2 - LA VIE ECONOMIQUE A HEDE

 

2.1 LES RÔLES DE CAPITATION

2.1.1 LA CAPITATION

La capitation est l'impôt principal payé par les bretons au XVIII ème siècle. La taxe est instaurée par une ordonnance du 18 janvier 1695. Au départ, la capitation est un impôt temporaire imposé par les événements politiques. En effet, apparu en 1695, il disparaît dès la paix de Ryswick qui conclut la guerre de la Ligue d'Augsbourg. Pendant le conflit, la Bretagne doit partager entre ses villes une somme de 1.900.000 livres pour s'acquitter de la totalité de l'impôt . Somme considérable. La Bretagne, comme les autres provinces du Royaume, doit soutenir l'effort de guerre. L'organisme chargé de la répartition de l'impôt est le Parlement de Bretagne qui siège à Rennes. La capitation devient, au fil des années, un impôt part entière. Les rôles existent jusqu'en 1789.


Les registres constituent la source essentielle pour estimer les différentes classes sociales que nous pouvons rencontrer à Hédé. L'attachement à une classe sociale reste un regroupement très arbitraire. Des personnes aisées et d'autres plus pauvres se côtoient dans le même corps de métier. Il est donc nécessaire de ne pas se limiter aux rôles de capitation, mais de considérer en même temps les inventaires après décès qui déterminent, matériellement, les ressources d'un individu. La confrontation de ces deux sources conduit à une analyse plus pointue de la vie économique à Hédé au XVIII. siècle.


Les registres de capitation sont regroupés aux archives départementales d'Ille et Vilaine à Rennes. L'étude s'effectue entre 1739 et 1789. Entre ces deux dates, les rôles ne sont pas complets. Certaines années ne nous sont pas parvenues. C'est le cas pour les registres situés entre 1740 et 1752. D'autre part, l'extrémité chronologique de notre analyse a été perturbée par la Révolution française. A partir de 1789, la capitation n'existe plus.
Les registres ne sont pas toujours complets. La profession des capités est rarement notée. Les noms même de certains individus sont omis. Il s'agit ici, d'un élément qui caractérise les personnes faiblement capitées. Les listes sont jalonnées de tels termes : "un domestique" ou encore "deux journaliers". Une telle indifférence des greffiers pour des professions moins valorisantes réduit considérablement l'étude de cette catégorie de population. Il est très difficile de savoir si les capités sans nom sont les mêmes d'une année sur l'autre. Les femmes sont, elles aussi, les laissées pour compte des registres de capitation. Elles sont rarement mentionnées ou leur profession omise. Quelques femmes échappent à cette discrimination. c'est le cas de Noëlle Monnier qui par sa profession de cabaretière aisée s'est enrichie.
Chaque rôle de capitation est rédigé selon un schéma bien établi. Le montant global, dont doit s'acquitter la communauté, est inscrit sur la première page du document. L'impôt est partagé entre l'ensemble des personnes capitées. En face de chaque nom est noté le montant à payer.
L'impôt n'est pas unique. il est constitué par entretien de la milice, le casernement et le fourrage.
Aucune indication nous permet de déterminer dans quel ordre sont rédigés les registres. Pourtant, il semble qu'il s'agisse d'un classement par rue, car les notables sont regroupés au début du registre alors qu'ils habitent tous autour de la place du marché. Les différents faubourgs présents à Hédé sont successivement dépouillés.
Le Parlement de Bretagne transmet à Hédé le montant de l'impôt qu'elle doit payer. La communauté se réunit afin de procéder à la répartition de l'impôt en fonction des possibilités de chacun. Le conseil doit aussi élire des commissaires et receveurs de l'impôt ainsi qu'un collecteur qui change chaque année. Le collecteur est, lui même, membre de l'oligarchie municipale. Le choix se rapporte, bien sûr, à un esprit de classe ; mais il ne faut pas oublier que le fait de savoir écrire est un critère important de sélection et que les notables sont les plus à même de bien le faire. A la fin de la réunion, un des notables (en général le sub-délégué ou le procureur du roi ) envoie à Rennes le résultat de leurs délibérations : "J'ai l'honneur de vous envoyer le mémoire de la répartition de la capitation de notre ville avec le montant de la délibération de la communauté qui nomme les commissaires qui devront y travailler " (45). Cette phrase est la lettre type que reçoit le parlement chaque année. Elle est souvent assortie de requêtes concernant des demandes personnelles d'abaissement de l'impôt ou bien des demandes émanentes du conseil pendant les crises de subsistance. Nous allons regrouper les individus qui bénéficient d'un dégrèvement fiscal.
La capitation est un impôt composé de plusieurs éléments : la solde accordée à la milice bourgeoise, le casernement des troupes à Hédé et le fourrage. Le rôle de capitation est partagé entre tous les habitants de la ville. Tous participent au payement de l'impôt ce qui ne veut pas dire qu'ils en honorent l'ensemble. En réalité, beaucoup de personnes sont dispensés du payement d'une partie de l'impôt ou de sa totalité.
Les nobles ne s'acquittent pas de la capitation car ils sont déjà imposés au titre de la capitation nobiliaire. Cette exemption est compréhensible, pourtant il arrive que des erreurs soient commises lors de l'établissement des listes . Ainsi une délibération de la ville, en 1784, transmet la plainte de la Dame veuve Barvedelle qui refuse de payer la capitation à Hédé car elle est déjà imposée avec la noblesse de Rennes (46).
Il faut toutefois limiter l'impact des nobles dans la société hédéenne car la ville abrite deux nobles qui ne résident que partiellement dans ses murs.


Le clergé est totalement exempté de l'imposition. On entend par clergé, le recteur, le curé, les vicaires mais aussi l'ensemble de la congrégation des Urselines. Les veuves ayant des enfants mineurs sont exemptées.
Il en est de même pour les pauvres. On s'aperçoit, lors des crises qui frappent Hédé au XVIII. siècle, que le nombre d'indigents augmente. Quand la situation est vraiment dramatique, la communauté demande à l'intendant un abaissement du montant total de l'impôt, car il repose sur un nombre moins important d'individus. Madame Régine Dalnoky, dans sa thèse sur Hédé, a rédigé un tableau sur l'évolution du nombre des indigents sur notre période.

 

 ANNÉES  1753  1778  1784  1785  1786
 CAPITÉS  151  165  151  162  158
 NON.CAP  18  16  16  19  20
 TOTAL  169  181  167  181  178
 %  10,7%  8,8%  9,6%  10,5%  11,2%


.


On se rend compte que le nombre d'indigents est plus important à la suite de la grande sécheresse de 1785. Cette date correspond à une requête de la ville pour obtenir de l'intendant une réduction du montant de l'imposition.
Il existe d'autres critères qui engendrent une réduction de l'impôt. il s'agit ici d'un abaissement qui ne concerne que quelques privilégiés ; certains notables sont exemptés du casernement, c'est-à-dire qu'ils sont dispensés du logement des gens de guerre. Mesure appréciée et convoitée sous entendue la fonction militaire de Hédé. D'autre part, le casernement s'ajoute à une imposition qui pèse déjà lourdement sur les habitants de la ville.
En 1753, le montant à payer pour le casernement s'élève à 29 livres. Le tarif varie très faiblement pendant notre période. Cette taxe s'abat, à nouveau, sur ceux qui sont déjà écrasés par les impôts. Les nobles bourgeois de la communauté sont exemptés de casernement. Le nombre des notables et juristes est fort important dans une Sénéchaussée comme Hédé. Nous connaissons les noms de tous les exemptés car il est souligné par une note inscrite en marge. Une telle faveur épuise les forces d'un peuple souvent réduit à la misère. Les habitants de Hédé vont se battre tout le long de notre période contre ce privilège bourgeois.
L'étude de la capitation permet de déterminer la situation économique de Hédé entre 1739 et 1788. Il est nécessaire avant d'élaborer la typologie sociale de la ville de se remémorer les résultats généraux issus des registres de capitation.

Tous les rôles de capitation ne sont pas parvenus aux archives départementales d'Ille et Vilaine. Dix années échappent à notre analyse, entre 1742 et 1752 inclus. Les pertes de plusieurs registres ne permet pas de tracer, avec exactitude, l'itinéraire socio-professionnel d'un individu. Les années de 1758 à 1762 et celles de 1764, 1765, 1768, 1773, 1781 et 1789 ont elles aussi disparues. Ces lacunes n'entravent nullement l'orientation profonde du document.
La première constatation à faire se rapporte aux montants acquittés par la communauté hédéenne. En effet, les variations sont insignifiantes. La moyenne, sur l'ensemble de notre période, se situe autour de 900 livres pour une année. Le taux le plus faible est enregistré en 1740 avec un impôt s'élevant à 700 livres. Cette date correspond à la dysenterie qui ravage Hédé entre 1739 et 1741. Tout laisse à croire que le conseil a, à cette date, demandé une diminution du montant total de l'imposition. Le rôle de capitation le plus élevé est celui de 1779 : 1170 livres. Il correspond à des années prospères. La ville se remet de la vague épidémique qui s'est répandue sur la ville en 1774 - 1775.


Pendant la crise, la communauté avait bénéficié d'un abaissement du montant total de l'impôt ; aujourd'hui elle rembourse la déduction qui lui avait été faite. Ceci peut être considéré comme un élément d'explication de cette large différence. Toutefois, d'autres critères entrent en compte. En 1740, 141 personnes sont capitées contre 164 en 1779. On peut supposer que le montant de l'impôt est plus important car il repose sur un plus grand nombre d'habitants. La même constatation peut être envisagée sous un angle différent. Ainsi, l'augmentation de sa population résulte d'une amélioration des conditions de vie à Hédé. Les habitants se réveillent au lendemain des épidémies ; le commerce se ré amorce ; la ville s'enrichit ; les hédéens peuvent payer une plus forte taxe. Cette situation se répète après chaque grand fléau. Ainsi, en 1741, la communauté se partage un impôt de 200 livres supérieur à celui de l'année précédente. La ville se relève et est plus à même de rembourser l'avance qui lui avait été faite par l'intendant. Le nombre de capités augmente (il passe de 141 à 150), car le commerce est réarmorcé.
Les notables et juristes assurent, pendant les périodes de troubles, l'acquittement d'une partie considérable de l'impôt.
Les années qui suivent les crises marquent une période de prospérité pour la ville: les rôles de capitation traduisent un redressement économique car les petits artisans, les journaliers sont à nouveau mentionnés sur ces registres. Le montant total de l'impôt se stabilise autour de 850 livres. On remarque une certaine poussée démographique: le nombre d'habitants passe de 150 en 1754 à 160 en 1756. L'impôt est réparti entre un nombre plus important d'individus. Il est déterminé par le niveau des revenus. L'échelle des impositions varie peu entre la personne qui paie le plus d'impôt (le sénéchal) et les petits capités (journaliers, domestiques pour une ou deux livres).
La grande sécheresse de 1785 amène la ville à demander un nouvel abaissement de l'impôt.
Le nombre de capités a diminué, et parallèlement, le nombre des indigents s'est fortement élevé. La requête est acceptée par l'intendant. La communauté s'acquitte de 945 livres à cette date. Les répercutions de la sécheresse sur les années suivantes aboutissent au maintien d'une faible imposition. La ville n'est vraiment pas en mesure de payer une capitation trop importante. Elle cherche plutôt un moyen de venir en aide à ces indigents.
Une analyse générale ne permet pas d'envisager les comportements humains des différentes classes sociales pendant notre période. Les registres de capitation associés à des inventaires après décès fournissent des éléments autorisant un regroupement socio-économique de la société hédéenne.

 

2.1.2 CLASSIFICATION DE LA POPULATION

La population de Hédé est composite mais trois grands ensembles s'en dégagent. La classe formée par les juristes et les notables constitue la couche aisée de la société hédéenne. ( Notre analyse fait abstraction de la classe nobiliaire car elle n'est pas suffisamment représentée à Aider ). Les marchands-boutiquiers, les marchands de bouche, les débitants riches talonnent la classe des notables. Les inventaires donnent des exemples de ressemblance entre les deux groupes. De riches boutiquiers ou cabaretiers sont propriétaires d'objets de luxe qui caractérisaient, auparavant, la haute administration de la ville. Il est intéressant de travailler sur quelques inventaires significatifs, afin de ne pas se perdre dans les nombreux détails fournis par les 71 inventaires disponibles. L'inventaire de Noëlle Monnier, en 1787, est en corrélation avec ce que nous venons de dire : c'est une femme enrichie par le commerce, possédant des objets luxueux. Le sommet de sa réussite sociale est atteint lors du mariage de sa fille Anne avec un notable de Hédé. Par cette union, elle s'assimile complètement à la classe supérieure.
Il fallait trouver un inventaire caractéristique de la classe dirigeante de la ville. Les différents inventaires se ressemblent. Un seul se détache : c'est celui de Jean- François Judith Belletier, procureur du roi dans la Sénéchaussée de Hédé. Le sieur Belletier est décédé en 1789 à l'âge de 37 ans. Malgré son jeune âge, il a eu le temps de se constituer une bibliothèque, d'autant plus intéressante qu'elle est la seule connue dans la ville. L'inventaire est très précis ; il fournit les noms des livres, le montant de leur prisage et le nom des personnes qui en sont devenus propriétaires.
L'étude ne serait pas complète sans l'analyse de la couche la plus défavorisée de la société hédéenne. Il s'agit des petits artisans, des domestiques et des journaliers. Beaucoup moins d'inventaires nous sont parvenus sur cette dernière classe. Il est donc préférable de les rassembler tous, afin d' extraire les éléments communs à l'ensemble du groupe.
Nous allons examiner successivement ces trois classes sociales.

 

* Les notables et les juristes


L'étude de ce groupe exclue l'appréciation de leurs tâches civiles ainsi que les règlements administratifs qui ponctuent la vie politique à Hédé. Cet aspect fera l'objet d'une partie consacrée au pouvoir civil dans la ville. Ici nous nous intéressons davantage aux hommes qu'à leurs idées.
Les notables sont les représentants de l'intendant qui siège à Rennes. Ils ne sont que les exécutants d'ordres qui viennent de plus haut, du roi lui-même. Ce groupe socio-professionnel est hétérogène. Il est constitué par des membres municipaux le maire (voire par deux maires avec la multiplication des offices), un miseur et un maître de la poste aux lettres. Les représentants du roi forment un autre groupe composé par un procureur, un sénéchal, un procureur fiscal et des notaires royaux. Enfin des petits juristes s'animent en bas de l'échelle sociale de cette classe ; il s'agit du greffier, du hérault, du tambour, des huissiers etc...
Tous les notables ne paient pas le même montant d'imposition. Pourtant, l'ensemble de la classe honore à elle seule 48% de la capitation totale alors qu'elle ne représente que 25% de la population. Ceux qui payent le plus sont les agents royaux. Prenons l'exemple de l'impôt acquitté par le sénéchal tout au long de notre période :


_ 1739 = 30£
_ 1753 = 47£
_ 1757 = 33£
_ 1766 = 29£
_ 1767 = 27£
_ 1769 = 33£
_ 1770 = 34£
_ 1780 = 38£


Les montants sont approximativement équivalents. On remarque toutefois, que le sénéchal
paie plus d'impôt pendant les crises qui traversent la ville. C'est le cas en 1769 alors que Hédé
subit les conséquences de la grande sécheresse de 1765.
Le procureur du roi paie un peu moins d'impôt que le sénéchal. Il s'acquitte de vingt livres en
1753, la charge est détenue par le sieur Belletier père. Le sieur Delamarre, procureur en 1780, paie 26 livres de capitation.


Le sénéchal de la Commanderie de la Guerche est fortement imposé. Le sieur Delourme
Hérisson, qui détient cette charge, paie


_ 1766 = 49£
_ 1767 = 50£
_ 1780 = 58£


Le montant qu'il honore équivaut à celui acquitté par le noble de Hédé, Monsieur le Comte de Blossac.


Pendant l'ensemble de notre période, le maire en exercice paie en moyenne 30 livres et le sub-délégué vingt livres.
Nous avons ici, tracé un tableau des montants acquittés par les notables détenant les charges les plus importantes, mais la majorité d'entre eux (on comptabilise environ 800 notables entre 1739 et 1792) occupent des postes moins reluisants.
L'huissier, par exemple, paie dix livres de capitation ; c'est le cas en 1753 de Pierre Guinol.
Les chirurgiens de la ville sont considérés comme notables à partir de 1785. Ils paient peu l'impôt, la capitation maximale est de l'ordre de six livres.
Nous avons la trace de plusieurs délibérations communales adressées à l'intendant afin de procéder à un réajustement des gages du hérault. La tâche du hérault est essentielle dans la ville de Hédé, car il est chargé de réunir l'assemblée des notables. Il touche pour son travail
quinze livres, et cela depuis un arrêt du conseil datant du 28 juin 1687. La communauté demande qu'il soit versé au hérault une somme de 60£ pour ses gages. A la suite d'une délibération de la communauté, Pierre Morin remplace l'ancien hérault (47).
La question concernant les gages du hérault est à nouveau à l'ordre du jour le 1er septembre 1786. A cette date nous apprenons qu'une lettre de l'intendant, datée du 14 octobre 1785, annonce à la ville qu'elle est autorisée à porter les gages du hérault à 60£ considérant "son hérault qui est en même temps son unique sergent de ville "(48).

Pour résumer, nous pouvons dire que les notables ont, en général, des revenus fort honorables que traduisent les montants des impositions. Il apparaît que les sommes à payer ont été en progression constante pendant notre période, surtout à partir de 1766. Une explication peut être envisagée, à savoir que les notables sont les seuls à honorer l'impôt toutes les années. Ils paient plus au moment des crises pour soulager les plus démunis. Lorsque la vie redevient prospère, ils s'acquittent de sommes moins élevées, car l'impôt repose sur un nombre plus important d'individus.

Leurs possibilités financières autorisent à des achats qui peuvent être considérés par les autres groupes socio-professionnels comme du superflu. La différence apparaît, tout d'abord, dans l'aménagement de leur maison.
Les notables ont les moyens de créer, autour d'eux et chez eux, un prestige lié aux possibilités mobilières, qui ne peut être égalé par les autres couches de la société hédéenne. Un homme émerge de cette classe privilégiée, car il a porté un grand intérêt à l'évolution culturelle de la société française. L'inventaire après décès de Jean Belletier permet de constater comment vivaient les notables à Hédé au XVIII. siècle.
Les inventaires notent tous les biens mobiliers présents dans la maison du défunt. Ils sont fait pour estimer l'héritage des enfants. Il s'agit d'un acte public, contrôlé par les huissiers.

Les demeures des notables recèlent de nombreux objets mais aussi de meubles. L'immobilier d'intérieur peut être fortement estimé. Ainsi, il n'est pas rare de constater qu'un lit est prisé trois ou quatre fois plus cher chez un notable que chez un petit artisan. D'autre part, les notables (et quelques riches boutiquiers ou cabaretiers) sont les seuls à pouvoir acheter des objets d'apparat ou à se vêtir de beaux linges. Les inventaires traduisent leur aisance.
Les maisons des notables ou juristes comportent plusieurs pièces qui ont chacune leur fonction : on trouve une cuisine, un ou des salons, un bureau, des chambres pour les domestiques etc... Les meubles sont décorés, ciselés. Des fauteuils sont installés dans les différentes pièces ainsi que des rideaux aux fenêtres. On constate que l'aménagement de la maison répond à une recherche d'esthétisme.
Au milieu des notables, un homme semble avoir apporté encore plus d'intérêt aux choses qui l'entourent. Il s'agit de Jean Belletier, procureur du roi dans la Sénéchaussée de Hédé. Il décède au mois de décembre 1789 (49).
Il est issu d'une famille de notables ; son père était déjà procureur au début de notre étude. Il a remplacé son père dans la charge familiale. Il est, également, avocat au Parlement de Bretagne. La détention d'offices et ses gains personnels lui ont donné une grande aisance. L'inventaire estime sa fortune mobilière à 3948 livres et cinq sols. Il habitent au Bas-Manoir (cf plan). Sa maison est vaste. Elle comprend une cuisine, des chambres pour les domestiques, un salon, une salle de compagnie, un cabinet de toilette pour madame, un cabinet à coucher, une salle à manger, un transport, un vestibule, une bibliothèque etc... La présence d'un cabinet de toilette tend à démontrer que les couches supérieures de la hiérarchie sociale sont plus sensibles à l'hygiène. Néanmoins, il faut relativiser cette affirmation, car les 70 autres inventaires, retrouvée à Hédé, n'en sont pas pourvus.
L'hôtel des Belletier semble entretenu avec soin. L'inventaire fait mention de domestiques mais aussi d'un jardinier. Cette remarque a beaucoup d'importance car Jean Belletier, comme les érudits de son siècle, attache un grand intérêt à la botanique. Le détail des livres vendus après son décès renforce notre constatation.
Chaque objet est décrit par l'inventaire. En comparant les différents inventaires, nous nous percevons que Jean Belletier est le seul à posséder des coquetiers, des cuillères en argent ou une carafe en cristal. Ils sont l'expression de son aisance par rapport aux autres notables. D'autres éléments traduisent l'importance donnée au paraître. Le sieur Belletier est le seul à utiliser de la poudre pour le visage ou encore un peigne pour ses cheveux : c'est la marque d'un désir évident de propreté. L'intérêt qu'il porte à son aspect physique l'éloigne un peu des autres notables, sa passion pour les oeuvres littéraires le met définitivement à part de ses amis.
La bibliothèque de Jean Belletier est estimée à 1018 livres et 14 sols le 22 janvier 1790 par un libraire de Rennes, le sieur Blouet. 840 ouvrages sont prisés parmi lesquels on trouve des encyclopédies, des recueils de jurisprudence, des oeuvres en latin datant du XVII. siècle, des livres sur le droit breton, des codes, des dictionnaires botaniques, des ouvrages libertins etc... A coté de chaque livre est noté le prix estimé pendant l'inventaire. Le cas de Jean Belletier est exceptionnel ; aucun autre homme à Hédé ne possède de livres. Après son décès, les ouvrages sont mis en vente. Sa femme désire racheter l'ensemble de la bibliothèque au prix déterminé par le libraire. Nous apprenons par une délibération communale plus tardive, que le voeux de la veuve Belletier n'a pas été respecté puisque les livres ont été vendus aux enchères.
Nous allons procéder à l'énumération des ouvrages vendus. Le nom des différents acheteurs figurent sur notre liste, ainsi que le prisage et le prix effectivement obtenu par la vente.

Vous retrouverez, ici, l'ensemble des données en détail sur la BIBLIOTHEQUE de JEAN BELLETIER , telle qu'elle fût vendue en 1790.

 

La couche sociale qui talonne celle des notables est constituée par de riches marchands comme les marchands de bouche, les cabaretiers et les débiteurs. Ensemble, ils forment une classe qui apparaît privilégiée pendant toute notre période. Enrichie par le
commerce, elle recherche maintenant à ressembler aux notables. L'aisance ouvre des portes vers la notabilité. Certains sauront en tirer parti ; c'est le cas de Noëlle Monnier, cabaretière à Hédé.

La ville de Hédé exerce une activité commerciale importante. Le groupe social, réunissant les gros marchands, les marchands de bouche et les débitants-cabaretiers, représente selon les estimations de madame Régine Dalnoky 35,3% de l'ensemble des capités. Il est certain que la situation géographique de la ville entre en ligne de compte dans le développement de l'activité commerçante. Le passage des gens de guerre, par exemple, offre aux cabaretiers et aux boulangers une clientèle assurée.

Certains marchands ont une position privilégiée par rapport aux autres. Jan Beillet, boutiquier, s'est enrichi au cour du XVIII ème siècle, ainsi que Vincent Marlon, boulanger. La même constatation s'impose pour les débitants-cabaretiers : le cabaret tenu par Noëlle Monnier semble être réputé. Il s'agit de l'auberge de la Maison Rouge situé à côté de la place du Parquet, en plein centre ville.

 

* Les marchands et débitants

Les habitants de Hédé trouvent chez les boutiquiers des produits qui ne sont pas vendus sur les marchés. Il s'agit de tout ce qui concerne les matériaux de construction, les outils pour les artisans, de la mercerie etc... Jan Beillet, marchand au début du XVIII ème siècle, a diversifié sa marchandise. A Sa mort en 1744, on se rend compte de la richesse qu'il a accumulé puisque son inventaire s'élève à 3440 livres (50). Sa boutique est reprise par son fils, époux de Noëlle Monnier.
D'autres marchands se sont spécialisés dans la commercialisation d'un seul produit. il en est ainsi des bouchers ou des boulangers. Ces commerces s'adressent davantage aux gens de passage qu'aux habitants de la ville. En effet, chaque maison possède au minimum une vache, quelques volailles ou cochons qui leur permettent de subvenir à leurs besoins ; les habitants fabriquent eux-même le pain. Malgré cela, ces commerces sont prospères car Hédé est une ville où les voyageurs, marchands et militaires résident.
Vincent Marion est un riche boulanger. L'inventaire effectué en 1767 après sa mort détermine son niveau de fortune. Le montant prisé s'élève à 2418 livres de biens mobiliers. On peut se poser des questions sur l'honnèteté du boulanger, puisque l'on sait qu'il n'hésitait pas à exploiter les hédéens pendant les périodes de sécheresse, en élevant le prix de la farine et du pain.

Les débits de boisson et les cabarets constituent une activité florissante pour la ville de Hédé.
il suffit de les comptabiliser pour s'en apercevoir. Les registres de capitation ont permis de noter l'existence de dix cabarets, mais seulement trois nous intéressent vraiment. Le premier est tenu par maître Lemarchand, il s'agit de la Poste aux Chevaux. Le second, l'auberge de l'Ecu est dirigée par la demoiselle Laforest. Enfin, l'auberge de la Maison Rouge appartient, par héritage, à Noëlle Monnier.

La fortune de ces trois cabarets est fondée sur une activité complémentaire. Comme les autres débits de boisson, elles servent du vin, du cidre et de l'eau de vie ; mais en plus, elles offrent un service de restauration dont le prix est évalué à dix sols environ. Ces trois établissements s'acquittent de quinze livres par an dans le cadre de l'impôt ; ce chiffre varie peu pendant notre période. Un maximun est atteint par Noëlle Monnier, en 1780, avec une imposition s'élévant à vingt livres, soit une augmentation de huit livres entre 1770 et 1780 ; augmentation qui traduit la bonne tenue du cabaret et sa grande rentabilité.

Les cabaretiers et les riches marchands se situent juste au dessous des notables dans la hiérarchie sociale, Si on considère le montant des impositions et les inventaires après décès. Pourtant, l'apport financier n'ouvre pas toutes les portes. Néanmoins, ils peuvent accéder à une façon de vivre similaire à celle des notables.

La richesse est liée au rang social. ll est inconcevable de vivre comme un modeste marchand, alors que certains ont plus de revenus que des notables. Un changement dans l'apparence physique engendre un rapprochement avec la classe supérieure. Le phénomène d'assimilation par la ressemblance est le moyen utilisé par Noëlle Monnier pour s'élever dans la hiérarchie sociale. Nous pouvons dire que le passage d'une classe sociale à une autre est couronné par le mariage de sa fille avec le fils d'un notable de la ville, monsieur Deslandes. Noëlle Monnier a vécu pendant soixante années. Après la mort de ses deux époux, elle se consacre à son auberge et à ses enfants. Son inventaire rédigé à la fin de 1787, permet d'estimer la richesse de son commerce. La maison, dans laquelle elle vivait, était grande et capable d'accueillir des voyageurs. Au dessus de l'auberge, elle avait ses propres appartements. La maison est constituée par une cuisine, une cave pour le vin, un cellier et un salon. Noëlle possède des objets de luxe, comme des couverts en argent prisés pour une valeur de 200 livres, ou encore un service en étain. A part elle, seuls les notables détenaient de tels objets. Son salon est meublé avec goût et élégance ; on y trouve des fauteuils, des buffets. Noëlle Monnier, grâce aux revenus provenant de l'auberge, se donne les moyens de vivre comme un notable. Pourtant, l'inventaire révèle une faille, voire une restriction à la recherche de ressemblance. en effet, elle ne semble porter que peu d'attention à son apparence. L'inventaire ne fait pas mention de salle de toilette, ni de produits de beauté. Il apparaît que l'assimilation soit uniquement liée à une question de prestige que donne les biens mobiliers.
Un autre prisage est réservé au cabaret. La cave est remplie de barriques de cidre, de liqueur (surtout à base de pomme, car les vergers sont très nombreux à Hédé). Les biens prisés à l'auberge de la Maison Rouge atteignent 2593 livres et 31 sols. En ajoutant à cette somme les biens personnel de Noëlle, on obtient 4235 livres et onze sols (51).


Le dernier point qui requiert notre attention se rapporte aux artisans, journaliers et domestiques. La barrière qui les sépare des grands commerçants est bien plus difficile à franchir que celle qui séparaient ces commerçants des notables. Nous avons très peu de renseignements sur cette classe. Les registres de capitation omettent souvent de donner les noms de ceux qui sont faiblement capités . Néanmoins, nous pouvons dire que cette couche sociale apparaît hétérogène et pourtant, unie par les me-mes angoisses, celles relatives à la misère.

 

* artisans, journaliers et domestiques,

Ils n'ont, professionnellement, aucune ressemblance les artisans tiennent boutique, les journaliers louent leur force de travail, les domestiques sont, plus ou moins bien traités, selon les maisons qui les emploient. Pourtant, Ces trois professions subissent les contre-coups des aléas de la vie quotidienne. Cette vulnérabilité est le critère d'union de ces trois métiers.

Les artisans de Hèdé ne sont que quelques uns à tenir boutique ouverte toute l'année. Les grandes crises réduisent les plus petits à la misère. Ainsi, la grande sécheresse a engendré un manque de chanvre et de lin. Sans matière première, beaucoup d'artisans se sont retrouvés sans travail. Indirectement, les artisans peuvent ressentir les crises. Si la pauvreté s'installe dans la ville, les acheteurs potentiels se feront plus rares , et donc les artisans (tailleurs aussi bien que maçons) n'auront pas de demande de travail. Malgré tout, les artisans restent très nombreux à Hédé ; ils représentent, approxivativement, 20% de l'ensemble de la population active. L'artisanat semble repandu puisque les registres de capitation nous offrent un éventail très large de professions. Quatre grands groupes de métiers se distinguent; tout d'abord, ceux qui se rapportent au travail des tissus, au bien-être : tailleurs, lingères, tisserands, chapeliers, perruquiers. Pendant notre période, Hèdé connaît deux perruquiers. La mode des perruques n est pas encore très répandue dans la ville ; seul l'inventaire du sieur Belletier note la présence d'une perruque dans ses biens.
Les tailleurs sont plus nombreux, on en compte dix entre 1739 et 1789. Les femmes, en général, confectionnent elles-mêmes leurs vêtements et ceux de leur famille. Les femmes de notables font appel aux tailleurs mais aussi aux lingères plus facilement, car elles en ont les moyens.
Cette classe qui regroupe les métiers du vêtement est pauvre. L'imposition moyenne d'un tailleur est de l'ordre de trois livres. Pendant les mauvaises années, certains de ces métiers disparaissent des rôles de capitation.

Les métiers du cuir sont, de la même façon, soumis aux aléas quotidiens. Néanmoins, les inventaires après décès ne témoignent pas toujours d'une misère intolérable chez les artisans. Ainsi, un cordonnier nommé Thébault a un prisage s'élevant à 124 livres. Il est vrai que cette somme est ridiculement faible par rapport à celles avancées précédemment, mais elle lui permet de se distinguer des autres artisans dont le prisage est minime. Un autre cordonnier, Morin, possède à sa mort 40 livres de biens.

On peut ajouter une description stéréotypée d'une maison appartenant à un artisan. Une seule grande pièce concentre toutes les fonctions d'une maison : elle est la chambre de l'ensemble de la famille, la salle à manger, la cuisine. Une cheminée chauffe la pièce. Aucun objet inutile n'est prisé. Table, chaises, lits sont les seuls meubles.

Les métiers du métal regroupent les cloutiers, maréchaux, chaudronniers, serruriers, charretiers ou charbonniers. Les maréchaux et les cloutiers semblent les plus aisés de tous. La capitation moyenne est de l'ordre de cinq livres par an. Les autres métiers cités n'ont pas de statut stable. Il est rare de rencontrer deux années à suivre un charretier ou un chaudronnier. Ces artisans exercent de ville en ville. Ils s'arrêtent dans un endroit le temps que dure le travail. Certains cumulent deux professions afin d'avoir un emploi toute l'année.

Le secteur du bâtiment constitue un dernier groupe : maçons, menuisiers, couvreurs ou vitriers se côtoient dans la ville. Ce corps de métier se heurte à la faiblesse de l'évolution démographique. Ce phénomène freine l'expansion urbaine. Néanmoins, la situation de Hédé permet d'avancer une autre explication. La ville est bloquée sur son promontoire rocheux , et ne peut s'étendre comme elle le voudrait. Les menuisiers sont les seuls à être capités toutes les années. Les autres métiers apparaissent épisodiquement.

La précarité de tous ces métiers alimentent les lettres de l'intendant qui annonce que 70% des artisans sont pauvres. L'insécurité face à l'emploi, la mobilité sociale marquent les artisans. Ces critères semblent se renforcer pour dénoncer le statut peu enviable des journaliers.

Les journaliers exercent des métiers saisonniers ou occasionnels : l'entretien des jardins et vergers de la ville ; servir dans un cabaret ou chez un artisan. On ne connaît pas les noms des journaliers. Généralement, dans les registres de capitation, les journaliers sont associés à ceux qui les emploient. L'impôt payé par le journalier est de l'ordre d'une livre pendant toute la période.

A côté des journaliers, quelques compagnons sont enregistrés à Hédé.

Un peu à l'écart des autres métiers, celui de domestique ou servante est fréquent dans la ville. Ce groupe est beaucoup moins sujet aux fluctuations quotidiennes que les artisans ou journaliers. Les employeurs gardent les gens de maison longtemps à leur service. Ils restent aussi anonymes que les journaliers. Les registres ne fournissent aucune indication personnelle, mais nous savons qu'ils étaient nombreux. Les servantes sont au nombre de huit à dix chez les Urselines.

Les artisans, journaliers et domestiques représentent ensemble 30% des actifs résidant à Hèdé. De grandes différences de revenus les séparent, mais ils sont tous obligés de vivre au jour le jour. ils ne profitent que peu de la position commerciale de la ville qui bénéficie surtout aux marchands et débitants.


Nous allons étudier les caractères de Hédé en tant que ville commerçante dynamique.

 

 

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