LES DONJONS QUADRANGULAIRES du DUCHÉ de BRETAGNE
AVANT LES GUERRES DE SUCCESSION - (1050-1350)

Extrait concernant le château de Hédé.

 

....La période qui s'étend du début de l'ère féodale, à la mort sans héritier du duc Jean III en 1341, couvre près de trois siècles. Durant ce temps, les défenses de pierre ne cessent de se développer. Ces constructions se sont assez peu prêtées à l'analyse, comme le remarquait déjà A. Mussat.
Les ouvrages de la seconde moitié du XIV et XV ème siècles, période privilégiée de l'architecture militaire bretonne, ont éclipsé par l'importance et la qualité de leurs vestiges, ceux des siècles antérieurs.

 

....Le donjon de Hédé, ouvrage exceptionnel, qui a le mérite d'être encore en partie debout, se rapproche par sa taille (22 m / 24 m) et son plan quadrangulaire des deux précédents. Les tours d'angles de Montfort sont remplacées ici par des contreforts en pierre de taille, peu saillants, qui englobent les quatre angles. Le reste de la maçonnerie est en petits moellons dont les variations de taille et de mise en oeuvre s'expliquent difficilement. Cette différence que l'on observe souvent avec la diminution de l'appareil à mesure que l'on s'élève, est ici répartie par zones indépendamment de la hauteur. Il n'est pas d'usage dans les études récentes d'attribuer aux vestiges du donjon de Hédé, une date si ancienne. Son relevé précis et la comparaison avec d'autres édifices de l'Ouest de la France, conduisent à formuler cette hypothèse qui n'est pas sans contradictions.
La datation tardive, fin XIV ème siècle, proposée par M.Deceneux, s'accorde il est vrai avec l'appareillage de pierre de taille soignée des contreforts et avec l'aspect des baies. Si la qualité de l'appareil des contreforts de Hédé est comparable à celle des pays voisins, il ne se retrouve que rarement en Bretagne au XII ème siècle, hormis quelques édifices religieux prestigieux. Hédé diffère cependant totalement des autres réalisations de la fin du XIV ème siècle. Les gros donjons polygonaux d'Oudon et Largoët avec leur traitement soigné, tant ornemental que purement technique, n'ont rien de comparable.

La Roche-Montboucher à Cuguen et l'Espinay à Champeaux semblent quant à eux bien modestes. Faire de cette construction une oeuvre ducale de la fin du XIV ème siècle, sans couronnement saillant, sans flanquement, petitement éclairé, sans large escalier à vis de fond en combles, paraît peu vraisemblable. Hédé ne supporte guère la comparaison avec le raffinement et la sophistication architecturale du donjon de Dinan pourtant peu éloigné. Une autre datation avancée par Legeay et reprise par Jones correspond aux années 1266-1270, date de l'annexion de la ville au domaine ducal.
Les réalisations ducales de l'époque offrent plutôt l'aspect de châteaux et tours à donjons circulaires, développant le modèle de Saint-Aubin-du-Cormier. Il ne semble pas que ce soit avec Trémazan, attribué par Monsieur Jones à la même période, que l'on puisse trouver une analogie. Son plan quadrangulaire simple, de taille réduite (12 m / 11 m), est sans rapport avec celui de Hédé.

L'édifice typologiquement le plus proche, existant dans l'Ouest est Chambois. Daté des années 1165-1198, il est attribué à Guillaume de Mandeville, vassal et favori de Henri II de Plantagenêt. Outre le fait de posséder des contreforts d'angle de même type et rares en France, il présente un talutage marqué et une épaisseur de murs comparables. Le plan, bien que rectangulaire en est assez proche. La différence d'appareil que l'on trouve à Hédé, entre les contreforts et les murs, se retrouve également à Chambois. Bien que les baies géminées diffèrent foncièrement des petites ouvertures de Hédé, on remarquera néanmoins l'importance des ébrasements internes dont la mise en oeuvre n'est pas très éloignée des usages bretons des siècles suivants. Chambois est sans équivalent en France, mais se situe dans la lignée des grands donjons quadrangulaires de l'empire Plantagenêt. Il trouve plus précisément son origine dans ceux réalisés en Angleterre, dans la seconde moitié du XII ème siècle, comme Douvres, dû à Henri II de Plantagenêt vers 1180-1190, ou Bamburg Castle terminé par Henri III, après 1202.

Château de Chambois - Orne

 

Cependant l'incertitude subsiste, certainement favorisée par des modifications postérieures, comme celles de 1307. Le changement d'appareil, plus régulier dans les parties hautes, le manque de concordance entre l'appareillage interne et celui des éléments encore en place des refends illustrent des remaniements importants, qui rendent difficile la lecture de l'édifice. L'hypothèse d'une réalisation par les Montfort, dans la seconde moitié du XII ème siècle est tentante. Geoffroy de Montfort possédait le château en 1168.
Il est intéressant de constater que les trois plus gros donjons quadrangulaires, qui forment véritablement un ensemble à part, paraissent liés au groupe familial des Montfort. Ces constructions s'inscrivent parmi les plus vastes réalisations du royaume, supportant au moins par leur plans restitués, la comparaison avec les plus grands donjons normands.
Malgré les réserves faites sur leurs attributions, cette constatation permet de considérer que la Bretagne se situait moins à l'écart des grands courants architecturaux militaires du XII ème siècle, qu'on a pu le dire. ....

 

Christophe AMIOT
Mémoire Société Archéologique d'Ille et Vilaine
Tome LXXIV - 1996 - Résumé : pages 43 à 76.
Archives départementales Ille & Vilaine - Rennes
Cote : Delta 22 Usuel - 1996

 

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