voies que nous avons décrites, dont l'une avait entamé le bord de la forêt de Brécélien, et dont les deux autres avaient opéré une large trouée à travers celles de Rennes, Bourgouët, et Tanouarn.

Au devant et tout le long du coteau jusque vers Montmuran, sauf sur les flancs où perce le rocher, quelques bouquets de bois couvrant des terres marécageuses ou stériles, la forêt de Hédé commença à reculer; une plaine se forma où la terre était fertile et où l'on pouvait trouver des compagnons et de l'aide, soit pour le travail, soit pour la défense. Aussi en peu de temps cet espace vide se peupla et fut occupé par de nombreuses familles; la terre en fut défrichée, des villas s'élevèrent pour l'exploitation agricole, et, sous l'effort des colons poursuivant leur lutte contre les halliers impénétrables, son périmètre tendait à gagner chaque jour vers le Nord.

Quoique des fouilles systématiques n'aient point été faites, nous pouvons trouver aux environs de Hédé, de nombreuses preuves de l'occupation gallo-romaine. Sans aller chercher jusqu'à Feins, que l'on pense être le "ad-fines" de l'itinéraire d'Antonin, et restant dans les communes qui font partie au Nord du canton de Hédé, nous dirons qu'à Dingé, non loin du bourg, on a découvert en 1816, dans un pot de terre, près de 300 pièces romaines, parmi lesquelles des Antonin le Pieux, des Gordien, des Probus. " Le Docteur Goupil, a vu dans la même localité, près de la route qui conduit à Combourg, un grand nombre de briques romaines plates et à crochets, puis une espèce de baignoire en stuc grossier de 2,03 mètres de longueur sur un peu plus d'un demi mètre de largeur et de hauteur; à extrémités arrondies percée vers le fond de deux ouvertures, lune sur le côté et l'autre à l'un de ses bouts, ouvertures auxquels aboutissaient des tuyaux en plomb; et près d'elle, plusieurs petites chambres enduits du même stuc peint de ligne bleues, vertes et rouges. ( Dr Toulemouche - Histoire archéologique de la ville de Rennes - page 127 - On y a reconnu en outre des substructions romaines dont les ruines portaient les traces du feu. Abbé Brune - Répertoire archéologique - Société Archéologique d'I&V - 1861. On y signale encore des disques en terre cuite et des cercueils en calcaire coquillier - Inventaire des Monuments Mégalithiques d'I & V - Supplément page 12.)

Dans la forêt de Tanouarn, il a été trouvé des vestiges de four à fondre le fer attribués à l'époque gallo-romaine et la quantité de scories que l'on a rencontré dans les environs est encore telle qu'on a pu récemment s'en servir pour empierrer sur plusieurs centaines de mètres de longueur, le chemin nouvellement ouvert entre Bazouges et Dingé.

A Quebriac, à de nombreuses reprises on a trouvé des substructions gallo-romaines, des monnaies romaines, et des objets anciens divers. En 1840 l'ouverture du chemin entre Québriac et Tinténiac à mis à jour de nouveaux restes de murailles; dans les landes de Raulin se voient des restes de retranchements.

Aux Iffs, près de l'Église, étaient "des substructions d'une évidente antiquité, mais aujourd'hui invisibles." ( Abbé Brune - Répertoire archéologique - Société Archéologique d'I&V - 1861.) On y rencontre un lieu, dit Grand-Chemin.

À Tinténiac, à plusieurs reprises des monnaies romaines ont été recueillies, dont une en or, de Trajan, d'une très belle conservation, avec le soleil enfant à tête radiée au revers. ( Collection de l'auteur ), et une médaille de même métal, de Vanetinien le Jeune, trouvée dans les champs de la Pommeraie. Toujours plus près, en Bazouges, à la limite de l'ancienne paroisse de Saint Méloir qui n'existe plus et de Tinténiac, à un kilomètre à peine de Hédé, lors des travaux qui furent entrepris pour l'établissement du Canal d'Ille & Rance, on rencontra en 1838, dans les terrassements de nombreuses monnaies romaines, puis quelques temps après, dans un trou carré, une quantité considérable d'autres monnaies semblables. Pendant les mêmes travaux, dans le creusement de la rivière de la Donac, affluent de la Rance formée par le ruisseau de la Crouërie, en Vignoc, qui arrêté aujourd'hui par un barrage, constitue l'étang de Hédé, par un autre ruisseau coulant de la Bézardière, enfin par un troisième sortant de la forêt de Tanouarn, et dont le canal empruntait le lit, à six pieds de profondeur, les entrepreneurs ramassèrent une forte chaîne en fer à gros maillons longue de trente pieds.

A quelques pas de cette chaîne et au même niveau, sur une couche de sable, un peu au-dessous de la dernière écluse du côté de Tinténiac, ( La Dialais ), on recueillit une magnifique épée romaine ( gladius ), presque intacte. Cette épée acquise par Monsieur Deslandes, fut donnée par lui à un de ses amis, capitaine de frégate à Brest; nous ne savons ce qu'elle est devenue depuis.
( Note : Mr Deslandes, avocat dont le père avait été le dernier maire de la communauté de ville avant la Révolution, qui s'était occupé de faire quelques recherches sur Hédé, surveillait attentivement les travaux dans l'espérance de rencontres heureuses; il vit la chaîne et parvint à acquérir l'épée. " La chaîne, dit-il, paraissait avoir servi de barrage à la Rance - Donac , qui semblait avoir eu au moins cette largeur de 30 pieds, et qui lorsqu'on creusa le canal n'en avait plus que 6 ou 8. Les entrepreneurs s'emparèrent de cette chaîne, disant qu'elle était rouillée et bonne à rien, elle ne fut pas conservée. Quant à l'épée, il la fit examiner par Mr Legall, Conseiller, membre de l'Institut des Provinces. le savant archéologue qui présida les séances de la Société d'archéologie d'I& V, pendant les onze premières années de sa fondation. Nous ne pouvons mieux faire que de reproduire la description qu'il en fit : " Cette épée, posée sur une couche de sable, à 6 pieds de profondeur, ne fut perçue qu'après un coup de pioche qui en brisa la poignée dont les morceaux furent malheureusement perdus plus tard. Cette poignée était en bois devenu fossile, et était formée de deux pièces appliquées sur la soie et maintenue par des clous en airain ou en cuivre. La partie supérieur était sculptée et représentait une tête d'aigle.
Ce qui reste de l'arme annonce que les deux pièces de la poignée, fixée par un clou ou un rivet traversant la soie à 9 lignes - 2 cms - de la base, finissait par devenir plus large en se prolongeant sur une petite partie de la lame, qui ne devait pas entrer dans le fourreau. Cette partie en effet, à des bords épais avec quatre trous, deux le long de chaque bord et elle se rétrécit subitement après avoir atteint une largeur de 27 lignes - 6 cms. À ce point la lame devenue tranchante, n'a plus qu'une largeur de 22 lignes - 5 cms - qui diminue d'une manière plus ou moins sensible, mais également des deux côtés, se réduit bientôt à 13 lignes- 3 cms - pour augmenter jusqu'à 18 lignes- 4 cms - et diminuer assez vivement jusqu'à la pointe qui est presque pyramidale. Dans sa longueur totale l'arme devait avoir deux pieds. La lame longue de 19 pouces et demi - 52,6 cms - est absolument droite doublement tranchante, inflexible et munie au milieu d'une très forte arrête. On s'aperçoit facilement qu'elle a été coulée au moule, puis battue sur les bords et ensuite aiguisée. Elle a du servir , car la pointe est brisée et le double tranchant sensiblement ébrèché. Cette arme dans ses caractères essentiels, est semblable aux trois glaives trouvés dans le marais de Montoire, décrits et figurés dans "Le lycée armoricain" - Tome II- page 279. Elle diffère à peine de celui qui est figuré sous le numéro 5 et qui appartient depuis longtemps au Musée de Nantes.)

À peu de distance, dans une lande appelée Morigan, la charrue mis à jour à diverses reprises des haches en bronze, auxquelles Mr Deslandes donne le nom de " Mactars ", qui furent dispersés, mais dont il put se procurer un spécimen qui gardait encore "à un anneau, un reste de corde pétrifiée, qui devait l'attacher à son manche."

À toutes ces preuves de la présence de gallo-romains dans le pays de Hédé, nous pouvons en tirer d'autres tirées des noms de lieux, et de ceux de nombreuses villas et établissements divers qu'ils ont élevés et que l'on rencontre de tous côtés : à Dingé c'est la Bouëssière, la Hiette, Pierre taillée, la Ville-André, Villietin ou Villeguintin, le Placis, la Ville-Briand; à Québriac : la Ville-Thébault, la Ville-es-Ruys, la Ville-Audierne, la Ville-Genfrend ( villa Hermenfredis ? ), la Villeaubourg, la Ville-Hulin; à Tinténiac et aux environs, il y en a un grand nombre dont le cartulaire de l'Abbaye de Saint-Georges nous donne les noms : Lamezvilla, Vetus Villa (la Vieux-Ville ), Villa Bilé ( la Biliais ), Villa Dodelin, Villa Herfred ( Launay Herfray ), Villa Gorhant, Villa Hagannou,Villa aux Grelles, Villa Gaufredi Roberti, la Ville aux Chevroal, Châtelain, etc... ( Cartulaire de Saint Georges - Société archéologique d'Ille et Vilaine - Tome IX - page 122.) En Saint Brieuc des Iffs, nous rencontrons la Salle ( Cella ); en Saint Symphorien, une autre terre nommée la Salle, la Chaise ( Casa ), la Ville Courgeul. En Bazouges c'est la Grande Haie, la Planche, la Ville Auzanne, la Ville Allée. Nous pourrions chercher d'autres noms dans les paroisses à l'ouest et au sud de Hédé : les Iffs, Langan, Saint-Gondran, Vignoc, etc... où nous serions sûrs d'en rencontrer encore, mais nous croyons que c'est inutile.
Nous ne voulons point affirmer que tous ces noms si caractéristiques qu'ils paraissent, signifient d'une façon absolue, que tous les établissements qu'ils désignent ont une origine gallo-romaine, mais cela est vrai du moins pour beaucoup d'entre eux et plus particulièrement pour la Ville Allée. Cette Villa que le cartulaire de Saint-Georges appelle Villa Aales, Villa Oleix, Villa Aleix, baillage dépendant de cette abbaye par son prieuré de Tinténiac, est situé sur le même plateau que Hédé, à 500 mètres à peine de la ville. Lorsqu'on fit il y a quelques années, les travaux du chemin de Hédé à Guipel, sur le bord duquel elle est placée, on trouva une petite statuette grossière en terre cuite, d'une Déesse-mère allaitant deux enfants qui, malheureusement considérée par les ouvriers comme un objet sans valeur, fut rejetée dans les remblais et vraisemblablement perdue pour toujours. Tout récemment encore dans la démolition d'un talus touchant les bâtiments de la villa apparurent de nombreux morceaux de stuc, d'environ trois centimètre d'épaisseur, d'une blancheur et d'un poli parfait.
Toutefois ces habitations, disséminées un peu de tous côtés entre les trois voies que nous connaissons et dont quelques-unes sont assez éloignées, ont dû chercher à établir des rapports entre elles et à se relier d'une façon quelconque pour la facilité de la vie et les besoins de leur exploitation. Les grandes et petites voies romaines, si nombreuse qu'elles fussent, ne l'étaient point encore assez et les Gaulois établirent pour y suppléer des chemins moins soignés mais qui, sans s'astreindre à chercher toujours la ligne droite, s'attachaient, au contraire, à passer à travers le plus grand nombre de villas possibles pour les desservir. C'est un de ces chemins croyons-nous, qui traversait Hédé, mettant en communication les établissements situés en Québriac, Tinténiac, Bazouges et Guipel etc ... entre eux, et avec les grandes lignes de Corseul et d'Alauna auxquels il allait se rattacher.
D'une largeur variant actuellement de deux à six mètres, presque ininterrompu dans tout son parcours, il se détache de la voie de Corseul à la Plesse en la Chapelle-Chaussée, un peu au Nord du Châtellier, coupe la route de Rennes à Dinan et, restant toujours sur les hauteurs, se dirige vers l'Est par les villages de Chantelou, la Touche, Clairville, la Ville Johier tout près de Montmuran, la Landelle, la Salle, la Chaise, Launay en Saint symphorien, descend dans la vallée où cours le ruisseau de l'étang de Hédé, le passe à gué au point ou se trouve la chaussée du Moulin de l'Étang-Breilmarin, remonte le coteau, entre à Hédé, traverse la rue pour prendre le chemin Oren - Auren, Oren, Orain ou Horain, de quelque façon que s'écrive ce mot, nous avons cru longtemps qu'il venait d'Orée - parce que le chemin était en effet à l'orée de Hédé dont il longeait entièrement un côté,mais nous ne le trouvons pas dans ce sens au dictionnaire de l'ancienne langue française de Godefroy, qui donne, au contraire, un autre dérivé à Orée. En outre nous rencontrons ce qualificatif, non plus seulement à Hédé et attaché à un chemin, mais en beaucoup d'autres lieux et dans beaucoup d'autres circonstances, ainsi la Grande-Planche Orain en Langouët, la Fontaine Orain, et dans les Côtes du Nord, la Fontaine Orain en Plouguenant, la Ville Orain en Henanhébien, le Pré Auren à Trégueux près Saint Brieux, et de nombreuses fontaines sous ce vocable. Nous sommes donc portés à croire, que ce nom est un nom propre, d'autant que nous trouvons dans le Cartulaire de Redon " Oriale matrone et Oren filia"mais nous ne savons s'il est applicable à un saint qui serait patron des fontaines. - qui longe la ville et conduit à la Motte où s'élevait le château, puis arrivé presque à l'extrémité de Hédé, le quitte à cent mètres de la Motte, tourne vers l'Est et sous le nom de Chemin-Vert ( Chemin-Vert, Rent-Glas en breton, nom désignant souvent des restes de voies romaines où passant près d'habitations romaines.), continue en passant par la Ville-Allée, la Grande-Planche, la Pierre d'Hohier, la Cour Huet, la Grande-Haie, le Meslier, le Bas-Domaine, touche l'étang du Chesnay, en Guipel, ( sans doute sous ce "lucus uribus piscinusvolde apius, in vero qui dicitur Guippetel" que en l'an 1040, Alain, Conte de Rennes, donne aux religieuses de l'abbaye de Saint-Georges en échange de la moitié de l'Église de Chavagne qu'elles avaient reçues de sa mère ), la Cavalière, la Ville Mouet, la Villeneuve, les Landelles, passe la rivière au Tertre-d'Ille, retrouve le Domaine, le Placis, et arrive à Aubigné où nous le laisserons.
Ainsi il est constant qu'à l'époque gallo-romaine, le pays de Hédé fut peuplé et prospère. En faut-il conclure que c'est de cette époque que date la fondation de Hédé ? Nous ne le dirons point.

Dans les trois siècles qui suivirent la conquête, s'il se produisit une période de calme et de tranquillité qui permit aux Gaulois de sortir de leurs sauvages refuges, de modifier et d'adoucir leurs moeurs par un travail plus doux et plus sédentaire, de devenir plus sociables par la fréquentation de voisins établis à côté d'eux, cependant les agglomérations étaient rares, et peu de bourgs ou vici s'étaient formés. Chaque famille bâtissait sa demeure à l'endroit qui lui avait semblé propice, dans les terres fertiles qu'elle avait gagné sur la forêt, sans trop se préoccuper de ce qui se passait dans ses environs. Les Villas, les bâtiments d'exploitation étaient disséminés ça et là suivant le bon plaisir de ceux qui les avaient élevés, sur une étendue plus ou moins considérable, séparés encore souvent par des bois non encore conquis ; le Christianisme qui s'était peu développé avant la fin du IV ème siècle, n'avait encore élevé que quelques monastères ou de rares Églises autour desquelles pussent venir se ranger les populations et, si le territoire pouvait, dans son ensemble, former un bourg ou vicus, il n'y avait point sur le plateau, en dehors de la Ville-Allée, premier pas fait dans son peuplement, et qui allait continuer dans les siècles suivants, une agglomération suffisante pour en faire le centre.
Si peu disposés à s'associer que fussent les colons, il était une circonstance qui en faisait un devoir, c'était celle de la défense de la famille contre un ennemi commun. Si les premiers temps avaient été des temps de paix, où l'on avait pu se livrer sans crainte aux travaux agricoles et au commerce, à la fin du III ème siècle l'invasion des barbares avait tout remis en question. La guerre avait sévit dans toute la Gaule, et l'Armorique même n'avit pas été sans appréhension. Aussi pour éviter toute surprise, les Romains avaient entourré de murailles les centres important comme Rennes, Aleth, etc... et en avait fait des places fortes ; ils avaient en outre semé le long de leur routes des refuges ( mansiones ), lieux d'étape pour les légions, où les voyageurs pouvaient aussi s'arrêter, préparer leurs repas et passer la nuit. Ces postes étaient nombreux ( moins toutefois que semblerait le faire croire le nombre de camp qu'on appelle romains ) et il y en avait partout où le besoin pouvait s'en faire sentir. C'étaient de simples retranchements en terre, entourés d'un fossé ( vallum )de dimensions généralement restreintes, qui n'étaient pas destinés à recevoir une garnison permanente - l'armée gallo-romaine en Bretagne n'y aurait point suffi - mais plutôt à offrir aux habitants du voisinage, en cas de danger pressant, un refuge tout prêt pour les femmes, les enfants et les animaux, un abri provisoire contre une attaque imprévue, et un point d'appui pour permettre aux hommes d'organiser la défense, tels que ceux que nous avons reconnu au Château-Maugis.
Il y avait dit-on un castrum à Bécherel, qui fut l'origine de la ville ; y en eut-il un aussi à Hédé ?
Les voies romaines ne devaient pas seules avoir besoin de protection, les campagnes qui en étaient éloignées, , sillonnées de chemins secondaires, se trouvaient aussi bien exposées à des dangers, et il était naturel qu'on prit pour elles des mesures de préservations. Que ce soit par les Romains ou par les Gaulois habitants de ces campagnes, il est certain que des retranchements plus ou moins importants, castrums, castelta, ou oppida ont été élevés dans ce but.
Placée entre trois grandes voies, à distance égale de chacune d'elles, sur un chemin allant de l'une à l'autre, dominant au Nord , de 40 mètres, la plaine sur laquelle il fallait veiller, abritant au Sud les colons de Bazouges et de Saint Symphorien, Hédé se dresse sur un espèce de promontoire de rocher, dont un travail facile pouvait faire une position très forte. Y eut-il là un ouvrage défensif, un castellum ? Il est permis de le croire. La fondation du château de Hédé, dit l'Abbé Guillotin de Corson ( Pouillé historique de l'Archevêché de Rennes - Tome IV - page 700.), " remonte certainement à une époque reculée ; il y a lieu de penser qu'il a dû succéder à un castellum romain." M. Deslandes, dont nous avons parlé précédemment, prétend avoir trouvé dans un ouvrage dont le titre manquait, mais qui portait en haut de ses pages : "De ant. Rom. in Brit. Arm.", la phrase suivante "Hedeesis arx Romanorum etiam opus et....corum situ conspicua, Tinteniaci Quebriacique supereminens, Plures autem putant....." Le reste déchiré.Ne pouvant nous appuyer que sur la supposition de M.l'Abbé Guuillotin de Corson et sur la citation extraite par M.Deslandes d'un livre que nous n'avons point vu et dont nous ne pouvons apprécier l'autorité, et en l'absence de tout document positif, nous ne pouvons dire que c'est l'exsistance d'un castellum romain qui à donné naissance à Hédé et à son château. Continuons donc nos recherches.
Le V ème siècle fut pour la Gaule une époque de malheur. Les Alains et les Saxons, passant le Rhin vinrent mettre la Gaule au pillage, et arrivant jusqu'en Armorique, y portèrent la destruction et la ruine, incendiant Corseul et toutes les villes gallo-romaines, renversant les murailles d'Aleth et de toutes les places fortes. La dévastation fut à son comble. Heureusement, au commencement du siècle suivant, le dommage fut réparé, ou du moins atténué dans une grande proportion, par l'arrivée dans le pays de nouveaux éléments. Les Bretons de l'île de Bretagne repoussés par les Saxons envahisseurs s'en vinrent chercher un refuge sur le continent et demander asile à leurs frères de l'Armorique. En 513, sous la conduite d'un chef nommé Riwal, ils émigrèrent en grand nombre, et trouvèrent au Nord de la péninsules les terrains dévastés et dépeuplés par les Barbares, y installèrent leur famille et vinrent combler les vides de la population décimée. D'autres les suivirent bientôt, amenés par de saints religieux, saint Tugdual, saint Malo, saint Samson, etc ....Ils allèrent tout le long du littoral et se répandirent au pays de Rennes sur tout ce qui fut plus tard les évêchés de Dol et Saint-Malo. On peut ainsi limiter le territoire où ils s'établirent par une ligne partant du Couësnon, descendant pat Pleine-Fougères, Saints, Lanrigan, Dingé, puis tournant à l'Ouest pour venir longer le coteau de Hédé, passer par Tinténiac, Saint Brieuc des Iffs, et descendre vers le Sud par Langoët, etc... À chaque pas nous allons retrouver dans des noms à racine celtique, les traces de leur présence autour de Hédé.

À Dingé les forêts s'appellent Bourgouët ( mare ou marais du bois ), parce qu'elle enfermait les ruisseaux et les sources de l'ancien marais qui forme aujourd'hui l'étang du Boullet ; Couet bras ( grand bois ) près Tanouarn ( feu, fer ), sans doute à cause des forges antiques qui y existaient, Trabouic ....etc ; puis c'est Lanrigan ( Église de Saint Rigan ) et Langan, peut-être de la même origine, Québriac Tinténiac et Miniac et dans ces paroisses : Carabouët ( Nom propre - Montres du XV ème siècle ) Coicaraboc, Trigneuc aujourd'hui Trignoux, Tréfroic, Tramangoar ( passage du mur, mangoar pour moger ? ), Trégurian, Trigory, Treflagal, Villa Gorhant (Nom propre - "evenius filus Gorhant" Cartulaire St Georges ), Tremahel ( Nom propre - Glen de Tremahel, témoin de la convention entre Denoual et l'abesse de St-Georges pour la construction du château de Tinténiac - Cart. St-Georges ), Glimarhoc ( Nom propre - Cart. St-Georges ), Villa Hogannou, Tremagoët ou Tremagaoer ( Macoer : Nom propre Cart. de Redon ) ; Trebry, Treforim, Tresguaret, Bécherel ( Bek : cime, sommet ), nom commun à plusieurs hauteurs , Trimer (Treemer - Cart. de Redon ), avec Trela, Cardroc ; Saint Méloir des Bois ( Petite paroisse au-dessous et à trois kilomètres de Hédé, supprimée à la Révolution et aujourd'hui réunie à Tinténiac, s'appelait indifféremment St-Méloir ou St-Méleuc. Le village où autrefois était l'Église, n'est plus connu maintenant que sous ce dernier nom.), qui doit son origine à St-Méloir ou Melair comme Pleumeleuc ( Plou Meleuc ), Saint-Thual, formé par St-Tugdual, Saint-Brieuc ( Brioc ou Briec ), et les Iffs ou se trouve Champ-Breton, le Margat ( Marc'had : marché ), Lamboul ( Lann Pol ), Lisnoën en la Chapelle-Chaussée, Langouët ( Lann Coët, terre ou Église de la forêt ), contigu à Langan avec la ville de Pregnabat ( Pratum Nabath ) aujourd'hui Penabat etc....
Les Bretons ne s'arrêtèrent pas là ; ils pénétrèrent aussi dans l'évêché de Rennes, mais très peu seulement dans quelques paroisses limitrophes et sur le bord du plateau auquel finissait l'évêché de Saint-Malo. Ainsi nous les voyons à Vignoc, à Guipel ( Gwik pael : le bourg lointain - parce que c'est la partie la plus éloignée vers l'Est, où ils se soient avancés.), à Saint-Gondran et à Saint-Symphorien, ou nous relevons les noms de Coiboc ou Coisboc, Tehel, Caradoc ( Nom propre - Cart. St-Georges, XI ème s. ) et à Hédé même, où le nom de Ploëroy, donné à l'étang semble avoir aussi une origine celtique.

La forme la plus ancienne du nom de Hédé est " Haduc ". On trouve dans la charte du duc Conan IV, confirmant en 1102, à l'Ordre des Chevaliers du Temple, les biens qu'ils possédaient en Bretagne " molendina de Haduc et stagnum ", les moulins et l'étang de Hédé, mais cet acte n'est qu'une copie d'actes plus anciens,
et l'on sait que plus de cent ans auparavant les Templiers, possédaient déjà à Hédé un hôpital pour les lépreux. Haduc est un de ces mots dont la terminaison primitive essentiellement bretonne qui a varié en oc et en euc, indique au moins la grande antiquité. (Abbé Guillotin de Corson - Pouillé de l'Arch de Rennes - Tome VI - page 441.)
Aux XI et XII ème siècles, les Chartes en les latinisant, en font au génitif Hatduei ou Hatduci - "adcaput calcadie castelli Hatduei" ( Donation de la lande Lande-Huon aux moines de St-Florent de Dol en 1065 ), ou en le prenant comme un adjectif Hadoicus, d'où Hadoici Castelli ( Don Morice - Preuves - Tome I - page 463.) Plus tard, à la fin du XII ème siècle, la racine bretonne à disparue pour faire place à une forme entièrement latine, Hedeium ou Hedeyum.

Haduc ou Hadoc est un nom d'homme comme Mahuc dans Tref Mahuc ( XI è siècle ), pour Trémeheuc ( Église de Saint Mahuc, Mahoc ou Maheuc - de la Borederie -Hist de Bretagne - Tome I - Page 491.), petite paroisse de l'évêché de Dol, Hedrmahuc, Arduc, diaconus, Caduc ou Cadoc, Caraduc ou Caradoc abbatis profectus,Dermunuc ( Cart. de Redon ), Comme Madoc, Budoc, Judoc, Meriadoc ou Meriadec, etc ... Ce personnage, faisant sans doute partie des dernières émigrations et voyant toutes les places prises dans la plaine, par ceux qui l'avaient devancé, avait dû aller plus loin. I l avait gravi le coteau, cherchant enfin un endroit où il pût terminer son exode et se reposer, et arriva dans un lieu qui lui sembla remplir toutes les conditions nécessaires à son établissement. Chef de famille, peut-être d'un petit clan, il avait dressé ses tentes et celles de ses compagnons à côté de la station habitée de la Ville-Allée. Là, il se trouvait placé entre ses compatriotes les Coisboc, Tehel, Caradoc et les autres qui habitaient en dessous de lui dans le territoire de Tinténiac. Lorsque la demeure fut bâtie et que la famille eût un toit pour s'abriter, Haduc, qui avait souffert des maux de la guerre, et qui s'était vu chassé de sa patrie par un ennemi plus fort, livré aux douleurs de l'exil, réduit à vivre au milieu de populations étrangères, dut s'occuper sans retard d'éviter à ses enfants de semblables calamités et de veiller à la sûreté du nouveau foyer qu'il venait de se créer. Si hospitaliers que fussent les voisins qui les avaient accueillis, ils étaient de races et de moeurs différentes et, à un moment donné, leurs dispositions amicales pouvaient changer. Il était donc naturel que profitant de l'expérience si chèrement acquise, il s'empressait de prendre des mesures de précaution, et il est à croire qu'autour de son habitation, il fit élever ces remparts de terre qui, alors comme aux siècles précédents, constituaient les moyens de défense, les plus ordinaires.
La mesure était d'autant plus justifiée, que les rivalités entre les habitants de la Marche gallo-romaine, devenue Gallo-Franque, et les Bretons du Pays de Vannes étaient toujours actives, et que la guerre entre les deux partis, si elle n'avait point encore pénétrée au pays de Hédé, n'en était pas éloignée, puisqu'on s'était battu jusqu'aux portes de Rennes.

Autour de ce petit fort, les bretons se groupèrent, les familles prospérèrent, peu à peu la population se fit plus dense, un centre se forma, un "Plou" qui prit le nom du créateur de la redoute, engloba dans son administration, tous les émigrés d'alentour et Hédé fut fondée.

Pendant deux siècles la lutte entre les Bretons défendant leur indépendance contre les Francs envahisseurs se continua sans trop donner de misères, la prospérité s'accrut, la brousse avait de plus en plus été attaquée, et il ne restait plus guère de terres incultes autour de Hédé.
Il en fut de même sur le littoral, Saint Samson était venu fonder l'évêché de Dol, saint Malo avait relevé de ses ruines la vieille cité d'Aleth pour y établir un grand monastère, origine d'un autre évêché, tout le pays était devenu chrétien, et, comme conséquence, des relations plus suivies s'établirent entre Rennes et ces pays nouveaux. Les deux voies romaines qui reliaient Rennes à Dinan et à la Normandie n'étaient plus suffisantes ; une troisième, intermédiaire et plus courte, devint nécessaire et son tracé se fit naturellement. Partant de Rennes en suivant les anciens chemins jusqu'à la Mézière, elle vient ensuite passer directement à Hédé où elle se divise ensuite en deux branches, l'une tournant au N-O par Tinténiac pour arriver à Saint-Malo, l'autre continuant par le Nord, vers Combourg , où elle coupe celle de Dinan à Corseul, pour joindre Dol et la mer et y rencontrer une autre voie romaine, celle d'Avranches à Corseul ( Note par Mr Charil des M, Société Archéologique d' I et V - Tome XIV. ) qui la relie ainsi à Dinan et à Saint-Malo. Les routes actuelles n'ont fait que s'y superposer en l'améliorant.
Ce chemin fut tout de suite très fréquenté et les passants y abondèrent. Nous en voyons la preuve dans le grand nombre d'établissements hospitaliers que nous trouvons réunis sur ses bord et particulièrement aux environs de Hédé, tels qu'en Vignoc, le village de l'hôtellerie ; à Hédé même l'aûmonerie de l'hôpital pour les lépreux fondée par les Templiers ; à moins de deux kilomètres au Nord, à la place de la forêt de Hédé, presque entièrement disparue, la Madeleine avec sa chapelle et deux cents mètres plus loin, le pont de l'Hôtellerie ; à Combourg , une autre Madeleine, enfin sur la route de Saint-Malo, au bourg de Tinténiac, un hôpital également dédié à sainte Madeleine.
De cette affluence de voyageurs et de l'augmentation du trafic, résulta l'obligation d'assurer plus complètement la sécurité des routes ; aussi de tous côtés s'élevèrent des Mottes, des châteaux, des ouvrages de défense. Citons sans trop nous éloigner de notre chemin : la Motte, le Mottay, la Haye, en la Mézière ; les Mottes, la Motte-Jehan, la Motte de la Piedevachais, la Motte du Coudray, les Hautes et Basses Mottes des Tertres, en Langouët ; la Motte de Couesbouc et le Mottais, en Saint-Gondran ; le Chatellier en Vignoc ; le Chatellier, la Motte, la Haye, en Montreuil-le-Gast et, à l'entrée de Hédé, la Bretêche.
D'autres raisons rendirent encore plus nécessaire l'établissement de travaux de protection et de défense sérieux et efficaces. Aux dangers provoqués par les luttes intérieures, s'en adjoignit un nouveau et bien plus terrible. Un fléau cruel s'abattit sur la Bretagne pendant le IX ème siècle et la moitié du X ème et y jeta l'épouvante. Des pirates, les Northems, descendus du Nord sur leurs légers navires, ravageaient non seulement le littoral, mais, remontant les fleuves, allaient jusque dans l'intérieur porter la ruine et le pillage. En 843, ils s'engagent dans la Loire, "surprennent Nantes, escaladent les remparts, massacrent dans la cathédrale, au milieu de la messe, l'évêque et une multitude de clercs et de laïcs, traînent sur leurs navires une foule de captifs avec les dépouilles de la cité.( Henri Martin - Histoire de France - Tome II - page 427.) Deux ans plus tard, ils osent aller jusqu'à Paris. En 808, ils reviennent à Nantes ; en 874, ils s'emparent de Rennes dont ils sont chassés par le conte Gurwant qui leur inflige une sanglante défaite, malgré leur résistance dans l'abbaye de Saint-Melaine, où ils avaient cherché un refuge ; ils sont battus à Dol et à Saint-Brieuc en 937, par le duc Alain Barbetorte, ce qui ne les empêche pas de revenir à Dol sept ans plus tard.
Ces hordes barbares et sans pitié ne connaissent que la force, ne rêvant que de vol, se faisant un jeu du massacre et de l'incendie, ne laissent derrière elles que le désert et la désolation. Contre ces cruels envahisseurs qu'aucun péril n'arrêtait, le courage des hommes était insuffisant, et ceux qui étaient chargés de la protection du pays durent se préoccuper d'élever des murailles solides pour essayer d'arrêter leur marche.
S'il était une position toute indiquée pour servir à l'établissement d'un poste militaire, créé dans ce but, c'était incontestablement celle de Hédé. Placée en avant de Rennes, au sommet d'un rocher qui dominait le point où se rejoignaient les deux routes qui venaient de la mer par Saint-Malo et Dol, elle offrait tous les avantages qu'on pouvait demander. Les collines sur lesquelles s'élève Hédé qui, depuis la Normandie jusqu'à Brest traversent la Bretagne en la séparant en deux parties, présentent, avec leurs flancs escarpés, une ligne de défense naturelle et continue, dont le travail de l'homme, nous l'avons déjà dit, pouvait avec facilité faire une barrière presque infranchissable, capable de résister victorieusement aux efforts des assaillants et imprenable avec les moyens d'alors.

L'emplacement de la citadelle fut bien choisi pour le but à atteindre. Sur ce plateau, en général dépourvu d'eau, est un petit espace privilégié à ce point de vue, car il a à sa disposition deux sources au-dessous de lui dans le vallon, une troisième à l'Ouest, à mi-coteau, et une quatrième, enfin, très abondante un peu plus loin, à la Ville-Allée. Ce terrain, en outre, borde immédiatement le chemin Oren, dont nous avons déjà parlé, c'est à dire le chemin de Rennes à Dol qu'il s'agit de protéger, et dont l'oeil pouvait suivre facilement le développement à travers la plaine.
C'est dans cette partie de Hédé, dont elle est aujourd'hui un faubourg qui porte encore le nom de la Motte-Jouant, au fief des Guibarretz, que fut bâti le château. Ce nom de Motte nous indique le genre de sa construction et celui de Jouhan, forme la plus ancienne de la francisation de Johannes, une haute antiquité.
Le premier château de Hédé, ne ressemblait à rien à celui dont nous voyons encore les restes. Il se composait comme tous ceux du IX et X ème siècles, d'une éminence, la Motte, faite de main d'homme, élevée au milieu de douves, sur le sommet de laquelle se dressait une tour construite en fortes pièces de bois, haute d'un ou deux étages, qui était le donjon et la place forte dans laquelle on se renfermait ; puis d'une cour d'une superficie d'environs un hectare, entourée d'un rempart en terre surmonté d'une ceinture de haies ou de palissades en bois destinée à contenir les bâtiments de service ; le tout enfin enveloppé d'un nouveau fossé très profond qui en défendait l'approche

Aujourd'hui, des maisons en pierre ont succédé à l'antique forteresse, dont il ne reste plus rien que le nom, la Motte-Jouhan. Nous nous trompons ; s'il n'existe plus de traces matérielles, si la butte a été rasée et nivelée, nous avons cependant une preuve formelle de son existence dans cette mention insérée dans une réformation du Domaine royal de Hédé en 1601, où nous lisons : " une quantité de terre appelée " La motte du château-Jouhan," environnée de chemin et sans aucune clôture, avec la quantité de terre au même tenant , qui joint du chemin conduisant de Hédé à Bazouges, contenant le tout par fond deux journaux de terre prisée 10 sous " ( Bureau de l'enregistrement de Hédé - Anciens registres du Domaine. Ndlr : aujourd'hui aux Archives départementales d'Ille et vilaine.)

Si Haduc ou Hadoc, en réunissant ses compagnons, en établissant une administration et en assurant la sécurité avait fondé Hédé au point de vue des intérêts matériels, il y en avait encore d'autres aussi nécessaires à la vie sociale, les intérêts religieux dont nous n'avons rien dit, et auxquels il dut songer aussi. Les Bretons émigrés étaient chrétiens. Lorsqu'ils étaient conduits par des moines, le premier soin de ceux-ci était de bâtir une église autour de laquelle se formait le Plou ou le Lann, qui prenait généralement leur nom ( Plou Meleuc, Lan Rigan etc...). Il en fut de même pour ceux qui marchaient à la suite d'un chef laïque. Celui-ci comme les précédents, jaloux de procurer à sa famille et à ses compagnons les secours de la religion, élevait un autel, un petit oratoire où se célébraient les cérémonies du culte toutes les fois qu'un religieux se trouvait de passage. Plus tard lorsque le clergé, devenu plus nombreux, put fournir des prêtres en nombre suffisant ces petites chapelles firent place dans tous les villages un peu importants, à des Églises plus grandes qui eurent leur desservants en titre. Il en fut certainement de même à Hédé, et nous croyons fermement qu'il y en eut une, bâtie par Haduc ou tout au moins par son successeur, bien modeste à son début sans doute, simple oratoire, petite, en bois, recouverte de genêts.
Lorsque à la suite des temps elle devint insuffisante, il fallut l'agrandir. On profita de la circonstance pour élever un édifice définitif qui, par la solidité de sa construction, présentât toute garantie pour une longue durée, et on réussit, puisqu'au commencement du XIII ème siècle, il est encore debout. Essaierons nous de donner une description de la nouvelle église, de chercher sous l'invocation de quels saints les fidèles l'avaient placée ? Non, car nous n'en savons rien.Avait-elle les droits et les pouvoirs d'une paroisse ? Cela est probable, car celles-ci étaient encore rares. Mais si nous n'avons aucun renseignement précis sur ce monument, nous trouverons du moins dans le Cartulaire de Saint-Melaine, les preuves de son existence.
Les moines de la riche abbaye possédaient de nombreuses églises et chapelles, dont cinquante-deux dans le seul diocèse de Rennes, qui leur "avaient été données pour leurs sustentation et nourriture." ( Cartulaire de Saint-Melaine - Bibliothèque Municipale de Rennes - Note en marge du manuscrit.) Dans les actes contenus du Cartulaire de Saint-Melaine, qui donne le nom de toutes ces églises sur lesquelles les religieux peuvent exercer leur droit de présentation et de nomination et qui confirment ces droits ( "Confirmatio Joscii, arch Turinensis juris presentandi, seu nominanti ad ecclesias seu vicariatus" - Cart. St-Melaine - Table.), nous trouvons citées : Ecclesias de Hédé, par le pape Luce  II, anno domini 1125 ; Ecclesias de Hadeio, par l'archevêque de Tours Joscuis, 1158 ; Ecclesie de Hadeio, par Alain, évêque de Rennes, 1152 ; Ecclesias Hedey, 1170 par Etienne de Fougères, évêque de Rennes ; Ecclesias de Hedeio, en 1203 et 1207, par Pierre de Dinan, évêque de Rennes ; Ecclesias de Hedeio, 1214. Partout nous rencontrons au pluriel Ecclesias ou Ecclesie de Hédé, il y en avait donc plusieurs au XIII ème siècle. L'une d'elle nous la connaissons, c'est celle que venait de faire bâtir les moines de Saint-Melaine pour leur prieuré, et qui est aujourd'hui l'Église paroissiale, l'autre n'était pas comme on peut le penser, celle de Bazouges ( Ecclesia de Bazogetis ), qui fut pendant plusieurs siècles et jusqu'à la Révolution la paroisse de Hédé ; puisqu'elle paraît toujours à part dans ces actes de confirmation ; ce ne peut donc être que la vieille église de Hédé, qui conjointement à celle du prieuré, existait encore et continuait à servir au culte.

Ce tout ce qui précède, nous pouvons donc déduire que dès les temps les plus reculés, le territoire de Hédé, quoique au milieu des forêts, fut habité ; que pendant la période de la domination gallo-romaine, les forêts reculèrent, les habitants se rapprochèrent, leur nombre grossit, l'agriculture se développa, de nombreuses villas se bâtirent ; mais nous ne pouvons aller plus loin et dire, quelque progrès qu'ait fait à cette époque l'augmentation de la population, et quelque avantageuse ait pu paraître la position sur le plateau pour un fort, un castellum, un oppidum, en l'absence de preuves ou tout au moins de présomptions suffisantes, qu'il s'y soit établi un centre, un vicus, et que nous puissions trouver là le premier germe d'où devait sortir Hédé.
Nous pensons qu'il ne faut pas faire remonter le commencement de Hédé avant le milieu du
VI ème siècle, c'est à dire avant l'arrivée du petit chef breton Haduc à la recherche d'un asile,
qui trouvant le pays à son gré, s'y installa avec ses compagnons d'infortune, y bâtit sa demeure, en fît sa nouvelle patrie,à laquelle il donna son nom, et que c'est là seulement qu'il faut réellement chercher l'origine qui, ainsi, serait bretonne. Plus tard, par la suite du voisinage et des bonnes relations qui s'établirent entre les émigrants et les gallo-francs, anciens possesseur du sol, bien plus nombreux que les nouveaux arrivés, les deux races se mêlèrent, les moeurs se modifièrent, les différences d'origine s'effacèrent pour bientôt se confondre, la langue même disparue au contact de la langue romaine, la population augmenta sensiblement, la prospérité s'accrut et au XI ème siècle, où nous nous arrêtons, nous voyons que Hédé arc son château, son église, à laquelle les moines de Saint-Melaine allaient ajouter un prieuré, avait déjà acquis une certaine importance.

Alfred ANNE-DUPORTAL - Texte publié dans "ASSOCIATION BRETONNE"
Archives Départementales d'Ille & Vilaine - Cote Delta 13 - 1897 - Tome XVI.

 

Suite de la lecture : Le Château - 1000-1598

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