NOTICE SUR UNE PIERRE A CUPULES
Découverte à Saint Symphorien près Hédé ( Ille et Vilaine )

 

Lorsque l'on veut essayer d'étudier l'histoire de ces âges lointains où l'homme, encore à l'état presque sauvage, vivait dans ces forêts, au fonds de cavernes naturelles, n'ayant d'autres soucis et préoccupations que de défendre sa vie contre la faim et contre les attaques des bêtes féroces, employant tous les moyens que lui fournissait l'instinct de conservation à se créer des armes et à les perfectionner dans ce but unique, on n'a d'autres documents à consulter que les traces éparses qu'a pu laisser sur le sol, un être à la civilisation si rudimentaire, à l'intelligence encore si peu développée.

On est allé dans les montagnes, sur le bord des rivières, fouiller les abris qui avaient conservés quelques vestiges de son passage, on a ouvert ses sépultures, on a recherché partout ce que la terre avait pu garder de son mobilier, de ses armes et de ses bijoux, on a examiné avec le plus grand soin les monuments plus apparents, qu'il a laissé, ces pierres brutes, immenses, que son énergie a dressées en si grand nombre pour marquer et honorer la tombe de ses guerriers, ou pour servir d'autels aux divinité auxquelles il rendait hommage.

 

Parmi ces pierres, premiers feuillets, si l'on peut examiner ainsi ce livre à peine entrouvert, où l'on essaye avec une patience infatigable de découvrir l'homme primitif, que depuis quelques années surtout, les savants se sont donnés pour mission de rechercher, de classer, et d'interprèter, il en est une variété encore peu connue, parce que ce n'est que depuis un petit nombre d'années seulement qu'on en a commencé l'étude, qu'on a pu affirmer d'une façon non-douteuse, le travail de la main de l'homme à la surface, et que d'autre part, le nombre qui en a été découvert, quoique s'augmentant chaque jour, est encore peu considérable. On a donné à cette variété le nom de :

" PIERRES à CUPULES ou à ÉCUELLES".

Ces pierres à cupules ou à écuelles sont des blocs erratiques, des menhirs, des dolmens, souvent même des rochers sur lesquels on a gravé un certain nombre de cavités hémisphériques, plus ou moins profondément creusées, variant de deux à trois jusqu'à vingt centimètres de diamètre, et de un jusqu'à six ou sept de profondeur. Ces cavités se trouvent généralement sur la face supérieure, mais souvent aussi sur les parois verticales.
Ajoutons que, quelques soient les mégalithes qui portent des écuelles, ils sont toujours placés dans un endroit élevé, et le plus en vue possible, sauf ceux, on en connait quelques uns seulement qui ont servi à recouvrir une sépulture.
Ces pierres à cupules existent dans presque toute l'Europe, surtout dans les provinces du Nord - on en retrouve jusqu'en Inde. En France on en connait dans quelques provinces, mais il est à remarquer que, en Bretagne, où les monuments mégalithiques sont si nombreux, elles sont assez rares. Cependant on peut en signaler en Loire-Inférieure, du côté de Guérande.

Pour le Morbihan, Miss Kerchever-Arnold, au congrès scientifique de Saint-Brieuc de 1872, en décrivait trois très remarquables, avec ou sans anneaux en Pleucadeuc, et sur la route d'Auray à Plouharnel, Monsieur de Closmadeuc en trouvait une autre, dans une des chambres du tumulus de Saint Michel formant table de recouvrement, qui portait sur sa face inférieure, six trous inégaux, en forme de cupules hémisphériques de trois à quatre centimètres de profondeur ( Bulletin Société Polymathique du Morbihan - 1862 - Une visite à Carnac.)
Monsieur P. du Chatellier reconnaissait dans le Finistère à Saint-Urnel, un menhir qui portait sur sa face ouest, vingt-sept cupules, à Kerviltré un fragment de menhir qui en montrait six, enfin à Kerbascat, dans un tumulus, une dalle recouvrant une urne funéraire en était aussi décorée.
Dans les deux autres départements bretons, on a point encore, je crois, découvert de ces pierres.

Dans la commune de Saint Symphorien, à l'ouest de la petite ville de Hédé, à moins de cinq cents mètres à vol d'oiseau des ruines de son vieux château, sur la ligne des coteaux qui relient les collines de Normandie aux Monts du Méné, est un plateau dominant une vaste plaine, d'où l'on embrasse un horizon qui s'étend sans obstacle jusqu'à Dinan, dont on aperçoit à l'oeil nu les clochers de Saint-Malo et de Saint-Sauveur. Sur ce plateau aride, ou le peu d'épaisseur de la terre végétale recouvrant son ossature de granit ne permet d'essayer aucune culture, se trouvent placées et rassemblées dans un très petit espace, un certain nombre de gros blocs de granit que les genêts et les ronces sous lesquels ils étaient enfouis cachaient entièrement. Ces broussailles étant coupées, j'ai pu en détail examiner ces pierres dont je soupçonnais à peine l'existence, que je n'avais jamais regardées, les prenant pour des blocs erratiques, ou pour les extrémités saillantes détachées du squelette du coteau.
Un moment d'attention à complètement modifié mon opinion.
Situées à l'extrémité sud de la pièce de terre, ces pierres au nombre de neuf sont groupées de façon à former trois côtés d'un trapèze.
Le côté aspecté au nord, est formé de deux blocs : le premier couché ayant 2,50 mètre de long sur un mètre de large et 0,50 mètre d'épaisseur ; le second 0,80 mètre de long sur 0,50 mètre de large. Je les cite tout d'abord, parce qu'ils sont en partie enfouis dans le sol, et que leur origine peut à première vue paraître douteuse.

Au sud, parallèlement à ces deux blocs, à une distance de 3 mètres, le second côté est formé par trois pierres qui ont :

La première : 1,40 m long 0,90 m large 1,20 m haut
La seconde : 1,20 m long 1,10 m large 1,05 m haut
La troisième : 1,00 m long 0,80 m large 1,20 m haut

Elles sont complètement au-dessus de la terre, dont elles semblent isolées , par des pierres plus petites sur lesquelles elles reposent.
Elles sont aussi rapprochées entre elles que possible, et l'on dirait que leur côtés auraient été appareillés pour se joindre, comme les blocs dans un mur cyclopéen. Deux d'entre elles sont certainement des morceaux du même bloc, brisé sans doute, par le froid et les glaces.

A 2,20 mètres à l'ouest de ce groupe, se trouvent les quatre dernières pierres, placées aussi, l'une auprès de l'autre, et se touchant toutes, sur une ligne suivant la direction Nord / Sud.

Elles ont de dimensions :

La première : 1,25 m long 1,15 m large 1,20 m haut
La seconde : 2,30 m long 1,10 m large 0,80 m haut
La troisième : 1,50 m long 1,10 m large 1,20 m haut
La quatrième : 1,30 m long 1,10 m large 0,80 m haut

La seconde pierre la plus longue, est triangulaire et montre son arrête tournée vers le haut ; la suivante s'appuie sur la quatrième qu'elle recouvre en partie. Comme dans le groupe précédent, ces quatre pierres sont posées sur le sol sans y être fixée autrement que par leur poids.

Sommes nous en présence d'un monument mégalithique ?

Nous sommes très portés à le croire, sans pouvoir actuellement déterminer quel nom il faudrait lui donner, et quelle aurait pu être sa destination. Il est bien certain toutefois que le groupement décrivant trois côtés d'une figure géométrique, dont le quatrième aujourd'hui absent, a bien pu être détruit comme cela est arrivé si fréquemment, n'est point naturel et que les blocs qui le compose ont été placés l'un à côté de l'autre de façon méthodique et dans un ordre bien déterminé, qui ne peuvent être que l'effet d'une volonté réfléchie.

Parmi ces pierres remarquables par leur nombre, leurs dimensions, leur agencement, il en est une qui doit plus que les autres attirer l'attention.
Le bloc le plus éloigné au sud, celui qui commence l'alignement qui se dirige N / S, est la pierre à cupules, qui a motivé ce travail.
Tout d'abord, si l'on considère la forme trapézoïdale formée par l'ensemble, on remarque que cette pierre paraît être tout à fait en-dehors. Elle a la forme d'un cube mais les arrêtes et les coins émoussés par les intempéries qui ont arrondi la face supérieure lui donnent l'apparence d'une circonférence s'inclinant légèrement vers le Nord. Sur cette face à une distance de vingt et trente-trois centimètres de chaque bord, à soixante dix centimètres l'une de l'autre, sont creusées suivant une direction SO / NE, deux petites écuelles : l'une a de largeur à l'ouverture seize centimètres et de profondeur huit centimètres ; la seconde un peu moins grande, n'a que onze centimètres à l'ouverture, deux centimètres au fond et une profondeur de six centimètres. Leur forme est celle d'un cône tronqué ; cependant le fond n'est pas plat, mais légèrement curviligne et hémisphérique, comme dans les autres cupules connues, de profondeur moindre.
Dans les pierres à cupules que l'on a découvertes jusqu'à ce jour, le nombre de cavités est tout à fait variable ; tantôt il y en a peu, deux ou trois ; tantôt on en compte jusqu'à soixante et plus ; elles sont circulaires et en général peu profondes, quelquefois accompagnées de rigoles ou rainures moins creusées, qui les réunissent par deux, trois, ou quatre comme les rayons d'une roue, ou forment autour d'elles un ou plusieurs cercles concentriques, ouverts ou fermés, ou quelquefois d'autres figures plus ou moins régulières.


Les écuelles que nous vous signalons ne sont qu'au nombre de deux, mais de dimensions assez grandes. Elles n'ont point de cercle autour d'elles, mais l'absence sur notre pierre de ces signes qui ne sont pas constants, n'a rien qui doive mettre en doute son authenticité.
( Deux de ces pierres présentent des carrés en relief et de dimensions à peu près semblables, formés par des rainures pouvant avoir deux à trois centimètres de largeur, sur autant de profondeur, qui couvrent entièrement d'une espèce de réseau, un de leur côté ; mais nous croyons qu'il ne faille pas attribuer à ces figures, si régulières qu'elles paraissent qu'une origine naturelle et y voir seulement l'effet des pluies et des vents.)

Placée, comme toute celles qui ont été reconnues et étudiées, à la surface du sol, sur le sommet dégarni dominant une grande étendue de terrain, bien en vue de tous les côtés, elle est formée de ce granit, matière dure et résistante, que les vents et la pluie seuls n'auraient pas suffit à entamer pour creuser deux cuvettes, aussi semblables l'une à l'autre et aussi régulières.
En outre, la perfection, aussi bien à l'ouverture, qu'à l'intérieur, du travail des cupules, la netteté et le fini de leurs contours protégés par les mousses qui en les recouvrant les protégeait du contact de l'air, et restées si intactes qu'on les dirait à peine fini d'hier, leurs profondeurs si bien proportionnées à leurs largeurs, démontrent d'une façon indiscutable qu'il n'y a point là seulement un jeu de la nature, la désagrégation d'un noyau de substance plus tendre, mais l'oeuvre bien caractérisée d'un ouvrier déjà habile.

Et maintenant, qu'étaient ces pierres à cupules et quelle pouvait être leur destination ? Les avaient-on élevées et gravées pour consacrer le souvenir d'un grand événement de l'histoire locale ? Faut-il y voir des autels, comme on l'a dit, des monuments religieux dont la superstition, dans certains pays, à gardé le souvenir et qui ont encore parfois même de nos jours, pour elle l'objet d'un culte et de pratique mystérieuse ?

Nous ne le savons et ne voulons point tenter de résoudre ces questions difficiles. Notre but beaucoup plus modeste est simplement de présenter notre trouvaille et d'apporter ainsi un document de plus à ces chercheurs érudits, à ces savants autorisés, qui consacrent leur temps et leur étude à la solution de ces questions ardues de l'histoire préhistorique, leur laissant le soin de choisir entre ces hypothèses et tant d'autres de tout genre qui ont été émises.

 

 

Alfred ANNE-DUPORTAL.
Archives départementales d'Ille & Vilaine.
Rennes - Cote : 21Bi178 - Fin XIX ème

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