1 - ETUDE DEMOGRAPHIQUE
1.3 LA PAUVRETÉ ET SES SOLUTIONS
1.3.1 CONSÉQUENCES DES DISETTES
La misère n'est pas un problème facile à cerner. La pauvreté la plus nette, est celle qui apparaît aux lendemains de disettes. Nous connaissons, par l'intermédiaire des délibérations communales, les réactions de la population au moment où les fléaux surviennent. Les cahiers municipaux constituent notre principale source. La misère est omniprésente sur l'ensemble de notre période, mais ne devient sujet à discussion que pendant les crises. Quelques actes judiciaires fournissent des preuves à la persistance de la misère : ils concernent des arrestations pour vols, le vagabondage etc... Nous savons qu'un vagabond mendiait devant l'église, mais nous ne pouvons pas aborder cet aspect de la pauvreté car nos sources sont trop réduites. Au contraire, de nombreux documents ont été échangés entre l'intendant et la ville au sujet de ce problème.
Le conseil peut prendre des résolutions extrêmes pour essayer de faire diminuer le nombre des indigents. Ainsi, en 1790, il décide de limiter le rôle de la milice nationale " considérant que la garde de nuit de cette ville est très onéreuse au peuple dans ces temps ou la cherté des grains force une grande partie des habitants a doubler leur travail pour gagner leur vie; la communauté et les notables ont arrêté que la garde de nuit demeurera a présent suspendue compter de ce jour" (39). La milice nationale est à la charge financière des habitants. Cette mesure est censée, car au même moment certains habitants n'arrivent pas à subvenir à leurs propres besoins. Souvent, la situation nécessite la recherche d'un deuxième emploi afin de nourrir une famille. Les disettes sont consécutives à l'élévation du prix des grains engendrée par une mauvaise récolte.La misère, qui nous intéresse ici, est périodique. Elle suit les aléas climatiques et les épidémies. Des métiers sont plus vulnérables que d'autres; Parmi eux les petits artisans et les journaliers. L'exercice de leur profession reste lié à une conjoncture favorable : un vent de misère réduit considérablement l'offre de travail.
De nombreux journaliers sont employés par les artisans de la ville. Leur salaire n'excède pas deux livres. Pour compléter leur salaire, certains louent leur force de travail autour de Hédé.
Quand la misère ébranle la ville, les artisans renvoient les journaliers, ne pouvant plus les payer, et ceux-ci ont bien des difficultés à trouver un autre emploi. C'est le cas des artisans qui travaillent le chanvre et le lin pendant la sécheresse de 1765. Ils ne reçoivent plus de matière première. Les artisans les plus pauvres ferment boutique. Certains, plus riches, achètent du chanvre et du lin en Finlande et ainsi peuvent continuer à confectionner des voilures pour les navires de Saint-Malo.
Lors des grandes périodes de crises, le nombre de capités est en diminution ce qui est synonyme d'un accroissement de la misère. Dans ce cas, l'impôt repose sur les notables ou marchands aisés. Le montant est en discussion Si la ville ne peut vraiment pas l'honorer. C'est cas en 1739 alors que la dysenterie sévit. La communauté obtient, après examen de la situation, une réduction. La même mesure est adoptée pendant l'épidémie du choléra en 1763, au cour de la sécheresse de 1766. La ville de Hédé n'est pas favorisée par cette mesure car elle doit, dès que la situation le lui permet à nouveau, rembourser la différence entre ce qu'elle a payé et ce qu'elle devait payer.
Un autre problème s'ajoute à celui de la misère pour le rendre encore moins supportable. La ville de Hédé est une ville de garnison, et en tant que telle, les habitants se doivent d'héberger les soldats. Mesure controversée et combattue pendant notre période. La communauté demande à l'intendant et au ministre de la guerre qu'ils s'engagent "à exempter cette ville du passage des troupes qui descendent en cette province et en retournent". Cette requête s'explique par "la pauvreté des habitants et l'impossibilité où l'on se trouve de loger des chevaux (40). La population doit abriter mais aussi nourrir les soldats. Donner de la nourriture à des soldats est chose difficile quand on peut à peine se nourrir soi-même. Le casernement accentue la misère qui règne dans la ville.
Le conseil municipal agit auprès de l'intendant afin de trouver des solutions capables de soulager les plus démunis. Certaines de ces aides émanent de la communauté. D'autres, de plus grande envergure, transitent par l'intendance.
1.3.2 LES SOLUTIONS
Les exemples d'aides individuelles sont rares. Peu de documents se rapportent à ce problème. il faut vraiment qu'une personne soit totalement démunie pour que la communauté intervienne. Outre le conseil, l'hôpital aidait les plus pauvres. De plus, il recevait des soldats lorsque la population ne pouvait plus s'en charger.
La ville prend une mesure en 1790 pour soulager un particulier: "la commune est autorisée à procurer à Joseph Lenoir pour sa nourriture et son entretien la somme de neuf livres par mois entendu sa position fâcheuse qui est perdu de tous ces membres." (41). Nous constatons
que la ville n'a pas le droit de prendre seule la décision d'aider un de ses habitants. Elle doit en référer à l'intendant. Ce n'est pas sans raison que le XVIII ème siècle est dit le siècle de l'intendance. Aucun autre avis du conseil ne fait allusion à une assistance individuelle, mais beaucoup portent sur les moyens engagés par la ville pour soulager un grand nombre d'habitants.L'aide collective est le moyen privilégié par la ville pour soutenir les plus déshérités. Les requêtes formulées par la ville auprès de l'intendant concernent le droit d'utiliser son propre argent pour aider les pauvres. En 1774, l'intendant autorise le conseil à prélever une somme de cent livres pour assister les démunis. L'intendant propose d'ouvrir un chantier pour donner du travail à ceux qui n'ont plus rien. Les travaux consistent à aplanir le champ de foire. En 1778, la ville est devenue propriétaire d'un terrain sur lequel se tient les foires aux bestiaux. Le chantier va permettre d'affléager le terrain.
Entre l'idée et son exécution quelques années s'écoulent. Il semble que la grande sécheresse 1785 ait précipité les événements. Beaucoup de personnes sont désoeuvrées. L'hiver est particulièrement redouté par la ville. La situation incite la communauté à demander à l'intendant de mettre en place maintenant ce chantier de charité. L'accord de l'intendant ne se fait pas attendre; une lettre du conseil annonce "que la communauté a unanimement et par acclamation acceptée la proposition qui lui est faite par Monseigneur l'intendant d'ouvrir l'hiver prochain un atelier de charité "(42). Le projet est lancé, mais encore faut-il pouvoir le financer. Pour ce faire, la ville demande une autorisation à l'intendant pour que son miseur puisse prélever sur les fonds de la ville une somme de quatre mille livres pour acheter le gros matériel nécessaire aux travaux et pour payer les ouvriers. La réponse ne correspond pas, tout fait, aux espérances de la ville puisque l'intendant "permet à la communauté de prendre sur ses fonds une somme de 2400 livres pour être employée à occuper les pauvres à un atelier de charité pendant cet hiver" (43). Il ne reste plus qu'à instaurer un plan de travail pour que le chantier devienne opérationnel. Tout doit être réglé avant le mois de janvier 1786, date fixée pour l'ouverture des travaux.
L'organisation de l'atelier repose sur un règlement précis et un ordre hiérarchique. Le projet de règlement est présenté le 27 novembre 1785 à la communauté. Il est constitué de onze articles. Le règlement est ratifié le 11 décembre 1785. Quelques articles nous intéressent :* les ouvriers sont payés chaque semaine après inspection du travail.
* Les chefs d'atelier doivent faire l'appel des ouvriers le matin et après le déjeuner.
* Les outils seront remis aux chefs d'atelier qui doivent s'en charger.
* Deux ouvriers surveillent les outils pendant le repas pour un sol par jour de plus.
* Les ouvriers doivent respecter les heures de travail.
* Il faut prévenir le chef d'atelier si un ouvrier s'absente. (44).* "Pour exciter l'émulation parmi les ouvriers et forcer les fainéants à s'occuper, ceux qui refuseront le travail dont ils sont capables ou qui retarderaient à se rendre aux heures fixées, seront privés d'une partie de leur salaire".
Le directeur de l'atelier est choisit au sein des notables de la ville. Il surveille le bon déroulement des travaux. Il reçoit pour son intervention une livre et seize sols tous les deux jours. Pierre Guelet, membre de l'oligarchie urbaine, est chef d'atelier. Il reçoit le même salaire que le directeur.
Le garde-magazin, François Guinot, gagne la même somme que les deux déjà cités.
Ensemble, ils forment l'encadrement. Ils ont sous leurs ordres des ouvriers des deux sexes.
Les hommes et les femmes reçoivent le même salaire, c'est-à-dire seize livres et 89 sols pour me journée deux tiers de travail.
Les surveillants perçoivent une somme peu élevée en comparaison aux salaires des ouvriers.
La fonction première de l'atelier n'a pas été oubliée. L'atelier apparaît comme une oeuvre charitable. Au début de son instauration, l'atelier fonctionne pour le mieux. Pourtant le chantier est limité de par la surface même du terrain à aplanir. La communauté se rend compte des limites de l'oeuvre alors que les demandes d'embauche ne font qu'augmenter. Le 9 juin 1786, le conseil décide de restreindre le nombre des ouvriers employés sur le chantier. Pierre Morin, directeur de l'atelier, est autorisé à renvoyer des ouvriers "a cause de l'étendu, vétusté des outils et l'utilisation des fonds de la communauté
En conséquence, l'atelier n'a accueilli que quelques indigents et en aucun cas n'a réglé le problème de la pauvreté. En 1786, la misère n'est pas résorbée. Pour aurait fallu plus de moyens à la ville pour y parvenir. La pauvreté reste un mal endémique qui ressurgit avec de nouvelles crises.
En se basant sur les registres de capitation, la comptabilisation du nombre de personnes capitées permet, de façon très grossière, d'envisager un ordre de grandeur de la population miséreuse selon les années. Ces mêmes rôles amorcent une étude économique de la société hédéene.