A PROPOS DES MOINEAUX DU CHATEAU DE HÉDÉ

Quelques remarques sur l'architecture militaire à la fin du XV ème siècle et au début du suivant dans le Nord-Ouest de la France

 Situé sur un éperon entouré de défenses naturelles, sauf à l'Est où il fut nécessaire de ménager des douves, le château de Hédé (Ille et Vilaine) occupait une position naturellement forte qui dominait la route de Rennes-Saint-Malo. Il fut de ce fait, comme tant d'autres forteresses bretonnes, fortement amélioré et augmenté au cours de ce XVème siècle. Il ne sera pas question ici de procéder à son étude, qui demanderait préalablement une sérieuse campagne de fouilles et de restauration, mais plus simplement d'évoquer deux flanquements qui furent ajoutés sur sa courtine occidentale, apparemment à la fin du Moyen Age. A la suite de leur description archéologique, et d'un essai de datation, nous procéderons à une étude comparative pour tenter d'expliquer les caractéristiques de ces ouvrages et les rattacher à leur famille monumentale.

Les deux ouvrages ici en question, identiques entre eux, adoptent un plan polygonal à éperon. Ils comportent en élévation un seul niveau de trois mètres de hauteur à l'extérieur, élévation donc largement inférieure à celles des escarpes sur lesquelles ils viennent s'accrocher.

Décrivons l'un d'entre eux, le plus méridional, dont l'accès se fait de la cour du château, par un escalier de neuf marches ménagé dans la courtine qui est épaisse à son droit de 5,80 mètres. L'escalier donne sur une salle polygonale de 2,10 mètres d'élévation sous voûte, percée sur chaque flanc d'une canonnière mais au saillant totalement aveugle. Ses murs ont 2,10 mètres d'épaisseur sur chaque flanc, 2,80 mètres au saillant. L'ouvrage a une largeur totale de sept mètres pour une saillie sur les murailles de 4,60 mètres.

La canonnière de droite s'ouvre à 80 centimètres du sol, celle de gauche était ménagée à l'origine à 1,20 mètre de hauteur à cause de l'affleurement à l'extérieur des rochers, ce qui nécessita le relèvement du plan de tir de la hauteur d'une assise. Les embrasures ont des bouches à base quadrangulaires dont le sommet s'adoucit en demi-cercle (largeur de 20 cm pour une hauteur de 15 cm). Extérieurement, l'édifice est couvert d'une chape de maçonnerie aux pierres de parement et d'angle soigneusement profilées, chape qui présente un fruit considérable vers la campagne.

Nous sommes donc ici en présence de moineaux, ouvrages de fortification qui apparaissent au cours du XVème siècle, et dont la fonction était d'assurer la défense rasante des fossés. Mais quelle date proposer pour ces ouvrages ?

Le bel appareil de pierres (de 50 à 65 cms de large sur 23 à 35 de hauteur), les canonnières à bouche quadrangulaire, le saillant aveugle sont des particularités qui renvoient à la fin du Moyen Age. Si le plan en éperon ne constitue pas réellement un critère de datation puisqu'il fut appliqué aux tours de flanquement dès le XIIème siècle, son usage devint néanmoins assez fréquent à partir de la seconde moitié du XVème siècle.

L'absence de fente de tir au dessus des bouches des canonnières, caractérise surtout des embrasures conçues après 1475. Par contre de simples ébrasements - ce qui est le cas à Hédé - sembleraient archaïques au-delà des années 1480. En définitive, nous avons de bonnes raison de croire que ces ouvrages, parfaitement liés aux courtines, sont contemporains de la double décennie 1470-1490. D'autre part certaines irrégularités dans les hauteurs d'assises et la conservation de la base rocheuse, qu'on ne prit pas la peine de retailler près du moineau le plus méridional, font penser à un achèvement rapide du chantier.

Ces travaux pourraient se situer dans la suite de ceux ordonnés par François II qui donnait à mandement à Pierre Robert, seigneur de Saint-Gondran, de faire fortifier la ville de Hédé. Ces travaux se seraient achevés au château par la construction de deux moineaux, au plus tard vers 1487-1488. La comparaison avec un autre moineau, celui du château de Tonquédec (Côtes d'Armor), doit nous permettre de préciser cette datation. En effet cette forteresse possède encore sur le flanc droit de sa grosse tour, érigée de 1474 à 1476, un moineau comparable à celui de Hédé par son plan polygonal, son saillant aveugle et l'existence au flanc droit d'une archère canonnière à bêche. Les ouvrages de Hédé, où les hampes des embrasures ont disparu, devraient logiquement être plus récents. Réduisons cette fourchette chronologique vers les années 1480.

( Note : A.Anne-Duportal, "Hédé, Le château 1000-1598", Bulletin Archéologique de l'association bretonne, 17, 1899, page 121. A.Salamagne, " Le château de Montcornet dans les Ardennes et l'architecture militaire de la seconde moitié du XVème dans le Nord de la France", Revue historique ardennaise, 1992 . A.de la Barre de Nanteuil, "Le château de Tonquédec", Bulletin Monumental, 1991, pages 43-76.)

Comme tels les deux moineaux de Hédé, puisque c'est le qualificatif qu'il convient de leur appliquer, constituent un témoignage particulièrement intéressant de l'évolution des techniques militaires au cours du XVème siècle. Si ces ouvrages, d'une manière générale, n'ont pas bénéficié jusqu'ici de l'étude qu'ils méritent, c'est que le nombre de ceux qui sont conservés est extrêmement limité. Mais il ne faudrait pas induire de là que le moineau n'eut qu'une diffusion restreinte. Au contraire, et principalement dans les fortifications urbaines de Picardie, du Nord de la France, puis de la Normandie, il bénéficia d'un succès à la mesure du rôle qui fut le sien.

Le but de cet article n'est pas d'en dresser un inventaire - la liste s'allongera au fur et à mesure que des monographies et analyses précises viendront décrire les exemplaires subsistants - mais plutôt de scruter ses origines, plus anciennes, que la fin du XVème siècle .

 

1- MENTIONS HISTORIQUES :

Rapprochons tout d'abord des moineaux de Hédé ceux érigés sur les enceintes urbaines de Rennes et de Fougères. A Rennes en 1463, un moineau situé entre la porte de Toussaints et la tour des Carmes avait une largeur de 15 pieds, des murs d'environ 4 pieds d'épaisseur et se terminait en pointe, c'est à dire en éperon. Il était pourvu de chaque côté d'une canonnière et d'une arbalétrière pour battre les fossés. A Fougères un moineau de plan pentagonal se trouvait au saillant de la tour Cardinale ; de cette tour un couloir de 1,20 à 1,40 mètre de largeur menait à une salle de 4 mètres de large sur 5 mètres de profondeur aux murs épais de 3 mètres. Percée apparemment de quatre embrasures de tir, l'ouvrage devait remonter aux années 1470-1480.

En Bourgogne, Champagne et dans les Pays-Bas, les mentions de moineaux deviennent fréquente à partir des années 1460.

En 1461 à Dijon, François de Surienne préconisait, au fond des fossés et aux angles des courtines, la construction de tours outrepassées ou moineaux de 16 pieds dans oeuvre. Deux lumières de trois doigts de largeur et 60 centimètres de hauteur sur chacun de leur flanc et une autre au saillant, auraient permis le tir d'armes légères, couleuvrines et serpentines. L'épaisseur murale devait être de 4 pieds jusqu'à hauteur des murs de la ville, de 2 pieds au niveau du parapet. En 1468, à Dijon, le maréchal de Bourgogne, Thibaud de Neuchâtel, préconisait pour le flanquement des fossés des moineaux ou "belohars bas", dont la pointe ou éperon seraient couvert par les canonnières des courtines.

A Troyes, les moineaux sont cités dès 1465 : sept ont été répertoriés entre 1465 et 1505 dont cinq étaient situés à hauteur des portes de l'enceinte urbaine.

Le chroniqueur Molinet décrit en 1479 Douai comme une ville fortifiée de "bastillons, boluverts, trenchis, moisnets et faulse braies". En 1486 et 1494, les échevins demandèrent des remises d'aides, alléguant les dépenses entraînées depuis 1477 pour la construction, entre autres, de moineaux. En 1494, on détruisit, pour le reconstruire en briques, un moineau qualifié de vieux et qui se trouvait au saillant du batardeau d'une tour dite des Dames. Les comptes de 1493-1494 attestent que les moineaux étaient plus nombreux qu'une vingtaine d'années auparavant ; plusieurs se trouvaient sur les "faulses brayes de entre le porte Saint-Eloy et le tour des Hours", un autre au saillant de la tour des Bourgeois prenait d'enfilade les fronts de la porte d'Arras et d'Esquerchin. Par contre, les comptes du XVI ème siècle (le suivant date de 1515-1516) ne les mentionnent plus.

Molinet cite encore les "moynets" d'Avesnes, près du boulevard de la porte d'Enghien et de la tour Brulée, par lesquels les Français pénétrèrent lors du siège de 1477. En 1479, nous dit toujours le même chroniqueur, ce fut au tour des Bourguignons d'entrer dans le château de Bohain par les moisnets et aultres trouées.

Louis XI, en 1477, renforça la cité d'Arras contre la ville du même nom, toujours aux mains du parti bourguignon, de plusieurs moisnets. A Arras-Ville, en 1846, le moineau estant à l'endroit des ventailles du Noc était constitué d'une structure de charpente remparée. En juillet 1498, on commença la construction d'un moineau situé entre Claquedent et la porte de Cité : érigé en grès et brique, il était doté d'une terrasse, d'avant-pis (parapet), de barbacanes (volets de bois du parapet), d'une montée permettant d'accéder à deux casemates voûtées sur chaque flanc et d'épaullemens, soit d'orillons. Une statue de Saint Georges, haute de trois pieds, vint décorer la porte de ladite tour et moyneau.

A Béthune, en 1475, le maçon Huart Malebrancq construisait des moineaux de grès et de briques, voûtés, sous les arches des ponts de la porte des Fers, du Carniers et de la Vigne. Le moisnet de la porte du Carnier en 1497 avait des avant-pitz, garnis d'épines et de pierres, et six canonnières. Un autre moineau existait en 1512 près de la tour du Colombier. Un mosnet encore flanquait en 1492-1493 les murailles du boulevard de la porte du Saint-Sépulcre à Cambrai.

Les moineaux furent particulièrement nombreux en Bretagne à partir du dernier quart du XV ème siècle, car outre Hédé, Fougères et Rennes, ils sont encore mentionnés à Dinan, Dol, Nantes, Quimper, Saint-Malo et au château de Clisson.

Ceux édifiés à Rennes en 1467-1469 avaient une profondeur de 9 mètres, un diamètre interne de 2,20 mètres, des murs latéraux de 0,80 mètre d'épaisseur, de 1,28 mètre au saillant curviligne. Le moineau entre la tour Sainte-Croix et le portail aux Foulons, détruit en 1550, était voûté, probablement d'un berceau plein cintre, et avait une élévation de 3,20 au saillant, de 2,56 mètres latéralement. Les flancs étaient percés chacun de trois canonnières, décalées par rapport à leur vis-à-vis, comme le saillant. Un escalier à la gorge assurait la communication avec la ville et une poterne débouchait sur les fossés.

Le 26 mars 1477, le maréchal de Rieux, le sire de Coëtquen, Alain de Plaumaugat, Amaury de la Moussaye, Jehan de Mauhugeon, maître de l'artillerie, et Olivier Baud, trésorier des guerres, recevaient l'ordre de visiter les remparts de la ville de Dinan pour ordonner les devis nécessaires tant en douves, fossez, moenneaux, tours, etc .... Au château de Clisson en 1477, le duc de Bretagne François II prescrivait de faire, parfaire et accomplir les faulses brayes, tour, boulevart et moenneaux qui sont encommencez à faire environ de la basse court dudit chasteau entre icelui chasteau et la ville, mais déjà en 1464 on s'était préocupé de fourniture de bois pour la construction en autres de ces moineaux.

A Rennes de nouveau en 1488, on perçait dans le bas des murailles des ouvertures pour y placer des pièces d'artillerie protégées avec des manteaux de bois ou des talus gasonnés, des saillies, c'est à dire des ouvrages crénelés couverts de madriers, autrement dit des moineaux étaient édifiés sous les ponts des fossés secs.

A Caudebecq, en Normandie, on prévoyait la construction en 1480 de deux grosses tours, dont les fossés devaient être flanqués avec des moineaux. Au château de Bonaguil (Lot), un moineau semi-circulaire percé de trois ou quatre canonnières, répond justement à ce but, défendre le saillant d'une grosse tour comme le passage des fossés de la porte voisine. L'ouvrage semble dater des années 1480-1490.

Louis XI, autour des années 1480, fit ériger à chaque angle de son château de Plessis-lez-Tours quatre moyneauls de fer, cages de fer vraisemblablement obturés par des volets de bois. A Reims, on édifia des moynetz en 1470 près du boulevard de la porte de la Chacre, à la fin du XVème siècle près de la porte Regnier Buyron, en 1513 entre la tour Serpentin et le champ de la Bellangière, puis d'autre encore en 1517, 1536, 1553, etc ... Certains d'entre eux eurent peut-être un plan polygonal. En 1491, devant le château de Chantereine à Châlons-sur-Marne, existaient deux petiz moynetz de terre et fagotz avec des palis de gros bois de fiche. Deux autres moineaux flanquaient le pied du boulevard de la porte Saint-Jacques, battans le long du fossé et par devant les contremynes dudit boullevard. Le boulevard étant qualifié de neuf, les moineaux sont donc datables des années 1490 ou peu avant.

Au début du XVème siècle, les mentions des moineaux sont aussi courantes dans le comptes de fortification et, dans la préface de son Tiers-Livre, Rabelais les évoquait à propos des préparatifs de guerre des Corinthiens contre Philippe. Au château de Collioure (Pyr.Orientales), un moineau fut construit entre 1503 et 1510. A Blaye (Gironde), les moineaux furent probablement réalisés entre 1510-1511, époque de modernisation de la place, car en 1512 on devait encore aux maîtres-maçons Jean Phelip et Martin Bilhoet 500 livres à cause des moyneaulx. A Grenoble en 1513, le seigneur Jarjaye, officier du roi, signalait, près de la tour des Cordeliers ou celle située à côté, un moneaux bien bas, couvert à dos d'ane, tirant à la tour de l'Ile avec deux batteries et les autres tendant à la très haute cime, une canonnière au-devant. La construction de quatre autres moineaux de plan carré, à casemate haute et basse percée de deux ou trois canonnières sur chaque flanc, soit de huit à douze par ouvrage, étaient encore prévue par cet expert.

Deux moineaux furent réalisés lors de la campagne de modernisation des fortifications de Rhodes dans la décennie 1510-1520, et vers 1520 au boulevard de la porte Montrescu et Célestins à Amiens. A cette époque remonte vraisemblablement le moineau saillant d'une tour de l'enceinte de Péronne, non loin du château, éperon de faible saillie dont les dispositions d'origine ont été modifiées. L'existence de deux moineaux est attestée sur l'enceinte urbaine du Quesnoy (Nord) au XVI ème siècle, l'un - détruit en 1533 - au saillant de la tour dite Brulée, le second en 1525 sous les arches du pont de la porte Flamengerie. La création de ces deux ouvrages, dotés de canonnières, se place donc entre 1480 et 1521.

Les boulevards de Bayonne vers 1520 possédaient des moineaux implantés aux saillants des ouvrages, tandis que Machiavel dans L'Art de la guerre, vers 1521, prévoyait dans les fonds des fossés des casemates basses tous les 200 pas pour flanquer, avec le canon la descente du fossé. Au château de Franchimont, en pays de Liège, Errard de la Marck (1505-1538), qui dès 1522 au moins fit exécuter des travaux au château. A Metz un moineau dit Tour Dex, fut érigé vers 1527, en même temps que la fausse braie, sur un point saillant des murailles pour défendre les approches de la porte des Allemands.

En 1527, Dürer préconisait la construction de casemates au fond des fossés, espacées de 60 mètres l'une de l'autre avec ouvertures d'aération dans leur voûte. En 1528, parmi les travaux de modernisation prévus pour l'enceinte de Condé, la construction de moineaux était envisagée. Enfin le château de Ter Eem dans les Pays-Bas du Nord, aux mains de Charles-Quint en 1527, fut de 1528 à 1532 doté d'une nouvelle enceinte réalisée sur les plans de Rombaud II Keldermans de Malines (1460-1531), où deux moineaux croisaient leurs feux avec ceux des tours opposées.

Passé les années 1530, le succès de ces ouvrages dans la fortification urbaine s'amenuisa, mais les guerres de Religion de la seconde moitié du XVI ème siècle contribueèrent par contre à les diffuser dans la fortification castrale. Au fort Munoth de Schaffhouse (Suisse), vers 1564, trois moineaux de plan circulaire défendaient le fond du fossé. Les moineaux des château de Loches, Nantes, Bridoré et de la citadelle de Villefranche-sur-Mer pourraient dater des années 1560, comme ceux du château de Mornas (Rhône) et de Talmont (Vendée). En 1591, un moineau, probablement en bois, fut édifié dans les fossés du château d'Etaples pour flanquer deux des costés desdits fossés ; on proposait en 1610 de construire dans les fossés de Bapaume des moineaux pour flancquer par le bas à l'imitation de Cambrai (Nord) où d'ailleurs en 1667 on reconstruisait trois capponières dans les fossés des portes Notre-Dame, du Saint-Sépulcre et de la porte Neuve. D'autres ouvrages similaires furent conçus à Metz en 1674 sous le pont de la porte des Allemands, à Tournais en 1694 pour l'ouvrage à cornes Saint-Martin, etc ...

Si la construction des moineaux se poursuivit donc jusqu'à la fin du XVII ème siècle, à cette réserve qu'on les désigna alors souvent sous le terme de caponnières, Vauban cependant n'en fit guere usage, et au siècle suivant l'ouvrage tomba en désuétude pour connaître un nouvel essor au début du XIX ème siècle.

 

2 - STRUCTURE ET PLAN DES MOINEAUX :

Les quelques exemplaires présentés nous ont donné une idée générale des moineaux ; ils étaient conçus soit avec des matériaux légers et provisoires, bois et terre - ceux de Douai en 1494 étaient lattés, couverts de chaume et d'ardoises cloutés - soit en maçonnerie, plus rarement en fer comme à Plessis-lez-Tours.

Le moineau du Noc à Arras, constitué d'un bâti de bois remparé, fut restauré en 1486, par des charpentiers, c'est à dire que sa structure ne fut pas modifiée ; ceux de Châlons-sur-Marne en 1491 devaient être de bois et de terre. Par contre les moineaux en bois et terre de Douai en 1494 et de Reims en 1496 devaient être remplacés par des ouvrages de maçonnerie. A Troyes, près de la porte du Beffroi, un moineau mentionné pour la première fois en 1480 fut démoli en 1494, parce qu'il tombait en ruine, ce qui implique qu'il avait une structure légère. De même un autre près de la Tour aux Mystres, en bois en 1487, fut reconstruit en pierre après 1497, comme celui de la porte du Beffroi après 1501.

L'hypothèse peut donc être avancée d'une évolution des moineaux qui, au départ organes de fortification passagère, devinrent ensuite des ouvrages de fortification permanente. Deux raisons motivèrent cette mutation : les moineaux de bois étaient à la merci des intempéries - en 1491 à Châlons-sur-Marne l'un d'entre eux fut ruiné par les eaux - et vulnérables à l'artillerie si celle-ci se logeait sur la contrescarpe. Mais, comme à Rennes où ailleurs, il faut remarquer que des moineaux furent édifiés en maçonnerie dès la décennie 1460.

Le terme usuel qui les désigne est celui de monnet, moinet, moynnet, mouenet. Si, à Aisey-le-Duc (Bourgogne), le mot boulevard se rapportait à un moineau situé sous les arches d'un pont, ce qualificatif faisait référence à la technique de mise en oeuvre, en bois, et non à la fonction . Ainsi à Dijon en 1468, le maréchal de Bourgogne Thibaud de Neufchâtel en ordonnant de construire des moineaux ou belouhars bas évoquait leur structure bois-terre, celle qui justement avait été diffusée par les boulevards ; au contraire à Arras en 1498, un moineau en maçonnerie était aussi qualifié de tour.

On donna aux moineaux des plans curvilignes (Bonaguil, Bayonne 1520, Franchimont 1522, Schaffhouse 1564, Mornas), rectangulaires mais aux angles arrondis à Metz (1521), rectangulairesà Grenoble, Blaye et Bodrum (Turquie) en 1513. Au début du XVI ème siècle, Dürer proposait des fortifications dont les fossés étaient flanqués sur toute leur largeur, aux angles et au milieu des côtés d'une enceinte quadrangulaire, de casemates de plan quadrangulaires ou circulaires.

Le plan à éperon fut retenu, nous l'avons vu, à Hédé, Rennes et Fougères entre 1463 et 1480, à Dijon dans le dernier quart du XV ème siècle, à Péronne au début du XVI ème siècle et ultérieurement sur les ouvrages des châteaux de Ter Eem, Villefranche-sur-Mer, Loches, Nantes et Bridoré. L'ingénieur italien Francesco di Giorgio Martini les dessinait ainsi dans le seconde édition de son traité de fortification.

A Ter Eem, en 1528 - 1532, les moineaux remplaçaient à deux des angles de la forteresse les traditionelles tour de flanquement, à Villefranche-sur-Mer vers 1560 les deux caponnières ravivaient les faces mortes du redan du front de mer. A Loches, le front méridional du château fut renforcé vers 1569 - 1570 par quatre moineaux à éperon distants de 20 à 50 mètres. D'une profondeur de 10 mètres pour une largeur de 6,50 mètres et une épaisseur murale de 1,20 mètre, ces ouvrages étaient percés sur leur pourtour d'une dizaine d'embrasures ; une porte, à leur gorge, les mettaient en communication avec une galerie de service longeant le mur d'escarpe . A Nantes, le moineau de la tour du Fer-à-Cheval édifié en 1568, par Philippe-Emmanuel de Vaudemont, duc de Mercoeur, avait des flancs de 18 et 23 mètres de développement dotés de deux canonnières doubles, des faces de 5,50 mètres avec canonnière à double ébrasement.

Le château de Bridoré (Indre & Loire) fut entouré au XVI ème siècle de quatre moineaux similaires aux angles de son enceinte. Décrivons l'un d'entre eux qui adopte comme les autres un plan polygonal (11 mètres de long sur 6 mètres de largeur et une épaisseur murale de 1,40 mètre). Edifié en moellons et pierres plates, sauf les encadrements des ouvertures et les canonnières en pierre de taille calcaire, il est voûté d'un berceau surbaissé de 4,50 mètres de hauteur à la clef. En élévation, il n'avait qu'un seul niveau, mais des planchers intermédiaires pouvaient être disposés sur des corbeaux afin de désservir la rangée supérieure des embrasures (27 embrasures de tir, 10 au rang supérieur, 10 au rang médian, 7 au rang inférieur, le rang médian étant désservi debout, celui inférieur en position agenouillée). La plupart des canonnières ont des trous d'encastrement dans leurs joues pour le calage des armes. Bridoré fut acheté en 1475 par Ymbert de Bastarnay, ministre des rois de France successif jusqu'en 1521. Si aucun élément ne s'oppose à une datation entre 1489 et 1521, une attribution dans la seconde moitié du XVI ème siècle nous parait plus vraisemblable.

 

3 - LES MOINEAUX CAPONNIERES ET LES MOINEAUX BATARDEAUX :

A côté des ouvrages que nous venons d'inventorier, situés dans les fossés des fortifications au droit des courtines, des tours ou des boulevards, d'autres moineaux furent plus spécialement localisés sous les arches des ponts-dormants. Ce fut le cas en 1458, au château dAisey-le-Duc (Bourgogne) où le pont de bois de la porte du donjon fut fortifié sur deux niveaux - celui inférieur étant qualifié de boulevard - chacun percé de deux canonnières pour battre par bas de travers les fossés par dessoubs ledit pont-levis et dormant.

Sous la première arcade du pont de la porte du Beffroi à Troyes fut construite vers 1500, une caponnière, longue de 5,50 mètres pour une largeur de 3,30 mètre, voûtée d'un berceau au cintre surbaissé, et percée sur chaque flanc d'au moins une canonnière à bouche et hampe très courte.

En 1525 -1526, on construisait au Quesnoy (Nord) un moineau-batardeau sous les arches du pont de la porte Flamengrie. On y accèdait de la porte, par une galerie en pente aboutissant à la salle voûtée desservant les canonnières. Ce moineau remplaca un ouvrage antérieur et devait être situé au-dessus d'un batardeau éclusé.

A Nevers, le pont de la Loire avait une pile reconstruite en 1535 fort large, creuze et voustée en-dedans, avec canonnières pour défendre la muraille de la ville, et battre à fleur d'eau ceux qui par bateaux voudraient s'en approcher.

A Cambrai, en 1667, la caponnière de la porte Notre-Dame comprenait deux éléments établis sous les arches du pont-dormant et dont l'accès se faisait, de l'intérieur de la ville par une galerie souterraine. Une quarantaine de postes de tir y étaient ménagés. D'autres caponnières furent établies à Metz sous le pont de la porte des Allemands, sous les premières arches du pont du grand boulevard du château de Dijon, sous le pont de la Citadelle de Belfort au XIX ème siècle etc ... Bien évidement ce type d'ouvrage nécessitait l'existence de fossé secs, sauf à accrocher la caponnière à mi-hauteur des piles, c'est à dire au-dessus du seuil des eaux.

Une dernière solution consista à ménager le moineau dans la masse du batardeau, digue de maçonnerie qui traditionellement barrait les fossés, pour assurer les retenues des inondations.

A Rouen à partir de 1394 - 1395, on construisit au saillant d'une tour un batardeau creux d'environs 3 mètres de longuers , dont les murs épais de 3 pièds (90 cms) laissaient un passage intérieur large de 1 mètre. Communicant avec la tour par une porte et conduisant à unécluse, il était percé de deux arbalestrières d'un costé et d'autre, pour veoir en ladite allée. A Lisieux en 1431 -1432, un des batardeaux qui contrôlait l'entrée des eaux de la rivière l'Orbiquet dans les fossés de la place possédait un couloir voûté qui menait à une canonnière.